Non, rien ne prouve que nos téléphones émettent plus de radiations en “batterie faible”

Création : 15 juillet 2024

Autrice : Julia Terradot, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours

 

Source : Compte Facebook, 19 avril 2020

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses publications alertent sur les dangers des “radiations émises” par notre téléphone portable et proposent des conseils pour s’en prémunir. Mais sur quoi se fondent ces arguments ?

Répondez au téléphone avec l’oreille gauche, menace une voix grave et artificielle. “Lorsque la batterie de votre téléphone n’a plus qu’une barre, ne répondez pas à l’appel, car les radiations sont 1000 fois plus fortes”, prévient-elle. Dans ce reel posté sur Facebook en juillet 2024, et supprimé peu après que Les Surligneurs aient pris contact avec son auteur, l’internaute donne sept principes à suivre pour être en bonne santé.

Cette liste est relayée régulièrement sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années. En 2020 par exemple, une publication la reprend mot pour mot. Cet autre post également, mais cette fois dans sa version anglaise.

Deux des affirmations et les conseils qui vont avec ont particulièrement attiré notre attention. Selon la publication, les téléphones portables feraient courir un risque pour notre santé à cause des radiations qu’ils émettent.

Mais pour l’heure, la science n’a pas encore tranché cette question, même si les études récentes semblent indiquer que le lien entre les radiations et les tumeurs au cerveau serait très faible, voire inexistant dans la grande majorité des cas. Une chose est néanmoins certaine, téléphoner de l’oreille gauche ou ne pas répondre lorsque la batterie n’a plus qu’une barre, n’aura aucune incidence sur votre santé.

Des ondes dangereuses ?

Tout d’abord, concentrons-nous sur les radiations émises par notre téléphone portable. Lorsqu’il reste peu de charge à ces derniers, ces émissions sont-elles 1000 fois plus élevées comme le prétend notre internaute ?

Pas du tout, selon les spécialistes. Aucune preuve scientifique ne soutient cette thèse, d’après Joachim Schüz, épidémiologiste au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), un organisme de l’Organisation mondiale de la Santé. Joachim Schüz ne voit donc aucune objection à “prendre un appel si on le souhaite.”

Il n’y a aucune preuve concrète pour soutenir cette affirmation, excepté peut-être des vidéos TikTok, plaisante de son côté Michael Seidman, otorhinolaryngologiste (spécialiste du diagnostic et traitement de la région de la tête et du cou), et auteur de l’étude de l’hôpital Henry Ford à Detroit (États-Unis), intitulée “Dominance hémisphérique et utilisation du téléphone portable.

En mai 2022 déjà, nos confrères australiens de l’AAP Factcheck s’étaient également penchés sur la question et en avaient tiré les mêmes conclusions que le spécialiste.

Pas de causalité directe

Pour comprendre, il faut expliquer comment fonctionne un téléphone portable. Afin de communiquer, chaque appareil envoie et reçoit des signaux des antennes cellulaires à proximité grâce à des ondes de radiofréquence (RF). Ces ondes RF sont absorbées par notre corps sous forme de chaleur. On peut donc mesurer la puissance de flux de cette énergie absorbée par le corps humain : c’est ce qu’on appelle le “débit d’absorption spécifique” (DAS).

Pendant les appels, l’oreille et la tête restent les zones les plus exposées aux ondes RF, et en théorie les plus susceptibles où pourrait se développer un cancer. C’est pourquoi la majorité de la recherche sur les potentiels risques du téléphone “se concentre surtout sur les tumeurs au cerveau”, explique Joachim Schüz.

Concernant l’usage du téléphone à l’oreille, il existe une réglementation. En France, la limite qui a été fixée pour le DAS “tête et tronc”, c’est-à-dire l’énergie maximum qui doit être absorbée via ces parties du corps, est fixée à 2 watts par kilogramme depuis 2003. Les fabricants de téléphones doivent donc respecter cette limite pour mettre leurs produits sur le marché français.

Même dans les rares cas où les téléphones dépassent cette limite, l’impact sur la santé devrait rester sans conséquence. La norme de la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (Icnirp) a “un facteur de sécurité de 50.” Autrement dit : les valeurs limites d’exposition ont été constituées en prenant de la marge. Pour fixer cette norme, on a divisé par cinquante le taux à partir duquel on a découvert des conséquences sanitaires sur les animaux pendant les tests.

Des recherches à poursuivre

Aucune étude de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) n’a pu associer les téléphones portables à un risque accru de tumeurs cérébrales. Certaines études internationales ont, toutefois, observé une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale mais seulement chez les utilisateurs intensifs de téléphone mobile et sur le long terme.

