Portrait d'Amandine Cayol, IERDJ Caen - tous droits réservés

Ouverture de la PMA aux hommes transgenres : quels obstacles juridiques ?

Création : 19 juillet 2023
Dernière modification : 20 juillet 2023

Propos recueillis par Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay, et Clotilde Jégousse, journaliste

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Le 5 juillet dernier, des députés de La France Insoumise (LFI) ont présenté une loi pour ouvrir la PMA aux hommes transgenres. Une proposition qui “juridiquement, ne colle pas”, selon Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé.

 

“Une mention de sexe [sur l’état civil], selon nous, ne devrait pas empêcher et faire obstacle à la parenté”, a déclaré la députée LFI Ségolène Amiot à l’issue d’une conférence de presse, mercredi 5 juillet, à l’Assemblée nationale. 

Au cours de celle-ci, elle a énuméré ce que le groupe considère comme de “trop nombreux manquements et omissions, angles morts et ‘oublis’” inhérents à la “loi bioéthique” de 2021, qui avait ouvert la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules. Au premier rang desquels : l’accès à la PMA pour les hommes transgenres – nés biologiquement femmes – en capacité d’avoir une gestation, mais aussi la possibilité pour une femme de recevoir les ovocytes de sa partenaire (ROPA), ainsi que celle pour les couples d’hommes de reconnaître un enfant de façon anticipée. Elle a donc réclamé leur inscription dans la loi, afin, selon la députée, “d’assurer une sécurité médicale et juridique, ainsi qu’une cohérence en droit” au nom de “l”égalité, et de la non-discrimination”

Depuis 2016 et la loi de “modernisation de la justice du XXIème siècle”, le changement de sexe à l’état civil n’est plus soumis à l’engagement de traitements ou d’opérations médicales. Certains hommes selon l’état civil peuvent donc porter un enfant car ils ont gardé leurs organes génitaux féminins. Ils ne peuvent néanmoins pas recourir à la PMA, que la loi de 2021 a réservé aux femmes. Une situation que le Conseil constitutionnel, saisi par une association qui reprochait à la nouvelle loi de “priver d’accès à l’assistance médicale à la procréation les couples d’hommes ou les hommes seuls”, avait jugée conforme à la Constitution.   

Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé à l’Université de Caen Normandie, qui co-dirige l’axe bioéthique/biodroits de la Chaire d’excellence Normandie pour la Paix, a décrypté pour nous cette décision, ainsi que la proposition de loi de LFI – qui n’est à ce jour plus disponible sur le site de l’Assemblée nationale.  

Les Surligneurs (LS) : Comment le Conseil constitutionnel avait-t-il justifié, en 2021, ce qui ressemble à une inégalité ? 

Si des personnes sont dans une situation différente, elles peuvent être traitées de manière différente par la loi

Amandine Cayol (AC) : C’est toujours la même chose. Quand le principe d’égalité est invoqué devant le Conseil constitutionnel, il reprend toujours sa petite phrase habituelle : “Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et dans l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit”.

L’idée, c’est que pour que le législateur soit obligé de traiter des personnes de façon identique, il faut qu’elles soient dans une situation identique. Si des personnes sont dans une situation différente, elles peuvent être traitées de manière différente par la loi. On le retrouve dans beaucoup de décisions du Conseil constitutionnel. En l’occurrence, c’est très simple : il dit “les hommes seuls et les couples d’hommes sont dans une situation différente des femmes seules ou des couples de femmes, puisqu’ils n’ont pas le même sexe à l’état civil”. Il considère qu’on peut les traiter de façon différente. 

Autre phrase classique aussi : le Conseil constitutionnel souligne qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur. Cela signifie que, si on veut une évolution sociétale, c’est au législateur de le décider, et pas au Conseil constitutionnel. C’est aussi le cas pour les problématiques liées au de droit de la famille : à chaque fois, le Conseil constitutionnel refuse de faire avancer les choses lui-même. Il considère que c’est au législateur de décider des évolutions sociétales, qu’elles ne relèvent pas de sa compétence. On reste un peu sur sa faim quand on lit ce genre de décisions. C’est toujours un contrôle très restreint, très formel finalement. “Situation différente, donc c’est pas grave : pas de rupture d’égalité. Et, si non, c’est au législateur de décider”. Il disait la même chose au sujet de couples homosexuels qui ne pouvaient pas se marier (NDLR : avant la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous). 

On peut regretter que ce contrôle aussi restreint et aussi formel soit un contrôle qui au final est quasi-inexistant, et qui n’apporte pas grand chose. Mais, après tout, c’est au législateur de décider d’évolutions qui sont importantes. Ce n’est pas rien de décider d’étendre ou pas la procréation médicalement assistée aux couples d’hommes. 

