Partis politiques européens, la laborieuse percée
Autrice : Julie Rondu, docteure en droit public, Université de Strasbourg, avec Clotilde Jégousse, journaliste
Cet article est une republication mise à jour d’un article publié en 2019 pour les précédentes élections européennes.
Les dix partis politiques européens, peu visibles et méconnus des citoyens, tenteront d’exister dans le débat public lors de la campagne des élections européennes de 2024.
Dans un discours prononcé à la Sorbonne en 2017, le Président de la République Emmanuel Macron prêtait aux partis politiques européens une importance considérable, expliquant qu’il ne « laisserait pas à ces grands partis le monopole du débat sur l’Europe et les élections européennes », avant d’appeler les citoyens européens à s’en saisir à leur place. À l’époque, le poids des formations européennes, composante de la démocratie représentative sur laquelle se fonde le fonctionnement de l’Union, était pourtant relatif, autant qu’il l’est encore aujourd’hui.
Des partis composés de partis
Les partis politiques européens regroupent des formations de différents pays qui partagent la même sensibilité politique. Ils ne doivent pas être confondus avec les groupes politiques du Parlement européen, qui rassemblent les eurodéputés depuis la création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1952.
Le droit de l’Union les encadre : ils sont enregistrés auprès d’une autorité indépendante, l’Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes. Celle-ci s’assure de leur bon respect des valeurs de l’Union, qui conditionne le maintien de leur statut. Ils sont dotés de la personnalité juridique européenne, et bénéficient de financements de l’Union, qui sont majoritairement alloués en fonction du nombre de ses députés au Parlement européen, et qui ne peuvent être utilisés pour financer des campagnes nationales.
Le Parti populaire européen (PPE), créé en 1976, est le plus ancien parti politique européen. Il est aussi le plus important : Il regroupe 70 partis conservateurs et démocrates-chrétiens de différents États membres, comme Les Républicains français ou la CDU de l’ancienne chancelière Angela Merkel, et dispose de son propre groupe au Parlement européen. Le Parti socialiste européen, deuxième plus grande formation, s’est transformé en parti des Socialistes et démocrates (S&D) en 2009 et réunit, lui, une cinquantaine de partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes dans tous les États membres, comme les partis socialistes français ou belge. On trouve également l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe – dont le nom du groupe au Parlement européen “Renew” fait directement référence au parti Renaissance d’Emmanuel Macron en France –, le Parti vert européen, le Parti de la Gauche européenne – dont est membre La France insoumise –, ou encore l’Alliance des conservateurs et réformistes européens, parti plutôt eurosceptique dans lequel on retrouve les Frère d’Italie de la première ministre Giorgia Meloni, ou encore le parti Droit et justice (PiS) polonais.
Difficile intégration aux paysages politiques nationaux
Depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, les différents traités sur l’Union européenne ont successivement tenté de renforcer le rôle des partis politiques européens, sans y parvenir tout à fait, alors que, dans le même temps, ils renforçaient considérablement ceux du Parlement européen.
En 1992, le traité de Maastricht les reconnaît pour la première fois comme organisation politique. En 2003, le traité de Nice leur permet d’être financés par l’Union européenne, dès lors qu’ils sont représentés dans au moins un quart des États membres de l’Union, que ce soit dans les parlements nationaux, régionaux, ou au Parlement européen, ou qu’ils ont obtenu au moins 3% des voix aux élections européennes ; que le parti a participé ou exprimé publiquement son intention de participer aux élections au Parlement européen ; et qu’il respecte les valeurs de l’Union, parmi lesquelles figurent notamment les droits de l’homme. On retrouve ici un écho avec la Constitution française, qui prévoit qu’en France, les partis politiques doivent respecter la démocratie (article 4). Ils ne doivent pas non plus poursuivre de but lucratif. Six ans plus tard, le traité de Lisbonne est adopté et il est prévu à l’article 10 du traité sur l’Union européenne (TUE) : « les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union ».
Depuis 2019, en France, un avis du Conseil d’État leur a reconnu la possibilité de « participer, y compris financièrement, à la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen en France, seuls ou conjointement avec des partis nationaux ».
Pourtant, leur rôle consiste encore pour l’essentiel à coordonner les campagnes lors des élections européennes. Ils ne choisissent pas les candidats, qui continuent d’être investis par les partis politiques nationaux. Ils sont aussi très peu visibles à l’échelle des différents États, notamment parce que leurs partis membres nationaux rechignent à les mettre en avant, sur les tracts et sites internet notamment. Les propositions qu’ils formulent lors des campagnes ne sont pas non plus systématiquement suivies d’effet.
Des projets en suspens
Plusieurs pistes sont étudiées pour tenter d’asseoir la légitimité de ces partis européens, dans le but de créer un véritable « espace public européen » qui permettrait de combler le supposé « déficit démocratique » de l’Union. La pérennisation de la procédure dite du « spitzenkandidat » en est une. Emprunté au système électoral allemand, ce terme désigne lors d’un scrutin le « candidat en tête de liste ». Appliqué à l’échelle de l’Union européenne, il désigne le mécanisme selon lequel est élu Président de la Commission le candidat du groupe politique européen ayant remporté le plus de sièges au Parlement européen. Pour que cela fonctionne, chaque groupe doit désigner en amont de l’élection son candidat au poste de président de l’organe exécutif de l’Union. Celui-ci défend un programme européen, le confronte aux discours d’autres candidats pendant la campagne électorale, ce qui accroît la visibilité de leurs partis respectifs. Un mécanisme qui a fonctionné en 2014 lorsque le Parlement européen a imposé Jean-Claude Juncker à la tête de l’exécutif, mais qui s’est heurté aux États en 2019 lorsque la France a joué de son influence pour faire élire Ursula von der Leyen. Qu’en sera-t-il en 2024 ? Qui du Parlement ou des États remportera le match ?
L’adoption de listes transnationales pourrait également être une option : chaque parti politique proposerait une seule liste de candidats au niveau de l’Union, qui regrouperait donc des candidats originaires de différents États membres, défendant les mêmes positions politiques.
En mai 2022, le Parlement européen s’était prononcé en faveur de ces deux dispositifs, dans un projet de réforme de la loi électorale de l’Union européenne. Le Conseil de l’Union, composé des ministres des États membres, s’y est néanmoins opposé en juin 2023, sans toutefois mettre un terme aux discussions. La France, favorable à la mise en place des listes transnationales – Emmanuel Macron avait suggéré que les sièges laissés vacants par les eurodéputés britanniques dans le cadre du Brexit soient pourvus par le biais de listes européennes en 2017 – continue de pousser en ce sens. La tâche s’annonce ardue, à six mois de nouvelles élections européennes, et alors qu’une majorité de Français regarde l’Union européenne avec indifférence (15 %), scepticisme (23 %) ou défiance (41 %).
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