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Pourquoi les exilés gazaouis ne bénéficieront pas automatiquement du statut de réfugié en France ?

Une Palestinienne déplacée transporte ses affaires alors qu'elle fuit Beit Lahia, dans le nord de Gaza, le 17 novembre 2024. (Photo d'Omar Al-Qataa / AFP)
Création : 23 juillet 2025

Auteur : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme de Sciences Po Paris

Relectrice et relecteur : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse-associée à l’Université Paris-Saclay

Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W

Une décision de justice a récemment reconnu le statut de réfugiée à une femme originaire de Gaza. Pour plusieurs médias et personnalités politiques, cela ouvrirait la voie à l’accueil de tous les Palestiniens en France. Mais si cette décision marque bien une avancée importante, elle ne signifie ni automaticité, ni généralisation.

Une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a fait grand bruit. Le 11 juillet 2025, la Cour a accordé à une femme gazaouie et à son fils mineur le statut de réfugiés en retenant pour la première fois un risque de persécution au motif de leur « nationalité » palestinienne. « Une décision historique » selon plusieurs associations comme l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, le Comité inter-mouvements auprès des évacués ou encore Amnesty International.

Et pour cause, l’octroi du statut protecteur à ces deux exilés du village de Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza, marquerait un tournant dans le droit d’asile français pour les Palestiniens. « Les exilés gazaouis pourront tous prétendre au statut de réfugié », titre ainsi Mediapart le jour même du verdict de la CNDA.

Si le « Média Participatif » y voit « un symbole très fort », d’autres organes de presse comme Le Journal du dimanche (JDD) relaient des inquiétudes craignant que « ce statut de réfugié accordé aux Gazaouis n’ouvre la voie à un accueil en France ». L’eurodéputé d’extrême droite Aleksandar Nikolic qualifie de « folie » une décision de justice après laquelle « tous les Gazaouis auront automatiquement le statut de réfugié ».

Certains médias ou personnalités politiques qui se sont emparés de cette question juridique complexe n’ont pourtant pas précisé que la décision rendue le 11 juillet par la CNDA n’ouvre pas le statut de réfugié à tous les Gazaouis sans exception, et encore moins de manière automatique. Il est également faux de considérer qu’elle facilite l’accès au territoire français.

Pour autant, cette décision reste notable : elle reconnaît, pour la première fois, que la nationalité palestinienne peut justifier à elle seule un risque de persécution.

Rien ne change pour l’accès

« Cette décision et les décisions de l’Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr] et de la CNDA n’aident aucunement des personnes à entrer sur le territoire », insiste formellement Nicolas Braun, juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile.

La Cour ne s’est d’ailleurs pas prononcée sur cette question. Pour déposer une demande d’asile, il faut déjà avoir pu entrer sur le territoire français. Le jugement du 11 juillet, rappelle le juriste, « concerne uniquement les Palestiniens de Gaza se trouvant en France et ayant choisi de déposer une demande d’asile ». Plusieurs voies, légales ou non, permettent d’accéder à la France, mais aucune « n’est affectée par la décision de la CNDA du 11 juillet », conclut-il.

Autrement dit, pour prétendre au statut de réfugié, il faut avant tout avoir réussi à rejoindre la France — un préalable inchangé. Cette condition ferme matériellement l’accès à ce statut pour la grande majorité des Palestiniens encore enfermés dans la bande de Gaza.

Pour celles et ceux qui ont réussi à en sortir et à arriver jusqu’en France, il « reste un certain nombre de situations où cette décision ne s’appliquera pas », explique Nicolas Braun. En d’autres termes, la décision du 11 juillet n’a pas une portée générale et compte plusieurs exceptions.

Manifestation organisée pour appeler à la cessation des hostilités à Gaza, place de la République à Paris, le 8 juillet 2025. (Photo Dimitar Dilkoff / AFP)

 

Plusieurs exceptions

En accordant à une Gazaouie et à son fils le statut de réfugié, la CNDA juge effectivement que les « ressortissants palestiniens originaires de la bande de Gaza non protégés par l’ONU peuvent se voir accorder le statut de réfugié ». Mais la Cour ne précise jamais qu’il s’agira de « tous » les exilés de Gaza.

