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Un robot humanoïde exposé à la World Intelligence Expo à Tianjin, en Chine, le 23 juin 2024. (Photo : Pedro Pardo / AFP)

Non, une entreprise chinoise ne va pas commercialiser un robot qui donne naissance à un bébé

Création : 3 septembre 2025

Auteurs : Clara Robert-Motta, journaliste

Nicolas Kirilowits, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Newsweek, le 19 août 2025

Des médias du monde entier ont rapporté qu’une entreprise chinoise allait commercialiser un robot capable de porter un bébé jusqu’à l’accouchement pour 100 000 yuans d’ici 2026. Cette fausse information est issue d’une vidéo aux propos mal interprétés.

« Et ceci, dit le Directeur, ouvrant la porte, c’est la Salle de Fécondation. » Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932) s’ouvre sur une description d’un « centre d’incubation et de conditionnement » où se déroule l’ectogenèse, c’est-à-dire la procréation d’êtres humains dans un utérus artificiel. Un peu moins d’un siècle après la parution de ce roman dystopique, il semblerait que l’Humain ait réussi à créer son propre robot capable de porter la vie en dehors du ventre maternel.

En cet été 2025, la nouvelle a, en tout cas, fait le tour des médias du monde entier — à l’instar de RFI, CNews, i24News, RTSinfo, Vice, New York Post, et bien d’autres. « Des machines dotées d’un utérus artificiel sont en développement en Chine pour donner naissance à des enfants humains », écrit CNews qui précise que le prix serait « inférieur à celui d’une mère porteuse ».

Des milliers d’internautes se sont indignés ou fascinés par ce prodigieux scandale. « A force de jouer aux apprentis sorciers, la décadence n’est pas loin », s’inquiète notamment une utilisatrice sur Facebook. « Ah super, on va pouvoir commander nos enfants comme des smartphones », écrit un autre non sans ironie.

Sauf que cette information est incorrecte, elle a même été démentie par le directeur de l’entreprise chinoise qui était supposée développer cette technologie dans l’année à venir. On remonte le fil de l’histoire.

Des approximations et des histoires non concordantes

Entre les milliers d’images boostées à l’intelligence artificielle et la profusion d’articles ou de vidéos de presse vantant cette technologie qui circulent sur les réseaux sociaux, il est presque impossible de déterminer qui a publié cette histoire en premier.

Deux points reviennent toutefois sans cesse dans les propos rapportés : l’entreprise qui développerait ces robots gestationnels s’appellerait Kayiwa (ou Kaiva ou Kaiwa) Technology et son fondateur serait un certain Zhang Qifeng qui aurait eu un doctorat à l’Université technologique Nanyang de Singapour (ici et ici). Sauf que, comme elle l’avait déjà confirmé à nos confrères de TF1 et de Snopes, cette université a assuré aux Surligneurs ne jamais avoir accueilli de doctorant de ce nom-là.

En revanche, une entreprise nommée Kayiwa Robot Technology (卡伊瓦机器人), basée dans le district de Longgang à Canton (Guangzhou), spécialisée dans la création de robots de restauration notamment, a bel et bien été créée par Zhang Qifeng (张其峰) en 2015.

Dans certains articles de presse, il est indiqué que cette invention d’utérus artificiel aurait été présentée au World Robot Conference de Pékin, en août 2025. Sauf qu’il n’est aucunement fait mention de l’entreprise, de son directeur ou du robot porteur d’enfants dans le programme de l’événement (archivé ici).

De nombreux articles publiés dans des médias européens ou états-uniens citent l’article d’un journal sud-coréen, ChosunBiz, publié le 11 août 2025. Selon celui-ci, l’information proviendrait d’un média chinois qui aurait publié une vidéo le 8 août 2025 sur Douyin (version chinoise de TikTok). Aucun lien n’est mentionné, en revanche, Les Surligneurs ont trouvé plusieurs vidéos correspondant à une capture d’écran présente dans l’article.