LS : Concrètement, est-il possible, dans la loi, d’ouvrir la PMA aux “hommes transgenres” ? 

L’appellation essaie de prendre en compte l’aspect biologique en plus de l’aspect juridique

AC : Je ne pense pas qu’on puisse, dans un texte, expressément réserver une règle aux personnes transgenres. La PMA est aujourd’hui réservée aux femmes, certes, mais on reste sur des concepts juridiques. Les femmes le sont au sens de l’état civil. On pourrait l’étendre aux hommes, puisque pour l’instant on est dans un système binaire en France : au sens de l’état civil, soit on est homme soit on est femme, l’’homme transgenre” n’existe pas. L’appellation essaie de prendre en compte l’aspect biologique en plus de l’aspect juridique. 

L’argument de La France Insoumise, c’est de partir sur l’aspect biologique, et de dire que les couples de femmes peuvent aussi concerner des personnes qui, au plan juridique, sont des hommes, mais qui biologiquement sont restées femmes. Cela, à mon avis, a peu de chances d’aboutir. En France, le droit prend en compte uniquement le sexe de l’état civil. La proposition reviendrait à mettre une personne juridiquement homme dans “couple de femmes” pour la PMA, parce qu’elle est restée biologiquement femme, alors même que cette personne a fait toutes les démarches pour être reconnue uniquement comme homme à l’état civil.

La solution la plus simple serait d’ouvrir la procréation à tous, c’est d’ailleurs souvent la demande

Et c’est son souhait : il veut être un homme. Afficher dans la loi “homme transgenre”, juridiquement, ça ne colle pas. La solution la plus simple serait d’ouvrir la procréation à tous, c’est d’ailleurs souvent la demande. Mais là, ça veut dire que pour la plupart des hommes, la seule solution, c’est la gestation pour autrui (GPA). Comment un homme seul ou un couple d’hommes non transgenres pourraient procréer autrement que par le biais de la GPA ? Il n’y a pas de solution.

Même en légalisant la PMA pour toutes, on l’a réservée à des femmes qui l’étaient juridiquement et biologiquement. Donc le seul pas que la loi a fait, c’est que maintenant, la médecine procréative n’est plus que thérapeutique : en plus de pallier l’infertilité biologique, elle pallie l’infertilité dite “sociale”, ce qui est d’une certaine façon “amélioratif”. Mais il n’y a pas de dissociation entre le biologique et le juridique, puisque les personnes qui sont concernées sont, juridiquement et biologiquement, des femmes. 

Dans le cas de la PMA pour les hommes transgenres, là on a des dissociations auxquelles notre système juridique n’est pas prêt pour l’instant. Les hommes transgenres sont des personnes qui, juridiquement, sont des hommes, mais biologiquement peuvent être des femmes. Comment est-ce qu’on fait ? Selon les États, on ne prend pas les mêmes décisions. En Allemagne, en matière de filiation, c’est le sexe “d’origine” – enregistré à la naissance – qui est pris en compte. Pour eux, un homme transgenre serait une mère. En droit français, on ne sait pas trop … Dans une décision du 16 septembre 2020, la Cour de cassation a refusé de reconnaitre la maternité d’une femme transgenre (qui avait conçu l’enfant avec ses attributs sexuels masculins). En effet, actuellement lorsqu’un enfant est issu d’une relation charnelle, il ne peut avoir qu’un père et une mère. La mère étant celle qui accouche, la femme transgenre ne pouvait être une seconde mère biologique. Cependant, la cour d’appel de renvoi de Toulouse, dans un arrêt du 9 février 2022, a admis l’établissement judiciaire de la filiation maternelle.  

LS : Quid de la possibilité pour une femme de recevoir les ovocytes de la partenaire, écartée lors des discussions de la loi de 2021 ?

La mère est juridiquement  celle qui accouche

AC : C’est un problème de dissociation aussi. Pour nous, jusqu’à présent, et c’est toute la problématique avec la gestation pour autrui (GPA), la mère est juridiquement  celle qui accouche. Il y a vraiment cet impensé en France. C’est pour ça qu’on est embêté avec la GPA : précisément parce que, dans ce cas là, la mère d’intention – celle qui souhaite devenir la mère aux yeux de la loi – n’est pas celle qui accouche.