Le statut sera refusé aux « personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité » ou bien un « crime grave de droit commun ».

Ainsi, par exemple, un « palestinien de Gaza qui a déjà obtenu une nationalité, quelle qu’elle soit, dans un pays où il est déjà en sécurité » ne pourra pas accéder au statut de réfugié en France, note Nicolas Braun. Mais la Convention de Genève, qui a établi ce statut en 1951, contient également des dispositions pour refuser ce droit à certaines personnes au regard de leurs agissements.

L’article 1F de cette convention précise que le statut sera refusé aux « personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité » ou bien un « crime grave de droit commun [comme un viol ou un meurtre, en tant qu’auteur ou complice, ndlr] ».

Ce refus concerne aussi les personnes « coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ». Il s’agit « par exemple de proxénétisme international ou d’actes de terrorisme », précise Nicolas Braun. Ainsi, le soupçon d’une appartenance du demandeur au mouvement Hamas, classé terroriste par l’Union européenne, empêcherait l’obtention du statut.

À ces dispositions s’ajoutent enfin les précisions de l’article 33, qui interdit l’expulsion ou le refoulement d’un réfugié « sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée ». Le deuxième paragraphe de cet article prévoit la levée de cette protection pour un individu considéré « comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ».

La CNDA prend en compte tous ces points avant d’accorder, ou non, le statut de réfugié. Concrètement, la décision prise le 11 juillet n’ouvre pas ce droit à tous les Gazaouis de manière automatique. « Les décisions continueront d’être rendues au cas par cas », confirme Tania Racho, docteure en droit européen à l’Université Paris II.

Que change alors concrètement la décision du 11 juillet dans l’interprétation du droit d’asile pour les Gazaouis ?

Reconnaissance de nationalité

La décision du 11 juillet fait évoluer la jurisprudence de la Cour, en ce qu’elle reconnaît désormais qu’il existe une persécution des Palestiniens du seul fait de leur nationalité, alors que la France ne reconnaît pas la Palestine comme un État. La Cour a estimé « que les apatrides palestiniens de Gaza possèdent les caractéristiques liées à une « nationalité » ».

Les Palestiniens qui souhaitaient obtenir le statut de réfugié en France devaient prouver qu’ils étaient en danger du fait de « leurs opinions politiques imputées, dans le cas où le Hamas considérait qu’ils étaient pro-Israël par exemple ou pour une appartenance à un groupe social, comme à la communauté homosexuelle »,

Or, le statut de réfugié protège une personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » selon la Convention de Genève.

En clair : avant la décision du 11 juillet, les Palestiniens qui souhaitaient obtenir le statut de réfugié en France devaient prouver qu’ils étaient en danger du fait de « leurs opinions politiques imputées, dans le cas où le Hamas considérait qu’ils étaient pro-Israël par exemple ou pour une appartenance à un groupe social, comme à la communauté homosexuelle », développe Nicolas Braun. Ceux qui ne rentraient pas dans ces critères pouvaient alors se voir accorder la protection subsidiaire qui donne accès à des droits limités.

Depuis la décision du 11 juillet, « comme les Palestiniens de Gaza sont éligibles au statut de réfugié en raison de leur nationalité, nous n’aurons plus à examiner leur droit à la protection subsidiaire », reconnaît le juriste. Ils n’auront plus besoin d’invoquer un danger en raison de leurs opinions ou de leur orientation sexuelle par exemple, puisque la nationalité suffit.

Nicolas Braun rappelle qu’une « nouvelle décision de la CNDA pourrait être prise » pour revenir sur celle du 11 juillet, mais uniquement si « la situation à Gaza venait à changer radicalement et qu’il n’y avait plus aucune persécution de l’armée israélienne à Gaza sur le long terme ».

Autrement dit, si la décision du 11 juillet facilite l’accès au statut de réfugié pour certains Gazaouis déjà présents en France, elle ne constitue en aucun cas une reconnaissance automatique ou généralisée de ce droit à l’ensemble des exilés palestiniens.