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Si l'Union européenne fixe bien des objectifs globaux de réduction des émissions carbone, elle n'impose aucune réduction du cheptel bovin. - Kim Hansen / CC BY SA 3.0

Non, l’Europe ne veut pas tuer toutes les vaches françaises en raison d’objectifs climatiques

Création : 27 août 2025

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Florian Philippot, le 27 juillet 2025

Florian Philippot imagine que les abattages liés à une maladie bovine sont corrélés aux objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, voire orchestrés par cette dernière. C’est faux, l’abattage est systématique pour cette maladie, en particulier pour qu’elle ne s’installe pas sur le territoire européen.

« J[e n]’ai plus de larmes en moi, ils m’ont tout pris, même ça. » Devant la caméra de TF1, Pierre-Jean Duchêne, un jeune éleveur de Savoie, montre, abattu, le bâtiment vide qui abritait jusqu’alors ses 121 vaches et veaux. Le troupeau a été entièrement euthanasié car une maladie jusqu’ici non présente en France, la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), avait infecté quelques unes de ses bêtes.

Huit semaines après la détection, le 29 juin 2025, du premier foyer, 75 autres ont été recensés en Savoie et Haute-Savoie. Un autre a été détecté dans l’Ain, le 23 août. Dès la première infection, l’Etat a déployé une stratégie pour limiter la propagation de la maladie qui repose sur trois pilliers : vaccination obligatoire des bêtes dans un rayon de 50 km autour des élevages infectés, restriction des mouvements et dépeuplement total — entendre abattage — des foyers infectés.

Un panneau de soutien aux agriculteurs, après l’abattage d’un troupeau touché par la dermatite nodulaire dans le col des Saisies, le 25 juillet 2025. Photo Anne-Christine Poujoulat / AFP

 

Des méthodes jugées brutales

Ce dernier point ne passe pas du tout auprès d’une partie du monde agricole qui dénonce des méthodes trop brutales et demande des solutions alternatives. Alors que des voix dissidentes demandent à revoir cette décision stratégique, les théories sur la responsabilité de ces tragiques histoires vont bon train. Certains accusent l’Union européenne d’être responsable de ces abattages.

En tête de l’offensive, l’anti-européiste, Florian Philippot, développe une théorie sur ce qu’il estime être « un carnage ». « On tue des milliers de bêtes parfaitement saines […] pour nous imposer derrière la viande nourrie aux hormones venue du Canada et du Brésil, la viande de synthèse des laboratoires de Bill Gates… », explique-t-il dans un post X, le 29 juillet. Pire que ça : l’UE demanderait à tuer le cheptel français pour des « objectifs climatiques officiels : -25 à 33 % du cheptel français ». Une idée reprise par de nombreux internautes, comme ici ou ici.

Ces spéculations pétries d’approximations et de liens douteux sont incorrectes. Si la décision d’abattre totalement les élevages touchés par le dermatose nodulaire contagieuse est bel et bien issue d’une réglementation européenne concernant la santé animale, elle n’est aucunement liée aux objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Au contraire, les dernières prises de paroles de la Commission traduisent l’opposition de Bruxelles à une baisse du cheptel européen.

Une maladie connue depuis 1929 mais non présente en Europe

La DNC est une maladie virale qui touche le bétail. Découverte en 1929 en Zambie, elle est endémique dans plusieurs pays du continent africain et on la retrouve au Moyen-Orient et dans des pays asiatiques. L’Europe, elle, en est dépourvue et ne souhaite pas que la maladie s’installe sur son sol.

En effet, la DNC fait partie des cinq maladies classées “catégorie A – le plus haut niveau – pour les bovins au niveau européen et ce, depuis la loi Santé Animale qui est entrée en application en 2021, dont l’objectif est d’harmoniser les pratiques sanitaires entre les États membres. Concrètement, comme ces maladies de « catégorie A » sont « normalement absente[s] de l’Union européenne », la sentence est claire : « Éradication immédiate ».

Un vétérinaire vaccine des vaches contre la dermatose dans une ferme d’Aviernoz, dans l’est de la France, le 22 juillet 2025. Photo : Jeff Pachoud/ AFP

 

S’il est confirmé qu’un animal est infecté, les bêtes qui étaient en contact direct doivent toutes êtres euthanasiées. « Les bêtes abattues sont celles de l’unité épidémiologique : c’est-à-dire celles qui sont dans le même pré, le même bâtiment par exemple, précise Stéphanie Philizot, présidente de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires. Au sein d’un même élevage, si des vaches sont dans des bâtiments différents, elles ne seront pas forcément toutes abattues. »

Jusqu’à trente jours d’incubation

Des opposants à cet abattage systématique estiment que, la maladie ayant une phase d’incubation pouvant aller jusqu’à trente jours, si aucun autre bovin ne déclare de symptômes pendant cette période d’incubation, leur abattage ne serait plus justifié.

