Non, les antifas ne sont pas reconnus comme une organisation terroriste aux Pays-Bas
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteurs : Etienne Merle, journaliste
Guillaume Baticle, journaliste & doctorant en droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Source : Compte Facebook, le 21 septembre 2025
Une motion visant à désigner les « Antifas » comme une organisation terroriste a été adoptée par le Parlement néerlandais, mais les motions ne sont que des propositions de la part des députés qui n’ont aucune obligation d’être suivies par le gouvernement.
Le lendemain de la cérémonie d’hommage à Charlie Kirk, un militant ultraconservateur assassiné, le président des Etats-Unis, Donald Trump, a signé un décret pour classer le mouvement antifa comme une « organisation terroriste ». Bien qu’il n’y ait pas de preuve que le suspect du meurtre a été affilié à la mouvance antifa, cette décision a eu un effet de cascade dans d’autres pays.
« La Hongrie va désormais suivre les États-Unis et les Pays-Bas en déclarant les ‘Antifa’ organisation terroriste ! La France doit-elle en faire autant ? », interroge une publication reprise des dizaines de fois. Sauf que les informations qui découlent de cette question sont inexactes.
Une motion du parlement néerlandais…
Le 17 et 18 septembre 2025, la chambre basse du Parlement néerlandais, appelée le Tweede Kamer – littéralement la Seconde chambre – a été le théâtre des annuelles Considérations de politiques générales (Algemene Politieke Beschouwingen). Ainsi, immédiatement après la présentation du budget, ce débat politique général dure pendant deux jours durant lesquels les chefs de parti débattent des principaux points du projet de gouvernement. Tous les ministres sont présents à la Chambre des représentants pour ce débat, comme l’explique le site de la Tweede Kamer.
À cette occasion, les différents partis peuvent déposer des motions et les faire voter par les parlementaires. Le 18 septembre, 80 motions ont été déposées, dont l’une, déposée par Lidewij de Vos, cheffe de groupe du parti d’extrême droite, Forum pour la démocratie (FVD), visait à désigner « Antifa » comme organisation terroriste aux Pays-Bas.
« La Chambre […] constatant que les États-Unis viennent de décider de qualifier l’antifa d’organisation terroriste ; considérant que des cellules antifas sont également actives dans notre pays, menaçant des politiciens, perturbant des réunions, intimidant des étudiants et des journalistes et n’hésitant pas à recourir à la violence ; demande au gouvernement de désigner également l’antifa comme organisation terroriste aux Pays-Bas », est-il écrit dans la motion en question signée par la députée Lidewij de Vos, ainsi que Geert Wilders (du Parti pour la Liberté, PVV) et Carolin van der Plas (du Mouvement agriculteur-citoyen, BBB).
La motion a été adoptée par un vote dans la soirée (aux alentours de 22h15) par 76 voix pour sur 150 représentants. Comme en témoigne la retranscription, plusieurs autres partis (SGP, VVD, BBB, JA21, FVD et PVV) ont voté en faveur de la motion, et ce, malgré la position défavorable du Cabinet (le gouvernement néerlandais) sur ce point.
…qui n’a pas d’effet obligatoire
S’il est vrai que le Parlement a adopté cette motion, il n’est pas nécessaire que cette motion soit suivie d’actions politiques ou législatives, comme l’avait déjà montré Euronews. « Lorsqu’une motion est acceptée, c’est au ministre ou au sous-ministre de décider s’il y donne suite ou non. Si un ministre ou un sous-ministre rejette une motion, il doit expliquer à la Chambre pourquoi il ne donne pas suite à la motion », a répondu la Tweede Kamer aux Surligneurs.
La journaliste politique de RTL, Marieke van de Zilve, explique dans un article du 19 septembre que toutes les idées contenues dans les motions ne sont pas mises en œuvre. « Tout d’abord, une motion est une demande du Parlement ; le cabinet peut toujours choisir de l’ignorer. Le Parlement peut, bien sûr, exercer une pression, en usant du pouvoir ultime de destituer un ministre s’il ne met pas en œuvre la motion. »
Sauf que les élus et le gouvernement néerlandais sont dans une situation instable. La chute du gouvernement en juin – après le départ du PVV d’extrême droite de la coalition gouvernementale – a précipité l’organisation d’élections législatives anticipées qui auront lieu le 29 octobre. Or, la question se pose du devenir de motions votées par un Parlement qui sera renouvelé très prochainement et de la réponse qui y est donnée par un gouvernement intérimaire.
Pour Marieke van de Zilve, des motions à visée électorale ont été soumises pendant le vote du 18 septembre, et ce serait, selon elle, le cas de cette motion visant à interdire Antifa comme une organisation terroriste. Comme l’avait expliqué le Premier ministre par intérim Dick Schoof lors des débats, cette question relève essentiellement de la compétence des tribunaux, et non du gouvernement.
Selon EW magazine, il n’y aurait que deux façons d’interdire une organisation dite radicale : une dissolution et une inscription sur la liste nationale des organisations terroristes. La première ne peut être engagée que par une action en justice du ministère public et que si ladite organisation a un objet ou des activités contraires à l’ordre public. La deuxième est une mesure administrative de la part des ministres et nécessite des preuves « convaincantes ». « En pratique, il s’agit de groupes comme les talibans, l’État islamique et Al-Qaïda. Le risque qu’Antifa tombe dans cette catégorie est très faible », développe l’article.
Pour Nard Lodewijk, journaliste d’EW, « la motion semble principalement motivée par des gains électoraux et la satisfaction de ses électeurs ». Il note également dans cet article que « son dépôt et son soutien révèlent un manque de connaissances juridiques de la part des politiciens ».
Des déclarations en Hongrie mais pas d’actes
La Hongrie, elle, a réclamé à Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne, de « suivre la marche de Donald Trump et classifier ‘Antifa’ comme une organisation terroriste » via son ministre des Affaires étrangères sur X, le 20 septembre 2025. La veille, son Premier ministre, Viktor Orban, avait, quant à lui, évoqué cette possibilité pour son propre pays lors d’une interview radiophonique. Aucune décision effective non plus de ce côté.
Seuls les États-Unis ont pris un décret présidentiel pour interdire les « Antifa ». Toutefois, même outre-Atlantique, les conséquences de cette décision ne sont pas claires, car il n’existe pas de liste d’organisations terroristes intérieures (contrairement à celles étrangères) et que le mouvement « Antifa » est largement décentralisé.
« Ni organisation formelle ni membres »
D’autant plus que si la mouvance « antifa » est accusée par le gouvernement états-unien ainsi que par des partis de droite et d’extrême droite de fomenter des actes violents, la réalité est plus nuancée. Le journal néerlandais Trouw, cité par Courrier International, a interrogé Berrie Hanselman, qui a travaillé des années durant pour les renseignements néerlandais et qui suivait les mouvements d’extrême gauche.
« C’est une mouvance qui trouve un écho chez de nombreux militants de gauche, mais qui ne connaît ni organisation formelle ni membres, rapporte le journal. Le dénominateur commun est une forte opposition à l’extrême droite, souvent sans intimidations ni troubles à l’ordre public, et parfois avec usage de la violence. Mais on ne peut pas parler de terrorisme, estime Hanselman. »
De son côté, juste après la mort de Charlie Kirk, le département de justice des États-Unis a supprimé de son site une étude – commandée par ses services – montrant que les faits de violences extrêmes étaient plus fréquents et plus mortels à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche.