Non, l’aigle ne peut pas vivre jusqu’à 70 ans en cassant son bec
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Ella Couet, étudiante en master de journalisme à Sciences Po Paris
Source : Compte Instagram, le 2 janvier 2025
L’aigle pourrait augmenter son espérance de vie au prix d’une décision difficile : casser son bec, arracher ses griffes et son plumage. Cette rumeur, très présente sur Internet, ne s’appuie sur aucune donnée scientifique. Elle relève davantage de la légende.
Symbole de force, de vivacité d’esprit… et de résilience ? Selon plusieurs internautes, l’homme aurait beaucoup à apprendre de l’aigle, cet animal qui, au prix d’un choix douloureux, pourrait vivre trente années de plus.
« Après 40 ans, tous les aigles doivent faire face à une décision difficile : leurs griffes ne sont plus assez acérées pour chasser, leurs becs sont devenus trop courbés […] et leur plumage devient épais et lourd. L’aigle a alors deux options : soit il meurt, soit il doit traverser une douloureuse période de transformation », raconte une vidéo Instagram, publiée sur le compte de la marque Kalos, repérée par Streetpress pour ses liens avec l’extrême droite.
Depuis plusieurs années, cette « histoire de l’aigle » circule sur les réseaux sociaux, sous différentes formes. La plupart du temps, il est attribué à l’animal la capacité d’auto-régénération de parties de son corps, pour gagner en espérance de vie. Selon ce précepte, le rapace doit casser son bec, arracher ses plumes et ses griffes.
« Après avoir fait ça, l’aigle récupère une nouvelle vie. Parfois, nous devons nous faire violence et abandonner nos vieilles habitudes afin de faire émerger une version nouvelle et meilleure de nous-mêmes », assure la vidéo aux accents de développement personnel.
Qu’en est-il réellement ? Cette espèce est-elle capable d’une telle régénérescence pour vivre jusqu’à 70 ans ?
50 ans d’espérance de vie pour un aigle en captivité
« Les records sont davantage aux alentours de 40-50 ans pour les aigles », tranche Simon Potier, chercheur en écologie comportementale et sensorielle des rapaces et fauconnier.
Cette longévité maximale peut aller jusqu’à 80 ans pour les vautours, assure l’expert, qui précise que ces données sont valables pour la captivité. « Dans la nature, c’est moins long que ça », explique-t-il.
Concernant la régénérescence des parties du corps de l’animal, Simon Potier est aussi catégorique : « c’est totalement faux ». « Un bec cassé et des serres arrachées ne repousseront jamais, l’individu mourra dans les jours qui suivent. Le plumage est renouvelé tous les ans chez les oiseaux en moyenne. »
La position de l’expert que nous avons interrogé concorde avec l’avis d’autres scientifiques interviewés par d’autres médias à ce sujet.
Interrogé par le média de fact-checking états-unien Snopes, le centre de rapaces de l’université du Minnesota faisait le même constat en 2007. « Les aigles ne perdent généralement pas leur bec ou leurs serres, à moins que ce ne soit à la suite d’une blessure traumatique. […] Sans les serres acérées pour attraper les proies et le bec fort et acéré pour déchirer la nourriture, le rapace mourrait certainement de faim. […] Les aigles et les autres rapaces ne s’arrachent généralement pas les plumes. […] Les plumes d’un oiseau s’usent et se déchirent régulièrement, si bien qu’à terme, leur qualité diminue et elles doivent être remplacées. »
Légende amérindienne… ou développement personnel ?
D’où vient cette rumeur ? Dans notre cas, cette rumeur a été relayée sous couvert de développement personnel par une marque qui collabore avec des influenceurs d’extrême droite, comme Thaïs d’Escufon ou Baptiste Marchais.
Mais cette idée ne date pas d’hier. Comme Snopes et Libération l’ont fait remarquer, il existe des occurrences de cette histoire en 2004, 2009, 2011, 2014, 2015…
Selon une médiéviste citée par Libération, cette histoire existait déjà au XIIIᵉ siècle et aurait été transmise via des « bestiaires médiévaux », recueils de nouvelles et de fables sur les animaux. De nos jours, plusieurs témoignages font état du relai de cette histoire, notamment via des chaînes de mails. Certains évoquent des origines bibliques, d’autres amérindiennes.
Cette histoire pourrait-elle être le fruit d’une interprétation très large d’une légende de natifs américains ? Pour Audrey Chapot, anthropologue et spécialiste de la civilisation amérindienne, c’est probable. « Les Amérindiens ont l’habitude d’utiliser un langage symbolique pour décrire des situations, que les Occidentaux, qui utilisent un langage plus scientifique et cartésien, ont du mal à interpréter. Cela peut créer des confusions. »
Une chose est sûre : un aigle, qui plus est sauvage, ne peut pas vivre jusqu’à 70 ans et n’aura aucun avantage à casser son bec.
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