Poupette Kenza : pourquoi l’influenceuse reste en détention provisoire, mais pas Pierre Palmade ?
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
La Rouennaise de 24 ans, soupçonnée d’avoir organisé l’extorsion d’une ex associée, a été incarcérée le 11 juillet. Depuis, les réseaux sociaux crient au scandale : la justice serait moins clémente qu’avec Pierre Palmade, libéré sous contrôle judiciaire. Mais l’influenceuse encourt une peine plus lourde que l’humoriste, et ne présente pas les mêmes garanties.
Le pouvoir des influenceurs se mesure, aussi, par la mobilisation de leur communauté virtuelle lorsqu’ils sont inquiétés par la justice. Soupçonnée d’avoir missionné un homme de main pour menacer physiquement et extorquer son ancienne associée, la créatrice de contenus au million et demi d’abonnés sur Tiktok, Poupette Kenza, a été mise en examen pour “tentative d’extorsion en bande organisée” et “association de malfaiteurs” le 11 juillet. Placée en détention provisoire depuis, alors qu’elle attend un enfant, elle reçoit un soutien quasi unanime sur les réseaux sociaux, qui dénoncent une justice à deux vitesses.
“En France, on préfère enfermer une femme enceinte en détention plutôt qu’un Palmade. Tout est logiquement étudié”, fustige une internaute sur le réseau social X, dans un post accompagné des hashtags #poupette et #poupettekenza. “Je suis vraiment dans l’incompréhension, on le sait tous que n’importe qui serait sorti”, avance un autre. “C’est pas normal!”, s’indigne encore un utilisateur très suivi. Et de rappeler que l’humoriste Pierre Palmade, accusé d’avoir “handicapé des personnes à vie et causé la mort d’un bébé dans le ventre de sa maman, selon l’utilisateur, n’a même pas mis un pied en prison”.
Si Pierre Palmade a bien été placé en détention provisoire – qu’il avait effectuée à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, victime d’un accident vasculaire cérébral deux jours plus tôt – il a effectivement été libéré sous contrôle judiciaire. Mais les deux affaires n’ont absolument rien de similaire.
“Crime puni de 20 ans de réclusion criminelle”
À la suite du grave accident de la route qu’il est soupçonné d’avoir causé, l’humoriste est poursuivi pour “blessures involontaires”. “Avec les circonstances aggravantes prévues à l’article 222-19-1 du code pénal, comme l’état d’ivresse, la conduite sous l’emprise de stupéfiants ou l’excès de vitesse, il pourrait encourir jusqu’à sept ans d’emprisonnement, explique Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine. Même si le dommage est très lourd, il n’est pas intentionnel. Il s’agit donc d’un délit, et non d’un crime.”
Or, l’extorsion en bande organisée, infraction pour laquelle Poupette Kenza – de son vrai nom Kenza Benchrif – est mise en examen, “est un crime puni de 20 ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d’amende par l’article 312-6 du code pénal. Il s’accompagne de soupçons de groupe criminel, d’une organisation hiérarchisée qui a préparé l’infraction”, rappelle Jean-Baptiste Thierry.
Cette qualification criminelle entre forcément en ligne de compte dans la décision de placement en détention provisoire, même si les textes ne le prévoient pas explicitement. “Dans les motifs prévus à l’article 144 du code de procédure pénale, il y a : ‘mettre fin au trouble à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction’. Celui-ci est souvent plus important lorsqu’il s’agit d’un crime”, pointe Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l’université Paris Nanterre.
Des complices et une résidence à Dubaï
Le juge d’instruction, puis le juge des libertés et de la détention, peuvent également ordonner l’incarcération d’un prévenu s’ils estiment qu’elle constitue “l’unique moyen” de conserver les “preuves nécessaires à la manifestation de la vérité”, d’empêcher “une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que leurs familles” et la “concertation” entre l’auteur et ses complices, ou encore de “garantir le maintien de la personne mise en examen à disposition de la justice”, selon le code pénal. Plusieurs motifs qui n’étaient pas évidents dans l’affaire Pierre Palmade, mais qui peuvent coller dans le cas de Kenza Benchrif. “Dans la première situation, on peut imaginer que toutes les preuves ont été recueillies au moment de l’accident. Les risques de pression sont donc très faibles. Dans la deuxième, les qualifications retenues pour la mise en examen supposent une intention et une concertation avec des complices, ce qui accroît les risques”, analyse Jean-Baptiste Thierry. D’autant plus que, contrairement à Pierre Palmade, qui a reconnu les faits, l’influenceuse les conteste pour le moment.
L’objectif du “maintien à disposition de la justice” peut aussi être avancé. Si elle a été arrêtée sur le territoire français, Poupette Kenza vit avec son compagnon et ses deux enfants à Dubaï (Émirats arabes unis). “Le juge peut estimer qu’il y a un risque qu’elle s’enfuie et qu’elle ne se présente pas devant le tribunal, commente Audrey Darsonville. Pierre Palmade, lui, avait des garanties : il résidait sur le territoire, et son visage était connu de toute la France”.
S’il ne s’agit que de suppositions – faute d’accès au dossier pénal –, la décision n’a dans tous les cas pas été prise à la légère. “Au moment de l’instruction, la personne est présumée innocente, donc normalement elle reste libre. Ensuite, il y a une gradation des mesures en fonction du risque, et la détention reste l’exception”, abonde la juriste. Le juge des libertés et de la détention aurait pu s’en tenir à un simple contrôle judiciaire ou à la mise en place d’un bracelet électronique, prévus à l’article 137 du code de procédure pénale. “Pour qu’il en arrive à ce stade, cela veut dire que toutes les garanties ont été considérées comme insuffisantes”, conclut Audrey Darsonville. En l’absence de résidence en France, il était sans doute compliqué d’imaginer l’astreindre à des obligations de pointages réguliers au commissariat par exemple.
“La grossesse n’est pas une maladie”
Malgré ce qu’ont pu avancer les internautes critiques de son incarcération, peu importe que la mise en cause attende un enfant. “Est-ce qu’il y a déjà eu des femmes enceintes incarcérées ? La réponse est oui. C’est une situation qui reste exceptionnelle, mais qui n’est pas extraordinaire”, indique Maître Emmanuel Daoud, avocat spécialisé en droit pénal.
Depuis la loi du 15 août 2014, l’article 147-1 du code de procédure pénale prévoit la possibilité d’une remise en liberté lorsque l’état de santé “physique ou mentale” de la personne provisoirement détenue est “incompatible avec le maintien en détention”. Si elle avait bénéficié à Pierre Palmade, hospitalisé après un AVC, la disposition ne concerne pas la grossesse, lorsqu’elle se déroule dans les conditions classiques. “Si elle connaissait des difficultés mettant en danger son bébé et sa santé, il est clair qu’elle n’aurait pas été placée en détention provisoire. Sans cela, la grossesse est un état, pas une maladie, explique Maître Emmanuel Daoud. Si la situation évolue, elle pourra faire appel de la décision à tout moment, et la chambre d’instruction statuera”.
Dans le cas contraire, Poupette Kenza restera en détention provisoire le temps que le juge l’estimera nécessaire. Pour les faits qui lui sont reprochés, l’article 145-2 du code de procédure pénale prévoit qu’elle peut être maintenue, au maximum, quatre ans derrière les barreaux en attendant son procès.
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