Non, Volodymyr Zelensky ne se maintient pas au pouvoir de manière illégitime
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W
Source : Compte Facebook, le 30 novembre 2024
Depuis la fin théorique du mandat du président de l’Ukraine en mai 2024, la question de sa légitimité revient régulièrement, largement alimentée par les discours prorusses. Sauf qu’en l’état, l’organisation d’élections n’est juridiquement et techniquement pas possible.
C’est un moyen d’attaque puissant pour le régime russe : théoriquement, Volodymyr Zelensky ne serait plus président de l’Ukraine. Son mandat a expiré le 20 mai 2024 et il n’a pas été réélu, faute d’organisation d’élections présidentielles du fait de la guerre.
Cette situation politique inédite nourrit les arguments des partisans de la Russie. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui pointent cette apparente incohérence juridique. Un internaute écrivait en novembre 2024 que Volodymyr Zelensky était aujourd’hui « devenu illégitime, car non réélu ».
Comment expliquer, en effet, qu’un homme politique dont le mandat est arrivé à expiration et qui n’a pas été réélu reste au pouvoir ? Les autorités ukrainiennes l’expliquent par le contexte exceptionnel de guerre que connaît le pays et qui empêche, selon eux, l’organisation d’un scrutin.
Article 108 de la Constitution
La même semaine où Volodymyr Zelensky aurait dû laisser la place à son successeur, ou se préparer à son second mandat, la propagande russe a fusé. Le 22 mai dernier, dans l’émission de télévision « Evening with Vladimir Solovyov » présentée par un propagandiste russe notoire, le message principal était celui-ci : les Ukrainiens considèrent Volodymyr Zelensky comme un usurpateur.
De son côté, Vladimir Poutine a déclaré le 24 mai que « la légitimité de l’actuel chef de l’État a pris fin ».
Même du côté ukrainien, quelques voix s’élèvent pour critiquer le maintien du président en poste depuis 2019. Le 13 février, c’est le député ukrainien Oleksandr Dubinsky qui a refusé de reconnaître le président de l’Ukraine comme tel au-delà de mai 2024.
« Les pouvoirs du président ukrainien expirent dans la nuit du 20 au 21 mai 2024 et ne peuvent être prolongés, comme c’est le cas de la Verkhovna Rada. Après le 20 mai, la Rada [le Parlement ukrainien, ndlr] est légitime, mais [pas] le président », a-t-il écrit sur Telegram en février dernier.
En réponse, le président de la Rada a défendu le statut de Volodymyr Zelensky. « Tous ceux qui remettent en cause la légitimité du président Zelensky sont des ennemis de l’Ukraine », a asséné Rouslan Stefantchouk en conférence de presse.
Selon lui, l’article 108 de la Constitution, combiné à la loi martiale, justifie cette situation. Cet article dispose que « le président de l’Ukraine exerce ses pouvoirs jusqu’à l’entrée en fonction du président de l’Ukraine nouvellement élu ». Or, aucune élection présidentielle ne peut avoir lieu pour le moment en Ukraine.
Article 19 de la loi martiale
Le régime juridique de la loi martiale (article 19) prévoit que quand elle est en vigueur « il est interdit d’amender la Constitution de l’Ukraine, d’amender la Constitution de la République autonome de Crimée, d’organiser les élections du président de l’Ukraine, ainsi que les élections à la Verkhovna Rada de l’Ukraine ».
Cette loi a été adoptée en 2015, avant l’arrivée de Volodymyr Zelensky au pouvoir, et est donc en vigueur depuis.
Si la loi a été adoptée en intégrant cette interdiction d’élire certains représentants, cela s’expliquerait par des raisons pratiques. Selon la BBC, plusieurs raisons sont citées pour expliquer qu’une partie de la population s’opposerait à la tenue d’élections en l’état : l’impossibilité pour les militaires et les déplacés de voter et l’insécurité notamment.
« Comment voulez-vous organiser des élections quand plusieurs millions de personnes ont quitté le pays, environ 10 millions sont déplacés sur les fronts armés et qu’il y a plusieurs bombardements par jours ? », questionne Galia Ackerman, historienne spécialiste de monde russe et postsoviétique.
Et du point de vue des constitutionnalistes ukrainiens, il n’existe que peu de débats sur la question de la légitimité de Volodymyr Zelensky. « De nombreux experts en droit constitutionnel estiment qu’il existe une logique commune concernant le maintien des pouvoirs de la Verkhovna Rada de l’Ukraine et du président de l’Ukraine, qui est également liée au principe de continuité institutionnelle. À mon avis, il serait approprié que la Cour constitutionnelle de l’Ukraine commente cette situation juridique », explique Volodymyr Fesenko, analyste politique ukrainien et directeur du Center for Applied Political Studies « Penta ».
Légitimité politique
D’un point de vue plus politique, Volodymyr Zelensky disposerait également d’une légitimité solide pour rester au pouvoir.
Le 20 mai 2024, lors d’une conférence de presse, un porte-parole de l’ONU a déclaré (à 18 minutes) qu’il était toujours considéré comme le président de l’Ukraine par l’organisation internationale. « Pour nous, le président Zelensky continue d’être le chef d’État en Ukraine et une personne avec laquelle le Secrétariat des Nations unies échange quand il a besoin de parler avec le chef de ce pays. »
Au sein de la population ukrainienne, contrairement à ce qu’a pu vouloir faire croire la Russie, les citoyens soutiennent majoritairement l’actuelle situation de Volodymyr Zelensky, d’après les sondages. En mai 2024, l’un d’eux, issu du Kyiv International Institute of Sociology (Kiis), a établi que près de 70 % des Ukrainiens étaient favorables à ce qu’il reste président, malgré la fin de son mandat.
Malgré une baisse de popularité, notamment à cause d’une loi exigeant la mobilisation de civils pour le front, il continuerait d’avoir le soutien d’environ 60 % d’Ukrainiens, selon un article d’octobre 2024 du Kyiv Independant.
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