European Union (CC, 4.0 - photo modifiée)

Non, Ursula von der Leyen n’a pas annoncé de nouveau règlement européen visant à « contrôler le discours en ligne »

Création : 31 décembre 2024

Auteur : Hugo Guguen, juriste

Relecteurs : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP (Université Paris-Saclay) et enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Ella Couet, étudiante en master de journalisme à Sciences Po Paris

Source : Compte Facebook, le 30 décembre 2024

Contrairement à ce qu’avancent certains internautes, Ursula von der Leyen n’a pas annoncé de nouveau règlement européen qui aurait pour but de contrôler le discours en ligne. La vidéo qui circule en ligne date de 2021 et concerne le Règlement sur les services numériques, pleinement applicable depuis le 17 février 2024.

Fin décembre 2024, plusieurs comptes Facebook et X (anciennement Twitter) ont partagé une vidéo annonçant qu’une nouvelle loi dédiée à « contrôler » le discours en ligne est en route à Bruxelles. Les internautes sont formels : « Les mondialistes déclarent la guerre à la liberté d’expression », peut-on lire sur Facebook et sur X.

Selon eux, l’Union européenne devrait se doter, sous peu, d’un nouveau règlement ayant un objectif de « contrôle » : « Ursula von der Leyen a dévoilé un plan effrayant visant à réguler les plateformes de médias sociaux et à contrôler le discours en ligne. »

Ils en veulent pour preuve une vidéo dans laquelle la présidente de la Commission européenne dit vouloir rendre illégal en ligne tout ce qui l’est en dehors des réseaux sociaux.

« Nous voulons que les plateformes soient transparentes sur le fonctionnement de leur algorithme, car nous ne pouvons accepter que des décisions ayant un impact important sur notre démocratie soient seulement prises par des programmes (d’ordinateurs, ndlr) », précise ainsi Ursula von der Leyen dans la vidéo.

« L’UE propose une nouvelle loi qui obligerait les entreprises de la tech à expliquer leurs algorithmes », est-il indiqué dans la vidéo. « Nous devons contenir cet immense pouvoir des grandes entreprises numériques et défendre nos institutions contre le pouvoir corrosif des discours de haine, de la désinformation, des fausses nouvelles et de l’incitation à la violence », poursuit Ursula von der Leyen.

Cette vidéo de moins de trois minutes semble convaincre les internautes que l’Union européenne prépare l’inverse : « Traduction ? : Censure. Les mêmes mondialistes qui prétendent défendre la démocratie sont ceux qui s’efforcent de faire taire la dissidence, d’écraser la liberté d’expression et de centraliser le pouvoir », rapportent des dizaines de publications similaires.

Ils sont catégoriques : « Il ne s’agit pas de mettre un terme à la désinformation, mais de vous contrôler. » Pourtant, ils font une erreur… de calendrier.

La fin du Far West sur Internet… en 2021

L’original de la vidéo en question a été posté pour la première fois par le compte du Forum économique mondial le 26 janvier 2021. Lorsque cette vidéo est partagée en masse fin 2024, nous sommes bien loin d’un nouveau « plan effrayant », comme affirmé par les internautes.

Dans cette vidéo, Ursula von der Leyen présentait, à l’époque, les raisons derrière l’impulsion du futur Règlement sur les services numériques qui sera voté l’année d’après, le 19 octobre 2022. Également appelé Digital Services Act ou DSA, ce règlement européen entend protéger les citoyens des États membres de l’Union européenne de certains abus liés aux plateformes Internet, comme l’expliquaient déjà Les Surligneurs lors de sa mise en application partielle le 25 août 2023.

Le DSA a pour objectif de responsabiliser les acteurs d’Internet, dont les plateformes en ligne qui proposent leurs services sur le marché européen. Le règlement s’applique aux fournisseurs d’accès à Internet, aux fournisseurs de services informatiques à la demande et aux fournisseurs de services intermédiaires, c’est-à-dire les réseaux de communication, les entreprises qui gèrent les mises « en cache » d’informations et l’hébergement des sites.

L’article 33 du Règlement précise que certaines dispositions, les plus contraignantes, s’appliquent également aux plateformes utilisées par plus de quarante-cinq-millions d’utilisateurs européens par mois (Facebook, X, Instagram, Google Search, etc).

Lutte contre les contenus illicites et obligation de transparence

Ce règlement vise à mieux réguler le commerce électronique. De manière générale, les hébergeurs et plateformes en ligne ont désormais l’obligation de mettre en place un système de notification des contenus illicites, qui doit être clair et accessible.

Plus particulièrement, l’article 14 dispose que les hébergeurs devront mettre en place des mécanismes — un bouton, un formulaire, etc. — permettant à quiconque de signaler l’existence d’un contenu considéré comme illicite. Ces contenus illicites sont définis par chaque État membre, et concernent essentiellement des incriminations classiques en droit, comme l’incitation à la haine et à la violence ou encore la pédopornographie. La désinformation, elle, n’est pas considérée comme illégale et n’a donc pas à faire l’objet d’un retrait de contenu par la plateforme.

Autre mesure phare du DSA, la publication obligatoire de rapports annuels de transparence pour les très grandes plateformes concernées. Autrement dit, les plateformes devront rendre plus transparentes leurs décisions en matière de modération des contenus, d’abord par un « système interne de traitement des réclamations » permettant aux utilisateurs dont les comptes ont été suspendus ou bloqués de contester la mesure.

Par ailleurs, le DSA impose aux plateformes d’expliquer le fonctionnement des algorithmes qu’elles utilisent dans le but d’émettre des recommandations publicitaires. Ce registre devra être mis à disposition du public.

En cas de violation du DSA, l’article 52 précise que l’amende infligée à la plateforme peut aller jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial annuel au cours de l’exercice précédent. Pour une entreprise comme Meta, cela pourrait donc aller jusqu’à huit milliards d’euros.

Le DSA est donc entré en vigueur et l’Union européenne ne prévoit pas, pour le moins officiellement, de nouvelle règlementation pour réguler les entreprises de la tech et les réseaux sociaux. L’heure est plutôt à l’application de la législation existante. Le 16 décembre 2024, la Commission européenne a adressé des avertissements à cinq États membres, notamment pour un retard à mettre en œuvre une législation adéquate.

Partager d’anciennes informations sans le dire

Pourquoi cette information, datée d’il y a presque trois ans, ressort désormais aujourd’hui ? La première occurrence récente de cette vidéo est à trouver du côté d’un certain Jim Ferguson. Il a publié sur X le 29 décembre 2024, la vidéo du Forum économique mondial de 2021 avec l’exact même commentaire (en anglais) que les comptes français qui le repartageront derrière (comme la chaîne Telegram, Nouvelle France) et sans aucune mention du fait que cette vidéo date de 2021.

Le compte X, Jim Ferguson, semble, quoi qu’il arrive, peu porté sur l’exactitude des informations qu’il partage. Le 30 décembre 2024, il a partagé une vidéo de Donald Trump annonçant un “retrait immédiat” de l’Organisation mondiale de la santé avec la mention « Breaking news » (« dernières nouvelles », en anglais). L’information date de 2020…

Peut-être que ces rediffusions de Noël lui permettront de s’assurer d’une visibilité continue (et donc d’une rémunération)… quitte à sacrifier la pertinence et l’exactitude de l’information dans la foulée.

 

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