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Une maison en cours de rénovation thermique / CC BY-NC-SA 2.0

Pourquoi RMC s’est trompée dans les grandes largeurs sur la rénovation des logements

Création : 24 juillet 2025
Dernière modification : 25 juillet 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article :

L’auteur principal a été membre de l’association Dernière Rénovation jusqu’en février 2024. Comme pour l’ensemble des articles des Surligneurs, l’article a fait l’objet d’une relecture attentive par la rédaction en chef et la secrétaire de rédaction qui ont confirmé sa rigueur et son objectivité.

Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W

Source : RMC, le 21 juillet 2025

Lors de la matinale du 21 juillet, le chroniqueur conso de la radio a présenté les conclusions d’une étude de l’Insee sur la rénovation des bâtiments. Mais entre raccourcis trompeurs et manque de contexte, l’intervenant a largement déformé les résultats obtenus par les chercheurs.

« C’est un véritable échec d’une politique publique majeure. » La mine sévère, le chroniqueur conso de la matinale de RMC tire à boulets rouge le 21 juillet. Sa cible : les aides à la rénovation des bâtiments. L’intervenant présentait les résultats tirés d’une étude de l’Insee et du service des données et des études statistiques du ministère de la Transition écologique et solidaire (SDES), parue le 10 juillet. Et à en croire le ton de la chronique, les résultats sont catastrophiques.

Les chercheurs de l’Insee démontreraient que les « impacts économiques de la rénovation sont en moyenne huit fois inférieurs à ce qui a été prédit », qu’il faudrait en moyenne « 91 ans pour rentabiliser son investissement » de rénovation, ou encore que la différence entre les gains estimés et les gains réels sont en bonne partie causés par un « effet rebond ».

Aussitôt, la séquence est devenue virale sur les réseaux sociaux, où de nombreux utilisateurs se sont indignés. Certains d’entre eux affirment que « la rénovation ne permet pas de gains significatifs », d’autres que « la peur entretenue par le système (réchauffement climatique, etc) fait les beaux jours des voyous et vide les tirelires ».

Sauf qu’entre raccourcis trompeurs et manque de contexte, la chronique de RMC déforme les résultats obtenus par les chercheurs. À tel point que les auteurs de l’étude, joints par Les Surligneurs, ont demandé un rectificatif à la radio.

La chronique « utilise [certains] chiffres qui ne sont pas les nôtres », regrette Pauline Givord, cheffe du département des études économiques de l’Insee. Car si l’étude documente effectivement un manque d’efficience des gains énergétiques liés à la rénovation, ses conclusions exactes ne sont pas celles relayées par RMC.

Contacté sur X, l’auteur de la chronique n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.

Quelle est la portée de l’étude ?

Les chercheurs de l’Insee et du SDES ont souhaité évaluer l’impact des travaux de rénovation sur la consommation d’électricité et de gaz. Pour y parvenir, ils ont extrait des données de consommation contenues dans un échantillon d’un million de ménages couvrant la période du 1ᵉʳ janvier 2018 au 31 décembre 2023. Mais contrairement à ce qu’affirme RMC, l’étude n’« analyse » pas l’entièreté de ces données.

En réalité, sur ce million de foyers, les chercheurs ont isolé une cohorte de 80 000 ménages. Et pas n’importe lesquels. En raison des difficultés d’accès à certaines données, notamment fiscales, « le champ de l’étude est restreint aux seuls propriétaires occupants de maisons individuelles », indique le document. Ce qu’omet de préciser RMC.

La radio n’informe pas non plus ses auditeurs que le rapport ne porte pas sur la totalité des travaux de rénovation.

Les auteurs se sont seulement penchés sur les travaux subventionnés par les deux principaux dispositifs d’aides : les certificats d’économie d’énergie (CEE) et MaPrimeRénov’. Au sein de cet ensemble, qui comprend aussi l’installation de pompes à chaleur, l’étude zoome une seconde fois pour se concentrer sur les travaux d’isolation. Mais là encore, pas dans leur entièreté.

À cause des difficultés à analyser les parcours de rénovation scindés en plusieurs étapes, le rapport isole un échantillon encore plus spécifique de rénovateurs : ceux qui ont réalisé « une seule salve de travaux d’isolation », expliquent l’Insee et le SDES.

En définitive, le document analyse la consommation d’environ 11 500 ménages qui ont accompli des gestes d’isolation. Bien loin du million annoncé sur RMC.

Ainsi, même si les gestes d’isolation représentent 52 % des travaux subventionnés, ils sont loin d’en constituer la totalité. Conclusion : les résultats obtenus ne sont « pas généralisables à l’ensemble des travaux de rénovation », avertit l’Insee. Mais pas RMC, qui fait preuve de moins de prudence.

Une fois identifiés, les ménages correspondant à ces critères ont été séparés en quatre groupes : les foyers ayant réalisé des travaux — chauffés d’un côté à l’électricité et au gaz de l’autre — et deux groupes témoin qui n’avaient pas réalisé de travaux d’isolation, afin de mesurer la différence de gains énergétiques.

En définitive, le document analyse la consommation d’environ 11 500 ménages qui ont accompli des gestes d’isolation. Bien loin du million annoncé sur RMC.

Les gains d’économie réels de la rénovation sont-ils huit fois inférieurs aux gains attendus ?

Le chroniqueur affirme que l’Insee arrive à une « conclusion déprimante », à savoir que « les gains de la rénovation énergétique sont en moyenne huit fois inférieurs à ce qui a été prédit ». Traduction : « Un investissement de 1 000 euros ne fera baisser la facture d’énergie que de 0,69 % », renchérit le journaliste.

