Peut-on bloquer les versements de la France à l’UE, comme le propose Jean-Luc Mélenchon ?
Auteur : Alexandre Bialek étudiant en Master 2 Droit européen des Affaires à l’Université Paris-Est Créteil
Relecteurs : Sarah Auclair, doctorante en droit public à l’Université Paris-Est Créteil
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte X, Jean-Luc Mélenchon 17 octobre 2025
Jean-Luc Mélenchon accuse la Commission européenne de menacer la France de blocage des fonds européens si elle ne respecte pas ses consignes budgétaires, appelant en retour à suspendre la contribution française à l’Union. Mais aucune preuve ne confirme cette menace, et la riposte qu’il propose n’est pas prévue par le droit européen.
En route vers le bras de fer avec Bruxelles ? Dans un message publié sur X, le 17 octobre 2025, Jean-Luc Mélenchon dénonce un supposé durcissement des règles budgétaires de l’Union européenne.
Il affirme que la Commission européenne menace de bloquer les versements destinés à la France si celle-ci n’applique pas ses consignes : « La Commission européenne menace de bloquer tous les versements à la France si celle-ci n’applique pas ses consignes budgétaires. Désormais tout le monde se croit en état d’humilier notre pays. L’UE est un tigre de papier », dénonce le leader de La France Insoumise.
Il appelle alors à la riposte : « Il faut répliquer. Bloquer les versements de la France à l’UE. Ne plus payer les 9 milliards d’excédents de contribution que nous payons de plus que nous recevons. Obliger l’Allemagne à payer sa juste part ».
Aucune preuve ne vient toutefois étayer l’existence d’une telle menace de la Commission européenne, comme le rappellent nos confrères de TF1. Quoi qu’il en soit, si Jean-Luc Mélenchon est libre de défendre la politique européenne qu’il souhaite, un tel bras de fer soulèverait néanmoins plusieurs questions juridiques et économiques majeures — que nous allons examiner.
Ce que permet le droit européen
L’Union européenne peut conditionner certains versements à la bonne gestion budgétaire des États. Les articles 121 et 126 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoient une surveillance des finances publiques et, en cas de « déficit excessif », des sanctions : amendes ou gel de certains fonds. Mais jamais une suspension totale des versements à un État membre.
Depuis 2021, le règlement européen a introduit un nouvel outil : la conditionnalité des fonds européens. La Commission européenne peut suspendre ou réduire certains financements lorsqu’une violation de l’État de droit compromet la bonne gestion du budget européen. C’est ce qui est arrivé à la Hongrie en 2022 : Bruxelles a gelé 6,3 milliards d’euros de fonds. L’Union dispose bien d’outils de pression, mais ils sont ciblés, proportionnés et validés collectivement. Rien à voir avec un « blocus » global comme le suggère Jean-Luc Mélenchon.
Ce qui n’est pas prévu par les traités
En revanche, aucun traité ne permet à un État membre de bloquer unilatéralement ses versements au budget européen, comme le propose Jean-Luc Mélenchon. La contribution de chaque pays est fixée par la Décision sur les ressources propres, adoptée par tous les États et ratifiée par leurs parlements. Refuser de payer reviendrait à violer le droit de l’Union, ce qui exposerait la France à une procédure d’infraction (article 258 TFUE) et, à terme, à des sanctions financières décidées par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Et sur le plan national, la contribution française est votée chaque année dans la loi de finances. Ne pas la verser reviendrait donc à ne pas appliquer la loi française elle-même.
Les conséquences d’un bras de fer
Sur le fond, la France peut tout à fait contester les règles budgétaires européennes ou proposer une réforme des traités. Une telle démarche nécessite une révision du cadre budgétaire européen qui doit être adoptée à l’unanimité des vingt-sept États membres. Une suspension unilatérale de sa contribution serait en revanche une rupture de confiance avec ses partenaires, qui pourrait entraîner des représailles, comme la suspension de certains financements européens ou une mise à l’écart dans les négociations budgétaires.
Enfin, une telle décision ne relève évidemment pas du seul président du groupe LFI : elle nécessiterait de trouver une majorité à l’Assemblée nationale pour adopter une loi de finances allant dans ce sens.
