Non, l’hôpital n’est pas le « pire environnement » possible pour accoucher
Auteur : Antoine Mauvy, étudiant en droit à Paris II Panthéon-Assas
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours
Source : Compte Instagram, 2 juillet 2024
Un internaute affirme que l’accouchement à l’hôpital est « anti-humains », et liste différentes raisons, remettant en cause l’environnement stérile, la coupe rapide du cordon ombilical, la lumière blanche artificielle des chambres ou encore la position couchée qu’adoptent les femmes en travail. Si le cybernaute frôle le vrai par endroit, il est erroné de faire une telle conclusion.
L’hôpital, lieu d’accouchement “anti-humains” ? C’est ce qu’affirme un internaute dans une publication Instagram datant du 2 juillet 2024. Pour lui, “le pire environnement dans lequel peut naître un bébé” serait constitué de “lumières blanches artificielles”, il serait “stérile” et on y accoucherait “sur le dos”, suivant les désirs archaïques de “Louis XVI”, en coupant le cordon ombilical “très tôt”. Ne nous en dites pas plus, on a bien reconnu la description d’une chambre d’hôpital !
Très vite, l’internaute, se présentant comme autodidacte, pointe du doigt des pratiques médicales “anti-humain{e}s, mauvais{es} pour la santé de la maman et surtout du bébé”. Celles-ci affecteraient le nouveau-né très tôt et pourraient le “suivre toute sa vie”. Il appelle ensuite à de vraies prises de conscience… son compte Instagram représentant le meilleur moyen de les avoir.
Les Surligneurs vous recommandent plutôt de suivre l’avis de professionnels.
Cordon ombilical : combien de temps attendre avant de couper ?
Notre internaute reste évasif sur la durée qu’il préconise quant à la découpe du cordon ombilical, se cantonnant à pointer du doigt les sections arrivant “très tôt”. Une remise en contexte est dès lors nécessaire pour distinguer le vrai du faux.
« Le clampage tardif du cordon ombilical (pratiqué une à trois minutes après l’accouchement) est recommandé », avance l’OMS en 2012, dans Recommandations pour la prévention et le traitement de l’hémorragie du post-partum. Dans un rapport dédié au clampage tardif du cordon ombilical, publié en 2014, l’organisation affirme que le respect de ce laps de temps entraîne “une réduction de 61 % du taux d’anémie nécessitant une transfusion sanguine”.
Pour éviter un manque de fer, il est donc recommandé de ne pas couper le cordon ombilical immédiatement après la naissance. De son côté, la Haute Autorité de Santé recommande d’attendre 30 secondes avant de clamper le cordon ombilical (poser une pince pour interrompre la circulation du sang entre la mère et l’enfant).
Par contre, attendre au-delà de cette durée n’est pas forcément conseillé pour la santé du bébé. En effet, il peut y avoir des risques, notamment chez la mère, comme des hémorragies post-partum, rendent compte nos confrères du Monde et de l’AFP.
Position d’accouchement : un caprice du roi Soleil ?
Notre internaute enchaîne en expliquant que la position d’accouchement couchée, au-delà d’être néfaste pour la patiente et le fœtus, aurait été imposée suite “aux désirs de Louis XVI”. Littéralement, c’est faux. Peut-être notre internaute voulait-il faire référence au roi Soleil, Louis XIV, à qui on impute parfois la diffusion de cette pratique.
La rumeur veut que ce roi de France avait un fantasme particulier : celui de scruter les vulves de femmes en train d’accoucher. La position couchée permettant la meilleure observation, sous l’influence du roi Soleil, cette pratique aurait été instituée peu à peu dans le royaume. C’est ce que suppose une étude publiée en 1987. Dans ce document, la chercheuse souligne que “la volonté de Louis XIV de changer les choses coïncide avec le changement de position et peut très bien avoir contribué à cette influence”, sans pour autant décréter avec certitude le lien de cause à effet.