Cette statistique n’est en réalité pas issue des travaux de l’Insee, bien qu’elle y soit citée. Le chiffre est tiré d’un précédent rapport paru en 2019 dans La revue de l’énergie. L’étude, qui porte cette fois sur l’ensemble des gestes de rénovation, s’appuie sur des données plus anciennes que celles mobilisées par l’Insee, allant de 2000 à 2013. Et moins précises.

Des travailleurs du secteur de la rénovation brandissent des pancartes lors d’une manifestation pour demander des conditions de paiement raisonnables pour l’aide d’État « Ma Prime Renov » à Paris le 12 mai 2025. (Photo Ludovic Marin / AFP)

 

« Cette étude estime les gains théoriques à partir des fiches de certificat d’économie d’énergie qui sont basées sur des données déclaratives des fournisseurs d’énergie », explique Pauline Givord de l’Insee. « Ceux qui sont utilisés dans notre document de travail sont des estimations un peu plus précises calculées à partir des types de geste [de rénovation] et de leurs coefficients techniques. »

Résultat, les conclusions de l’Insee et du SDES sont moins catastrophiques que ce que laisse entendre RMC, à défaut d’être rassurantes : les gains d’économie d’énergie obtenus par l’isolation des logements chauffés à l’électricité correspondent aux deux tiers des gains attendus (36 %). C’est un peu moins de la moitié (47 %) pour les habitations chauffées au gaz.

Autrement dit, sur des gains annuels attendus de l’ordre de 300 euros pour la rénovation des maisons chauffées à l’électricité, le propriétaire ne gagne en moyenne que 114 euros. Pour les logements au gaz, un rénovateur qui pouvait s’attendre à récupérer environ 200 euros sur sa facture annuelle ne gagnera que 91 euros. Soit des économies deux à trois fois inférieures aux montants escomptés.

En somme, si la cible est largement manquée, la flèche n’atterrit pas aussi loin que ce qu’affirme RMC.

L’ « effet rebond » annule-t-il un cinquième des économies d’énergie ?

Autre affirmation erronée : selon RMC, l’Insee déclare que l’augmentation de la consommation après la rénovation, appelée « effet rebond », annule 20 % des gains énergétiques attendus.

Pour mesurer un éventuel effet rebond, il faudrait que nous ayons accès aux températures du logement, ce qui n’est pas le cas ici. Donc nos résultats ne confirment pas ni n’excluent l’existence de [ce phénomène]

Les chercheurs n’écartent pas la possibilité qu’un tel effet existe, comme d’autres études menées à l’étranger l’attestent. Mais ils écrivent noir sur blanc que « [leurs] résultats ne permettent pas de mettre en évidence de hausse de la consommation consécutive à la baisse observée après les travaux ».

« Ce qu’on observe, c’est qu’il n’y a pas d’évolution temporelle de la consommation », confirme Pauline Givord de l’Insee. « C’est-à-dire que la réduction, une fois qu’elle a lieu, est du même ordre sur le long terme. Pour mesurer un éventuel effet rebond, il faudrait que nous ayons accès aux températures du logement, ce qui n’est pas le cas ici. Donc nos résultats ne confirment pas ni n’excluent l’existence de [ce phénomène]. »

En plus de l’effet rebond, le chroniqueur de RMC avance deux autres raisons qui expliqueraient, selon l’Insee, l’écart entre les économies attendues et réelles de consommation d’énergie après la rénovation. D’après l’intervenant, 40 % de cette différence est imputable à une surestimation de l’impact des travaux, et 40 % à leur mauvaise réalisation.

Là encore, ces chiffres sont en réalité issus d’une autre étude qui ne porte pas sur les ménages français, mais sur des foyers états-uniens. Si ces indicateurs sont effectivement cités dans le rapport de l’Insee pour apporter du contexte, les chercheurs de l’institut se sont surtout attelés à mesurer les gains énergétiques au sein de leur échantillon.

Les auteurs admettent d’ailleurs les limites de leur étude. « L’analyse conduite permet d’estimer les gains en termes de consommation énergétique de faire des travaux d’isolation, commentent-ils. Elle ne permet donc pas d’établir un bilan complet des aides à la rénovation : [elles] peuvent également avoir une dimension incitative, en amenant plus de ménages à entreprendre des travaux de rénovation qu’en l’absence de ces aides ou en leur permettant d’augmenter l’ampleur de ces travaux. »

Des dysfonctionnements connus

La publication de l’étude de l’Insee et du SDES intervient à quelques semaines de la relance du dispositif MaPrimeRénov’. Le programme d’aide à la rénovation énergétique piloté par l’Agence nationale de l’habitat, suspendu pendant l’été, sera relancé le 30 septembre 2025.

Mis sous pression par l’avalanche de dossiers et l’explosion des fraudes, le gouvernement avait débranché le cordon en juin dernier. Les dysfonctionnements chroniques du dispositif (fraudes, retards, travaux mal faits…) avaient pourtant été mis au jour dès mars 2023 par un numéro du magazine Complément d’enquête.

Selon l’AFP, la réouverture du guichet s’accompagnera d’une réduction du volume des dossiers traités. Seuls 13 000 nouveaux dossiers seront réceptionnés d’ici la fin de l’année. Les ménages modestes seront prioritaires pour faire leur demande. Le gouvernement, qui cherche à faire des économies drastiques en 2026, se réserverait la possibilité de couper à nouveau les vannes si les plafonds d’indemnisation devaient être atteints avant la fin 2025.