Une interview d’un influenceur en juin 2025

Une version courte (moins d’une minute) a circulé massivement sur les réseaux sociaux, d’abord sur Douyin, puis TikTok et enfin d’autres plateformes occidentales, comme Instagram. Zhang Qifeng (que l’on peut reconnaître grâce à une vidéo officielle de présentation de l’entreprise Kayiwa) explique son projet : « Afin de satisfaire les jeunes d’aujourd’hui qui ne veulent pas tomber enceintes mais souhaitent avoir un enfant, il convient de créer un utérus artificiel imitant complètement l’utérus humain, combiné à une boîte de gestation robotisée, et de placer la boîte dans le ventre du robot humanoïde. »

Une version plus longue de la vidéo (plus de six minutes) est disponible sur YouTube. On y voit Zhang Qifeng interviewé par un autre homme vraisemblablement dans les locaux de l’entreprise. Grâce au sous-titre dans la vidéo, Les Surligneurs ont pu retrouver sa trace. Il s’agit de Wen Zhengbing (闻正兵), le présentateur d’une émission en ligne : (« La théorie de la relativité de Wen Mou »).

La vidéo n’a donc pas été tournée au World Robot Conference à Pékin, comme l’ont expliqué certains, mais en amont au siège de l’entreprise. Sur les réseaux sociaux de Wen, une vidéo publiée le 27 juin 2025 explique que l’équipe de tournage du présentateur a rencontré plusieurs entreprises de robotique à Longgang. On y voit Zhang Qifeng dans ses locaux.

Le passage de Wen Zhengbing dans l’entreprise Kayiwa est confirmé par un article de presse locale, Métropole du Sud Quotidien (南方都市报), publié le 21 juin 2025, et le site officiel du gouvernement qui racontent comment des influenceurs, dont « La théorie de la relativité de Wen Mou », ont rencontré des entreprises du district de Longgang dont Kayiwa Robotics (卡伊瓦机器人).

Une vidéo a été publiée par « La théorie de la relativité de Wen Mou » concernant Kayiwa et son robot gestationnel sur Douyin, mais elle semble avoir été supprimée depuis. Le 3 juillet 2025, un internaute la reprenait en s’interrogeant sur les conséquences d’un tel robot. La description de la vidéo était celle-ci : « Zhang Qifeng, doctorant à l’Université technologique de Nanyang à Singapour, a déclaré : “Je veux implanter un incubateur dans le ventre d’un robot.” #robot #robothumanoïde #femmerobot #grossesserobot #kayiwa #USTC #intelligenceartificielle #entrepreneuriat #interviewentreprise #dialogue #théoriedelarelativité #wenmourelativity ».

L’information que tous les médias du monde se sont arrachés provient donc de la vidéo d’un influenceur sur une entreprise de robots. Mais qu’en est-il de la véracité du contenu ? C’est faux. Ou au moins très très exagéré.

Un montage vidéo trompeur ?

Alors que sa vidéo faisait le buzz, Zhang Qifeng a fini par s’exprimer dans certains médias chinois, comme repris dans le média chinois Sina, le 18 août 2025. Le fondateur de l’entreprise de robotique assure que « l’information avait été mal interprétée par les médias » et que « l’entreprise n’envisageait pas actuellement de développer ou de fabriquer un robot gestationnel ».

Sina rapporte que Zhang Qifeng évoquait simplement les tendances technologiques du secteur et mentionnait que « des équipes à l’étranger étudiaient le développement de robots gestationnels » sans pour autant qu’ils soient en lien. Le prototype qui devait sortir dans « moins d’un an » et qui coûterait « 100 000 yuans » dont parlait le chef d’entreprise ne serait qu’un « modèle de robot humanoïde simulé » et qui n’aurait rien à voir avec l’idée d’un robot gestationnel.

Autrement dit, un montage fallacieux aurait fait croire que l’entreprise allait commercialiser ce robot capable d’ectogenèse.

Contactés, ni Zhang Qifeng ni Kayiwa Robotics ne nous avaient encore répondu lors de la publication.