Une explication pratique
Il existe cependant une explication plus scientifique. « On en est arrivé à imposer cette position parce que la science et la médecine ont fait des progrès, explique Delphine Savoy sage-femme et praticienne hospitalière à Grenoble. Pour intervenir au niveau de l’accouchement, pour user des forceps, des ventouses, il fallait que la patiente et la filière génitale soient accessibles aux médecins. »
Si cette justification est rationnelle, il n’en demeure pas moins que la position couchée est loin de faire l’unanimité auprès des femmes qui accouchent. “Cette position s’est malheureusement imposée par commodité pour l’accoucheur. Par souci de commodité et de sécurité”, reconnaît Pascale Hoffman, professeure de gynécologie-obstétrique au CHU Grenoble Alpes.
“Actuellement, on fait machine arrière sur ce sujet, on considère que le plus important pour la patiente, c’est de s’écouter elle, et d’écouter ce que son bébé lui dit indirectement”, développe Delphine Savoy. Ainsi, “la meilleure position pour accoucher, c’est celle que la femme choisie”, résume Camille Dumortier-Clermont, sage-femme au CHU de Nancy et vice-présidente de l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes.
Lumière blanche artificielle : pas d’effets notoires sur la santé à faible exposition
En suivant les affirmations du post, cela nous amène sur le sujet des “lumières blanches artificielles”. L’exposition du nourrisson à celles-ci pourrait avoir des effets néfastes.
Les trois professionnelles que nous avons contactées s’accordent sur l’idée qu’une lumière vive n’est agréable pour personne, à fortiori après une longue période passée dans l’obscurité. Nous vous laissons imaginer ce qui en est quand cela fait neuf mois !
Même s’il a été démontré que la lumière artificielle influence la sécrétion des hormones et qu’elle peut dérégler l’horloge biologique humaine, une exposition temporaire ne peut avoir d’effet notable à long terme. C’est ce qu’a souligné en 2012 le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux de la Commission européenne dans son avis sur les effets sur la santé de la lumière artificielle. Ainsi, l’assertion de notre professionnel de la santé autodidacte tombe à l’eau : quelques heures d’exposition ne peuvent avoir d’influence sur la santé du bébé à long terme.
Le nourrisson et les microbes : l’importance d’un contact mesuré
Enfin, notre internaute soutient qu’un environnement stérile contribuerait à la mise en place d’un accouchement « anti-humains ». Se pose tout de suite la question de l’existence d’un tel environnement, même à l’hôpital. Camille Dumortier-Clermont, la représentante syndicale, indique que “si les chambres d’hôpital étaient stériles, les maladies nosocomiales [infections contractées au cours d’un séjour dans un établissement de soins, ndlr] n’existeraient pas”. Ainsi, les hôpitaux ne sont pas entièrement stériles, même s’ils le sont probablement plus que chez soi.
“On sait qu’être soumis à un environnement multiple permet de lutter contre l’auto-immunité et les allergies, cela a été prouvé par la littérature scientifique”, signale Pascale Hoffman. Donc, il est important que le bébé soit en contact avec des microbes, notre internaute n’a pas tort. Mais tout est une question de dosage : “Le nouveau-né, c’est quand même un individu qui a une immunité immature. Le but n’est pas de le mettre en contact avec des germes à peine arrivé, alors qu’il n’est pas forcément capable de lutter contre”, précise Delphine Savoy.
Ce contact avec les microbes, important pour le développement du bébé, est d’ailleurs mis en place dès la naissance, qu’elle soit faite à l’hôpital ou ailleurs. Le nouveau-né va être en contact avec tout le microbiome maternel par son passage dans la filière génitale. “Cela va orienter son avenir digestif et même le développement cérébral”, indique Pascale Hoffman.
In fine, l’internaute présente des croyances populaires comme entièrement vraies, alors qu’elles sont soit fausses, soit à nuancer.
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