Pour Gilles Salvat, directeur du pôle recherche et référence de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), ce n’est pas possible. Car entretemps, d’autres animaux appartenant à d’autres élevages pourraient être infectés, du fait de la contagiosité de cette maladie.

Ils vont transporter le virus d’un animal à l’autre et d’un élevage à l’autre

 

Le virus responsable de cette maladie se transmet principalement par le biais des piqûres de taons et stomoxes – des genres de mouches piqueuses – qui sont fréquents dans les élevages, surtout en été. « Ils vont transporter le virus d’un animal à l’autre et d’un élevage à l’autre, explique Gilles Salvat. Le fait que ce soient des insectes qui sont, d’une façon générale, assez inféodés aux bovins et qui se déplacent pas trop loin permet de limiter la zone sur laquelle on va avoir à lutter contre la maladie. »

En effet, la DNC progresse de 5 à 10 km par semaine si aucune mesure n’est prise, selon Gilles Salvat. Une grande campagne de vaccination obligatoire et intégralement prise en charge par l’État a donc débuté le 18 juillet autour des élevages touchés (au 22 août, plus de 85 % des 310 000 bovins présents sur la zone en question étaient vaccinés).

Immunité ou éradication ?

La décision française, en cohérence avec les règles européennes, a donc été d’éliminer la menace. Mais aurait-on pu faire autrement ? Selon une tribune publiée dans Mediapart signée par des personnes du monde agricole, citoyens et élus, des solutions existeraient « visant à favoriser l’immunité progressive des animaux », sans pour autant avoir recours à l’abattage systématique.

La question est donc de savoir pourquoi les pouvoirs publics français et européens optent pour l’éradication plutôt que l’immunité.

« La mortalité peut atteindre 10 % des animaux d’un troupeau et jusqu’à 45 % des animaux d’un troupeau peuvent être [contaminés], explique Kristel Gache, directrice de Groupements de défense sanitaire, une organisation agricole française en charge des questions de santé et d’hygiène animale. Les conséquences cliniques sont plus importantes sur les races améliorées” [des souches sélectionnées pour obtenir un meilleur rendement de la vache en viande ou en lait, ndlr]. On peut craindre que l’impact de cette maladie soit plutôt dans la fourchette haute dans nos troupeaux français, si des mesures strictes de gestion n’étaient pas appliquées. »

Pour les vaches infectées qui ne meurent pas, la perte de rendement liée, notamment, à la diminution de la production de lait par les animaux malades serait élevée. Une perte économique à laquelle il faut ajouter des coûts supplémentaires selon Gilles Salvat de l’Anses : « Dans les pays où ils ont renoncé à éradiquer la maladie, ils vaccinent et il ne faut pas oublier que ça coûte cher. » 

Outre le secteur laitier et bovin, un autre secteur d’activité agricole serait durement touché par l’installation de la maladie en Europe : la génétique. « Dans les échanges commerciaux internationaux, les pays qui sont indemnes de cette maladie peuvent vendre leurs produits – comme des embryons, du sperme, explique Gilles Salvat. Et la génétique française de bovins diffuse dans le monde entier, c’est une partie conséquente de l’économie de l’élevage français. » La vaccination « compromet les exportations », avait d’ailleurs reconnu la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, le 8 juillet à l’Assemblée nationale.

Rappelons que s’il n’y avait pas eu de stratégie mise en place, la maladie aurait pu faire perdre 10 à 20 % du cheptel français

 

Pour certains des opposants à cette stratégie, lutter pour rendre le territoire indemne de cette maladie est peine perdue. « Les facteurs favorisant [l’]expansion [de cette maladie] sont forts, au premier rang desquels, le réchauffement climatique, la multiplication des échanges internationaux (qui véhiculent les mouches porteuses), la fragilité de la résistance immunitaire des animaux souvent poussés par des stratégies productivistes occidentales », écrivent les signataires de la tribune dans Mediapart.

1 500 bêtes auraient déjà été abattues de façon préventive pour lutter contre la DNC depuis début juillet, précise Stéphanie Philizot de la fédération des vétérinaires. « Rappelons que s’il n’y avait pas eu de stratégie mise en place, la maladie aurait pu faire perdre 10 à 20 % du cheptel français, souligne-t-elle. Or, nous avons environ 35 millions de bovins, je vous laisse faire le calcul. Nous avons clairement sauvé des milliers de vaches avec cette stratégie. »

Les objectifs climatiques de l’Europe n’y sont pour rien

Les raisons de cette stratégie « d’abattage total » et d’éradication de la maladie sur le territoire européen sont avant tout économiques. Mais Florian Philippot lie plutôt l’apparition de cette maladie mortelle à une stratégie européenne de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Tentons d’y voir plus clair.