L’un des travaux les plus célèbres à ce sujet, l’étude Interphone du CIRC, a observé des utilisateurs de téléphones portables depuis 2000 jusqu’à sa publication en 2010. Si, en règle générale, les chercheurs n’ont pas trouvé de lien direct entre l’usage du téléphone et les tumeurs cérébrales, un risque accru de tumeurs a été suggéré chez ceux qui passent le plus de temps au téléphone. Le CIRC a tout de même qualifié l’exposition aux RF de “potentiellement cancérogène” en 2011.

Pourtant, ces recherches présentent des limites. La difficulté de mesurer le véritable temps d’usage du téléphone au quotidien et l’évolution constante de la technologie ne permettent pas d’établir des conclusions définitives sur les risques. De plus, les tumeurs peuvent mettre des dizaines d’années avant de se développer.

C’est ce que pointe Joachim Schüz, pour qui l’étude Interphone avait un point faible majeur : “Les personnes interrogées avaient du mal à se souvenir de l’utilisation passée du téléphone portable. Les données du questionnaire ne constituent pas une mesure très précise.

Le chercheur estime cependant qu’il faut prendre ces conclusions au sérieux, tout en rappelant que “les preuves ne sont pas suffisantes pour établir l’existence d’une causalité [entre les ondes RF et l’apparition de tumeurs].

Dans une autre étude, intitulée Cosmos, Schüz et ses collègues du CIRC ont suivi plus de 260 000 utilisateurs pendant des années. Cette fois-ci, les chercheurs n’ont trouvé “aucun lien entre leur utilisation et l’apparition d’un cancer”, résume l’épidémiologiste spécialiste du cancer, les preuves sont encore plus faibles qu’il y a 10 ans. Mais un suivi plus long est nécessaire, notamment parce que la technologie du téléphone mobile et la façon dont les gens utilisent le téléphone portable évoluent constamment.”

Enfin, un rapport du Scientific Committee on Health, Environmental and Emerging Risks (SCHEER) de 2022 pour la Commission Européenne reste très mesuré sur les effets. Cette méta-analyse conclut que “les preuves sont globalement incertaines à faibles” concernant l’impact des RF sur les risques de néoplasie (par exemple des tumeurs).

Et le niveau de la batterie dans tout ça ?

Quant au niveau de la batterie, Joachim Schüz ne voit aucune corrélation avec les risques potentiels.Les téléphones portables tentent d’utiliser le moins d’énergie possible afin d’économiser la batterie, c’est un avantage marketing. Cet avantage concurrentiel dans la téléphonie réduit en théorie notre exposition [aux ondes RF], suggère même le chercheur.

Une étude iranienne de 2019 n’a pas trouvé non plus de changements notables des émissions RF selon le niveau de la batterie, si ce n’est une très légère augmentation lorsque le téléphone n’a plus qu’un seul pourcent de batterie et émet un appel. À noter qu’aucun changement notable n’a été identifié lorsqu’un appel est reçu, selon cette étude. Rien à voir avec l’augmentation (“1000 fois plus d’ondes” pour les appels reçus à 1% de batterie) sur laquelle alertait l’internaute du reel Facebook.

Aucune différence selon les oreilles

Autre conseil avancé par l’internaute : téléphoner avec son oreille gauche plutôt que son oreille droite. Si cette affirmation manque de contexte, elle laisse supposer qu’il est plus dangereux de parler avec notre téléphone du côté droit ? Pour Joachim Schüz du CIRC, utiliser l’oreille gauche ou droite pendant un appel n’a pas d’importance dans l’évaluation des risques de cancer.

Honnêtement, il n’y a aucune raison pour qu’une personne droitière doive utiliser leur téléphone de la main gauche”, renchérit Seidman qui s’est intéressé à la question avec son étude sur la dominance hémisphérique et l’utilisation du téléphone portable.

Contacté, notre internaute affirme que  : L’oreille gauche est très réactive aux sons positifs. Il fait référence à l’étude suisse de 2023 dans Frontiers in Neuroscience, qui conclut “qu’il existe une préférence en termes d’espace, et non d’hémisphère, avec une nette prééminence de l’espace auditif gauche pour les vocalisations positives.” Autrement dit, la provenance du son a un impact sur le traitement des émotions, et les sons dits “positifs” auraient une incidence plus importante quand notre oreille gauche les reçoit.

Mais cela n’a rien à voir avec notre santé. Selon cette étude, répondre du côté gauche pourrait nous rendre plus réceptifs aux émotions de nos conversations. Mais là encore, une seule étude ne fait pas la vérité scientifique.

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