Présidentielle américaine : qu’est-ce que le système des grands électeurs ?
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Quand les Américains iront voter pour leur futur(e) Président(e) le 5 novembre prochain, ils désigneront en réalité des représentants, les grands électeurs, qui forment le collège électoral. La quasi-totalité d’entre eux choisira ensuite le ou la cheffe d’État, selon la méthode du “winner-takes-all” : le candidat qui remporte la majorité des voix de l’État fédéré remporte in fine toutes ses voix.
C’est un système vieux de plus de deux siècles qui fait toujours la fierté des leaders politiques américains. À sa création, les Pères fondateurs l’envisageaient comme un “filtre” pour éviter l’arrivée d’un “despote” à la tête de l’État. Aujourd’hui, les Américains se targuent d’avoir le plus vieux système d’élection démocratique du monde.
Pourtant, ce système n’a pas que des avantages. Son mode de scrutin, le suffrage universel indirect, peut se révéler, pour certains, injuste. En effet, un candidat peut tout à fait obtenir la majorité des voix dans les urnes, sans jamais devenir Président.
C’est ce qui s’est passé pour Hillary Clinton en 2016. Autre problème, et pas des moindres : ce système, régi par le droit de chaque État fédéré, est très complexe à comprendre.
Alors aux Surligneurs, on a tenté de décrypter ce mode de scrutin.
Composition du collège électoral
Contrairement à la France, où le président de la République est directement élu par les citoyens, le ou la président(e) des États-Unis est élu(e) par des grands électeurs, eux-mêmes choisis par les citoyens américains. On parle de suffrage universel indirect.
Outre-Atlantique, le scrutin se découpe donc en plusieurs étapes. D’abord, la désignation des grands électeurs, par un vote populaire, qui composent le collège électoral : ils sont 538 au total. Mais au niveau de chacun des cinquante États fédérés, leur nombre varie. En Californie, par exemple, ils sont 54, contre 3 dans le Wyoming.
Cette répartition différenciée suit une logique de proportionnalité. Plus un État fédéré a une forte population – et donc un nombre élevé d’élus à la Chambre des représentants – plus il aura de grands électeurs.
Qui sont ces personnes choisies pour élire le ou la futur(e) chef(fe) d’État ? “Ça peut être n’importe qui, nous explique Esther Cyna, maitresse de conférence en civilisation des États-Unis à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Par contre, on ne peut pas être grand électeur si on est élu au Congrès des États-Unis par exemple. L’idée, c’est d’être un porte-parole des citoyens, donc ce sont des gens lambdas”.
En effet, “aucun sénateur ou représentant, ni aucune personne tenant des États-Unis une charge de confiance ou de profit, ne pourra être nommé électeur”, précise l’article 2 section 1 de la Constitution américaine.
“C’est assez logique parce que cela voudrait dire que cette personne pourrait servir son parti dans l’optique d’être réélu. Ça permet d’éviter les conflits d’intérêts”, ajoute Esther Cyna.
Une fois désignés par les citoyens américains, les grands électeurs sont investis d’une mission de vote pour le ou la future présidente des États-Unis. Pour remporter l’élection, le candidat doit obtenir la majorité de leurs voix, soit 270. Sauf que ces voix fonctionnent par “bloc” d’États fédérés : le candidat remporte – ou perd – toutes les voix d’un État fédéré. Il n’y a pas d’entre deux.
“Winner-takes-all”
Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? Quand un citoyen américain ira voter le 5 novembre 2024 (et avant dans certains cas), son bulletin sera en faveur du candidat à la présidence de leur choix. Mais dans les faits, le vote populaire va “juste” permettre de déterminer les grands électeurs.
Petite subtilité : rien ne garantit à un électeur républicain par exemple, si ce n’est la tradition politique de son État, que les grands électeurs voteront effectivement pour le candidat qu’il espérait. En effet, si c’est le candidat démocrate qui remporte une majorité au niveau de l’État fédéré, même infime, tous les grands électeurs de cet État s’engagent à voter pour lui. C’est la logique du “winner takes all” – “le gagnant remporte le tout”, en anglais. Avec deux exceptions qui confirment la règle : le Nebraska et le Maine, qui ont opté pour un système proportionnel.
Quant à la logique du “winner-takes-all”, elle est passée de la tradition à la règle pour 24 États fédérés depuis un arrêt de la Cour suprême de 1952 (arrêt Ray vs Blair). Dans ces États, les grands électeurs ont l’obligation de voter en respectant le vote populaire. Mais ce n’est toujours pas le cas dans d’autres États, puisque cette règle n’est pas inscrite dans la Constitution.
“L’idée de ce système, c’est d’empêcher une dictature. Imaginez que quelqu’un d’extrêmement dangereux soit élu par le vote populaire : techniquement, les grands électeurs ont le droit de changer leur vote et de ne pas suivre la consigne de leur État. En termes de loi, de droit, c’est possible, mais ça ne se fait jamais parce que ce serait complètement antidémocratique”, nous explique Esther Cyna.
C’est d’ailleurs ce que Donald Trump avait essayé de faire en 2020, nous rappelle la chercheuse : il a tenté de convaincre des grands électeurs républicains de voter pour lui, alors que l’État en question avait donné une majorité à Joe Biden.
Si à l’issue du premier scrutin de novembre, nous sommes quasiment sûrs de connaître le visage du futur dirigeant du pays, il faudra attendre le 17 décembre pour que les grands électeurs entérinent ce choix par leur vote.
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