Il est vrai que l’Union européenne et la France se sont engagés dans une démarche de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en conformité avec l’accord de Paris de 2015. Or, l’alimentation représente 22 % de l’empreinte carbone de la France – deuxième secteur le plus émetteur derrière les transports – dont 59 % des émissions sont dues à l’élevage (dont 83 % par les bovins). Réduire les élevages bovins pourrait donc jouer un rôle non négligeable dans cette baisse globale.

Mais si l’Union européenne entend parvenir à la neutralité climatique d’ici 2050 – tout comme la France – il n’y a, pour le moment, pas d’objectif chiffré de réduction pour le secteur d’activité agricole qui soit contraignant. L’agriculture fait en revanche partie d’un ensemble de secteurs dont les États membres doivent diminuer les émissions, avec le transport domestique (avion exclu), la construction, la petite industrie et les déchets. Cette politique européenne, appelée « leffort sharing regulation », impose à la France de réduire de 47,5 % la somme des émissions carbone dégagées par ces activités.

Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors d’une réunion avec les responsables des sites industriels pour réduire l’intensité carbone en France, au palais de l’Élysée à Paris, le 8 novembre 2022. Photo : Mohammed Badra / POOL / AFP

 

L’objectif est donc global, et non spécifique à chaque secteur. En clair, un pays peut, par exemple, choisir de réduire ses émissions de gaz à effet de serre en diminuant plus celles du secteur des transports, et un peu moins celles produites par les déchets, du moment qu’il atteint son objectif général.

Mais selon Mathieu Mal, chargé de mission agriculture et climat à l’European Environmental Bureau, la plupart des pays membres seraient réticents à toucher au secteur de l’agriculture. « Ils expliquent qu’il est difficile de réduire les émissions en agriculture, et ils laissent ce problème à résoudre en dernier. Ce qu’on a vu, globalement, ces vingt dernières années, est une stagnation des émissions du secteur agricole », explique-t-il.

Au niveau de la Commission européenne, même son de cloche. Christophe Hansen, commissaire à l’agriculture, présente la réduction du bétail en Europe comme un problème. En mai 2025, il a déclaré que la tendance à la baisse du bétail européen (-8 % du bétail en 10 ans) devait être « ralentie ou inversée ».

« La Commission communique régulièrement sur l’idée que nous pourrions simplement développer des technologies de mitigation – comme les additifs alimentaires, la gestion du fumier – et tout de même avoir une économie net zero où l’agriculture a sa place sans réduction du bétail », analyse Krystyna Springer, analyste des politiques publiques pour l’utilisation des sols et le climat à l’Institute for European Environmental Policy.

En résumé, même la Commission européenne ne tient pas la ligne de conduite qu’elle s’est fixée et ne propose que des objectifs climatiques non contraignants sur chaque secteur. L’UE ne préconise donc aucun abattage en masse des vaches françaises.

Plusieurs scénarios possibles pour réduire les émissions

Pourtant, Florian Philippot avance plusieurs chiffres censés prouver l’existence de quotas de réduction de la population de bovins. Le Patriote explique qu’un rapport de la Cour des comptes aurait chiffré la baisse du cheptel laitier à 25 %, et à 33 % pour le cheptel autre que laitier. Mais l’ancien cadre du Front National a mal lu les articles qu’il cite : les chiffres ne sont pas issus d’un rapport de la Cour des comptes, comme il l’assure, mais de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) réalisée en 2020 (une révision devrait être publiée courant 2025).

Établie par le gouvernement français, la SNBC est une feuille de route qui vise à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Elle s’appuie donc sur différents scénarios. Dans celui qui respecte les objectifs 2030 et 2050, il y aurait « une modification très substantielle des pratiques agricoles françaises par rapport à 2015, en particulier : baisse de 25 % du cheptel bovin laitier, baisse de 33 % du cheptel bovin autre que laitier. »

Sauf que si les objectifs généraux de la SNBC sont traduits dans la loi, ces objectifs de réduction spécifiques au secteur agricole ne le sont pas. « Ce sont simplement des modèles et sur de nombreux aspects, ils semblent très déconnectés de la réalité des politiques de l’Union européenne », analyse Krystyna Springer. Autrement dit, si la France est tenue, par ses lois nationales et celles européennes, de faire baisser ses émissions de gaz à effet de serre, ses objectifs ne sont pas sectorisés.

En conclusion, si l’abattage systématique des bêtes infectées n’est pas une stratégie partagée par tous les acteurs du monde agricole, il n’est pas lié à des objectifs écologiques, mais bien à la volonté d’éradication de la dermatose nodulaire contagieuse.