Petit point sur les sanctions européennes contre la Russie depuis le début de la guerre, à la veille du onzième « paquet »

Crédits photo : Phl59 & Kaihsu (CC 2.0)
Création : 22 mai 2023

Autrice : Angèle Dupont, master de droit de l’Union européenne, Université de Lille

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani

À la veille du onzième paquet de sanctions contre la Russie, un point s’impose sur les sanctions existantes et leur fondement juridique. Face aux contournements de ces sanctions, le choix effectué est celui d’un ciblage toujours plus étendu.

Dans la déclaration commune de la France et de l’Ukraine, publiée suite à la réunion des présidents de l’Ukraine et de la République française du 14 mai, ces derniers se sont accordés sur la nécessité d’accroître les pressions collectives sur la Russie par de nouvelles sanctions afin d’affaiblir la capacité de ce pays à poursuivre la guerre. Ils ont évoqué la nécessité d’intensifier les efforts pour garantir une mise en œuvre efficace des sanctions et empêcher et prévenir le contournement des sanctions dans et par des pays tiers.

Quelques jours plus tôt, dans un tweet publié à l’occasion de la journée de l’Europe le 9 mai dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen a déclaré que « Nous continuons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éroder la machine de guerre de Poutine et ses revenus…l’accent est désormais mis sur la répression du contournement, en collaboration avec nos partenaires internationaux ». Dans ce même tweet, la présidente de la Commission européenne annonce également que la Commission a proposé un onzième paquet de sanctions à l’encontre de la Russie.

À ce stade, il convient de faire un point sur les sanctions européennes qui ont été prises à l’encontre de la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine, en précisant d’emblée qu’avant même la guerre en Ukraine, la Russie faisait déjà l’objet de sanctions de la part de l’UE à la suite de l’annexion de la Crimée et de l’absence de mise en œuvre des accords de Minsk de 2014. C’était par plusieurs règlements européens des 5 mars, 17 mars, et  31 juillet 2014. Le 23 juin 2014, un règlement européen riposte à l’annexion de la Crimée.   

Face au blocage à l’ONU, l’Union européenne réagit

Face à l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, le conseil de sécurité de l’ONU a tenté de réagir, mais  s’est trouvé face à un blocage lié au véto de la Russie en tant que membre permanent du conseil. D’autres organes ont par conséquent pris la relève. Les principaux émetteurs de sanctions contre la Russie sont depuis lors l’Union européenne et ses États membres, le Royaume-Uni et les États-Unis. 

C’était la première fois que l’UE adoptait des mesures aussi larges à l’encontre d’un pays. Certains pays candidats à l’entrée dans l’UE se sont rapidement alignés sur ces sanctions, comme la Macédoine du Nord, le Monténégro ou encore l’Ukraine elle-même. À l’inverse, d’autres ont refusé, notamment la Hongrie et la Turquie.

Lors de l’annexion des territoires conquis par la Russie (les régions du Dombass et de Louhansk), un autre paquet fut adopté par un règlement européen du 23 février 2022.

Quelles sont les cibles de ces sanctions ?

Les sanctions ont été prises par « paquets » successifs. Nous en sommes actuellement au dixième paquet (cf. le détail sur le site du Trésor français). Les cibles sont  jusqu’à présent principalement les personnes physiques, notamment Vladimir Poutine lui-même, mais également des personnes morales, notamment les banques russes. Les biens se trouvant sur le territoire de l’UE sont également touchés (les navires, les logements notamment). Ces sanctions européennes visent aussi les entreprises européennes elles-mêmes, en leur interdisant de commercer avec la Russie.

L’UE a également adopté des sanctions contre la Biélorussie en réponse à son implication dans l’invasion de l’Ukraine, et contre l’Iran en raison de la fabrication et de la fourniture de drones à la Russie.

Les secteurs ciblés

 Un des secteurs visés était celui des banques russes, avec en particulier la déconnexion des systèmes de paiement par carte de crédit (Visa, Mastercard). Puis il y a eu l’interdiction d’importer le pétrole russe, et en particulier les carburants raffinés, à plus forte valeur ajoutée, ce qui a conduit la Russie à réorienter ses exportations vers l’Asie, à moindre prix. L’UE a également plafonné le prix du pétrole russe à 60 dollars le baril, et pris certaines mesures à l’égard des transporteurs de produits pétroliers, pour assurer le respect de ce plafond.