Même chose dans le cas de la réception par une femme des ovocytes de sa partenaire : ça donnerait une situation dans laquelle une personne serait uniquement gestatrice (celle qui porte l’enfant), et une autre uniquement génitrice (la donneuse). On a donc une dissociation de la mère en deux personnes, qui là pour le coup sont bien toutes les deux des mères d’intention, puisqu’elles veulent bien sûr être parents de l’enfant ensuite. On aurait donc deux mères, ce qu’on n’arrive pas pour l’instant à concevoir juridiquement. Actuellement, dans un couple de femmes, il y en a forcément une des deux qui va porter l’enfant, en être à la fois gestatrice et génitrice, et l’autre qui n’a aucun lien biologique avec l’enfant, bien qu’elle fasse partie du projet parental. On ne reconnaît pas automatiquement de statut à cette personne. La femme qui accouche est mère de ce fait (article 342-11, alinéa 2 du Code civil). La seule possibilité qui est offerte à l’autre femme pour établir un lien de filiation avec l’enfant est une reconnaissance conjointe (alinéa 1 du même article), laquelle ne produira effet que lors de la naissance de l’enfant. Une éventuelle filiation paternelle pourrait ainsi primer en cas de conflit avec un amant de la femme gestatrice.

C’est la différence entre d’un côté la PMA pour toutes, légalisée, et de l’autre la PMA pour les hommes transgenres et la ROPA. Il y a une difficulté supplémentaire pour nos concepts juridiques qui ne sont pas du tout adaptés à ça, tandis qu’ils ont pu s’adapter un peu mieux à la PMA pour toutes.

LS : Le même verrou existe donc pour la GPA ?

AC : Lorsqu’une GPA est réalisée à l’étranger (NDLR : les conventions de mère porteuse sont interdites en France par la loi de 1944 relative au respect du corps humain, codifiée à l’article 16-7 du Code civil), depuis la réforme de 2021, qui a modifié l’article 47 du Code civil, on n’a plus de transcription à l’état civil en France pour la mère d’intention. Elle ne peut pas figurer sur l’acte de naissance français. Pourquoi ? Parce que la mère est celle qui accouche, donc la mère porteuse. Pour le père d’intention, qui en général est aussi biologiquement le père : la transcription est acceptée. La mère d’intention, par contre, ne peut qu’adopter l’enfant de son conjoint. La filiation se fait de manière détournée, elle n’est pas automatiquement la mère de cet enfant. 

Jusque-là, la Cour européenne des droits de l’Homme avait toujours été saisie par des  mères d’intention qui n’avaient aucun lien biologique avec l’enfant. Mais, le 16 juillet 2020, la Cour a rendu un arrêt « D contre France » concernant un couple qui avait eu recours à la GPA en Ukraine et, pour une fois, la mère d’intention était aussi génétiquement la mère, puisqu’elle avait donné ses propres gamètes. La mère porteuse n’était que gestatrice. La mère d’intention a donc demandé la transcription, au motif qu’elle était biologiquement la mère de l’enfant. La Cour lui a répondu, schématiquement : “peu importe que vous soyez biologiquement la mère de l’enfant. Vous n’avez pas droit à la transcription, puisque vous avez un autre moyen, qui est l’adoption, pour avoir un lien avec cet enfant”. On voit bien ici que l’aspect “mère génétique” n’est pas pris en compte, que ni la loi ni le juge ne lui accordent de valeur particulière … parce qu’on ne sait pas comment faire. Ça nous trouble énormément de dissocier génétique et gestation. La ROPA, c’est un peu ça aussi.

LS : Il semble alors difficile que la proposition de loi LFI aboutisse ? 

AC : Admettons qu’on vote une loi qui n’ouvre la PMA qu’aux hommes transgenres, et que le Conseil constitutionnel la valide… on en reviendrait toujours au même problème : si on veut vraiment que la procréation soit ouverte à tous, pourquoi ne pas inclure  les hommes “cisgenres” et les hommes seuls ? 

Probablement qu’un jour on arrivera à la procréation pour tous, si on regarde d’où l’on vient

Alors bien sûr, le Conseil constitutionnel dirait que ça ne pose pas de problème puisque c’est une situation différente, mais en termes de revendications sociétales et donc d’évolution législative, on voit bien que c’est un pas supplémentaire. C’est peut être aussi le sens des choses. Après chaque modification de la loi, on se dit “mais, telle catégorie n’est pas prise en compte, ce n’est pas juste, alors on va les inclure”.

Finalement, probablement qu’un jour on arrivera à la procréation pour tous, si on regarde d’où l’on vient : au début, en 1994, c’était très cadré, la PMA n’avait qu’une vocation thérapeutique pour les couples hétérosexuels infertiles (NDLR : les trois premières lois de bioéthique ont été adoptées en juillet 1994 en France). En ouvrant la PMA à toutes les femmes en 2021, on est sorti du thérapeutique. Donc maintenant, la question c’est : pourquoi seulement les femmes, et pourquoi pas les autres ?

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