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Photographie d'un os de deux centimètres retrouvé dans la cave de Denisova, publiée dans la revue Scientific Reports en 2016 - Crédits : Buckley, Michael; Derevianko, Anatoly; Shunkov, Michael; Procopio, Noemi; Comeskey, Daniel; Fiona Brock; Douka, Katerina; Meyer, Matthias et al.

Non, l’homme de Denisova n’a jamais navigué jusqu’en Amérique

Création : 24 juin 2025

Auteur : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Compte Facebook, le 17 mai 2025

Plusieurs internautes affirment qu’un cousin d’Homo sapiens s’est établi en Amérique il y a 32 000 ans. Entre affabulations et manque de rigueur, ce récit préhistorique n’est soutenu par aucune recherche scientifique.

Les connaissances sur la préhistoire en seraient bouleversées. À en croire plusieurs internautes, une branche de l’espèce humaine, appelée Denisova, aurait rejoint le Nouveau Monde par la mer 30 000 ans avant Christophe Colomb. « Les traces [des denisoviens] se retrouvent jusqu’en Espagne et en Amérique centrale », expliquent des publications sur les réseaux sociaux.

L’homme de Denisova, qui a bien existé, tient son nom d’une grotte de l’Altaï, dans le sud de la Sibérie, où les premiers fragments de squelette de ce lointain membre du genre Homo ont été découverts en 2010. Soit à quelques milliers de kilomètres et un océan du continent américain.

« Cela signifie que les Denisova étaient des marins exceptionnels », affirment les internautes, qui disent s’appuyer sur une « analyse génétique globale » pour établir la présence de ce cousin de l’autre côté du globe. Mais cette logique n’est soutenue par aucune étude scientifique.

Des galères préhistoriques ?

Selon Nicolas Brucato, chercheur au laboratoire évolution et diversité biologique du CNRS et spécialiste de l’Asie du Sud-Est et de l’Océanie, « il faut distinguer la trace génétique de Denisova, que l’on trouve dans les populations [d’humains] actuelles, et les traces archéologiques qui attestent concrètement de sa présence ».

Des restes denisoviens n’ont été retrouvés qu’au « sud de la Sibérie, dans certains plateaux tibétains et tout récemment à l’est de la Chine », poursuit le scientifique. Il n’existe donc aucune trace matérielle d’une présence physique de Denisova en Espagne ou en Amérique, et encore moins d’éléments qui indiquent qu’il aurait pu s’y rendre par la mer.

« Il n’y a aucune preuve que Denisova soit un marin exceptionnel », abonde Francois-Xavier Ricaut, directeur de recherche en anthropologie au CNRS. Même en admettant que les dénisoviens aient eu des connaissances maritimes rudimentaires, « on parle d’une traversée [celle de l’océan Pacifique, ndlr] de 10 000 km qui, même aujourd’hui, est compliquée », insiste le chercheur. Impossible, dès lors, que ce cousin éloigné de l’homme moderne ait réussi à naviguer jusqu’en Amérique des millénaires avant les Vikings et Christophe Colomb.

Le voyage des gènes

Mais dans ce cas, comment expliquer, comme le soulignent les internautes, que les populations amérindiennes présentent des traces d’ADN denisovien dans leur génome ? Grâce à un principe génétique simple : l’hybridation.

De la même manière qu’Homo sapiens et l’homme de Néandertal ont pu s’accoupler, il y a eu des croisements entre notre espèce et l’homme de Denisova, affirment les chercheurs. Les populations autochtones actuelles de Nouvelle-Guinée, ainsi que certains groupes philippins, « ont 4 à 5 % de leur génome attribué à Denisova », souligne François-Xavier Ricaut. « Chez les Amérindiens, c’est plutôt autour de 0,2 % », note Nicolas Brucato. 

Ces traces denisoviennes dans l’ADN amérindien proviennent des migrations de populations d’Asie de l’Est qui se sont installées en Amérique. « [Elles] ont traversé le détroit de Béring [qui sépare les continents asiatique et américain au niveau de l’Alaska, ndlr] entre 25 000 et 15 000 ans » avant notre ère, après avoir connu des métissages avec Denisova sur leur territoire d’origine, explique Nicolas Brucato. Il n’y a eu aucun « nouvel apport denisovien » après le franchissement du détroit, certifie le spécialiste.

En d’autres termes, la présence de restes génétiques de Denisova chez certaines populations d’Amérique est due à la migration sur le continent d’hommes préalablement métissés avec leurs cousins.

Pas de trace non plus en Espagne

Pour ce qui est de l’Espagne, également citée par les internautes comme présentant des traces de Denisova, les publications se trompent. « Il n’y a pas de traces denisoviennes en Europe, zéro », affirme Nicolas Brucato.

Le seul lien qui relie la péninsule ibérique à Denisova est la nécropole de Sima de los Huesos, située dans le nord de l’Espagne. Vieux de plus de 400 000 ans, ce site présente « des restes humains assez particuliers d’un point de vue archéologique⁣, [dont le] génome les rapproche plus de Denisova que de Néandertal ».

Mais cela ne veut pas dire que les squelettes de Sima de los Huesos sont ceux de dénisoviens. « Absolument pas », insiste Nicolas Brucato. Ils ont seulement « une ancestralité partagée plus proche avec Denisova qu’avec Néandertal », explicite le chercheur.

Une source douteuse

La fausse information de la présence de Denisova en Amérique et en Espagne trouve sa source dans un livre intitulé Avant nous, il y avait quelqu’un. Publié en 2025, il est le fruit du travail de deux auteurs : Nikita Levi et Carlos Alberto Bisceglia.

Ce dernier est un écrivain des plus prolifiques : sa bibliographie compte des ouvrages tels qu’Un alien nommé Jésus Christ, ou encore Atlantide 2021 – La redécouverte d’un continent perdu, qui jettent le doute sur la rigueur scientifique de ce « chercheur ». Les Surligneurs n’ont pas été en mesure de contacter les auteurs pour obtenir un commentaire avant la parution de cet article.