Dans le domaine de la défense, l’UE a interdit  d’exporter vers la Russie les biens à double usage, c’est-à-dire ceux qui, tout en ayant un objet civil, peuvent servir aux forces armées russes (cf. la liste de ces biens à double usage sur le site du ministère de l’Économie).

Concernant les transports, les sanctions se traduisent par la fermeture de l’espace aérien européen aux aéronefs russes, ainsi que des ports de l’UE. Les échanges concernant les matières premières telles que l’or, le fer, le bois font également l’objet de restrictions voire d’interdictions. 

Les domaines plus récemment visés par les sanctions européennes sont les services (conseils juridiques, ingénierie…), les médias (suspension de la diffusion de média russe telle que Russia Today) et des mesures concernant les visas (interdiction de voyage dans les États membres de l’UE) .

Toutefois,  les sanctions ne concernent pas les exportations de denrées alimentaires et de produits agricoles ni les transactions qui y sont liées. Sont également exclues les transactions liées au retraitement de l’Uranium, dont seule la Russie possède une filière industrielle, et dont certains pays, en particulier la France, dépendent. 

Ajoutons enfin que les députés français ont adopté à l’unanimité, ce mardi 9 mai, une résolution visant « à appeler la France et l’Union européenne à inscrire la milice Wagner sur la liste des organisations terroristes ». Ce groupe est notamment accusé d’exactions en Ukraine dont certaines pourraient être qualifiées de « crime de guerre ».

Le onzième paquet de sanctions entend éviter le contournement des sanctions précédentes

Ce onzième paquet de sanctions dirigé contre la Russie a été présenté aux États membres de l’UE vendredi 5 mai dernier. Les discussions ont commencé ce mercredi 10 mai, les mesures pourraient être complexes. Son objectif principal est d’éviter le contournement – massif et documenté – des sanctions déjà en place. Dans le huitième paquet de sanctions, l’UE avait adopté une disposition prévoyant l’inscription sur une liste noire de personnes de toutes nationalités qui facilitent le contournement des sanctions. Cette liste noire a eu pour conséquence d’étendre aux ports voisins de pays tiers l’interdiction d’accès aux ports de l’UE pour les navires russes, ports dans lesquels certains d’entre eux déchargeaient leurs marchandises. 

À l’occasion de la journée de l’Europe, le 9 mai dernier, la présidente de la Commission européenne a annoncé un onzième train de sanctions à l’encontre de la Russie. Celui-ci est axé sur la répression du contournement des sanctions, en coordination avec les partenaires internationaux de l’UE. 

Il s’agit ainsi d’empêcher les firmes étrangères et les pays tiers d’aider la Russie à importer  des biens de façon détournée (notamment les composants électroniques et les semi-conducteurs). Dans cet objectif, la proposition de la Commission vise 541 sociétés, dont la plupart sont russes. Cependant, la proposition vise également des entreprises tierces, notamment huit entreprises chinoises et hongkongaises, accusées de contourner les sanctions et d’approvisionner la Russie.

Les entreprises visées par la proposition de la Commission seront davantage surveillées. Lors de sa déclaration de presse du 9 mai, la présidente de la Commission européenne a précisé que si la Commission constate que des marchandises partent de l’UE vers des pays tiers et se retrouvent en Russie, ils pourront proposer aux États membres de sanctionner l’exportation de ces marchandises. Pour finir, lors de son discours, Ursula Von der Leyen précise que ce onzième paquet a également pour but d’interdire les entités « fantômes » de la Russie et de pays tiers qui contournent intentionnellement les sanctions. 

Sur le plan diplomatique, ces sanctions risquent de provoquer des tensions avec les pays tiers. C’est pourquoi Ursula Von der Leyen a précisé que le mécanisme à venir serait utilisé « avec prudence », en « dernier recours«  après une « analyse de risques très diligente« .

Un douzième train de sanctions est d’ailleurs déjà évoqué.

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