Les Surligneurs est un média indépendant qui lutte contre la désinformation politique

rubriques
Photo : Thomas Breher from Pixabay

Non, la propriétaire d’une maison squattée ne doit pas d’argent pour défaut de chauffage

Création : 18 décembre 2025

Autrice : Maylis Ygrand, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Source : Compte Facebook, le 1ᵉʳ décembre 2025

Des internautes affirment qu’une propriétaire doit verser de l’argent à la personne qui a squatté sa maison car il n’y avait pas de chauffage. En réalité, elle doit des dommages et intérêts car elle a participé à une expédition punitive.

Condamnée pour ne pas avoir chauffé son logement squatté ? À en croire certains internautes, une propriétaire « doit verser de l’argent à son squatteur car elle n’a pas installé de chauffage dans sa maison… et qu’il a eu froid ! ».

« Comment ne pas avoir envie de faire justice soi-même quand on entend des horreurs pareilles ?!? », s’insurge une internaute. « Il y a quand même de quoi devenir fou », commente un autre.

Mais si la propriétaire a bien dû verser des dommages et intérêts, ce n’était pas en raison d’un manque de chauffage.

1 200 euros de dommages et intérêts

Le 1er décembre dernier, Karine Lellouche est invitée sur la matinale du média d’extrême droite Tocsin. Trois jours plus tôt, elle a été condamnée, par le tribunal de Bordeaux, à un an d’emprisonnement avec sursis et à verser, avec deux autres prévenus, 1 200 euros de dommages et intérêts à la personne qui a squatté sa maison, pour avoir tenté de la déloger de force.

Alors que la journaliste demande si cette somme doit être versée parce qu’« il a été gêné dans son squat », l’ancienne propriétaire — Karine Lellouche a depuis vendu ce bien — explique que c’est en raison d’un manque de chauffage. « Moi, ce qu’il me reproche, c’est que, dans la maison, il n’y avait pas de chauffage et qu’il avait froid […] c’est la demande qui a été faite », affirme-t-elle au micro de Tocsin.

Pourtant, à part cette interview, rien n’indique que l’ancienne propriétaire ait dû verser des dommages et intérêts pour cette raison. Or, cette affaire a été particulièrement médiatisée et il semble étrange qu’aucun média — présent parfois même à l’audience — n’ait fait état de ce reproche de manque de chauffage.

Un préjudice physique et psychologique

Au contraire, certains médias (comme ici ou ici) avancent une autre raison. Ils rapportent ainsi que Karine Lellouche a été condamnée à verser des dommages et intérêts, non pas pour un manque de chauffage, mais pour un préjudice physique et psychologique à la suite d’une expédition punitive.

Nicolas Gosselin, rédacteur en chef à Bordeaux pour actu.fr et présent lors du procès, explique aux Surligneurs qu’ « il s’agit d’ailleurs d’une condamnation solidaire avec les deux autres prévenus donc cette histoire de chauffage ne peut pas être la raison retenue, étant donné que les deux autres mis en cause n’étaient pas propriétaires. Cette histoire de chauffage a été citée par la défense, plutôt pour montrer l’absurdité de la situation ».

Pour mieux comprendre, revenons au printemps 2024. Karine Lellouche souhaite vendre une maison dont elle a hérité, située à Andernos-les-Bains (Gironde). Néanmoins, elle s’aperçoit que le logement est squatté. Elle porte plainte et engage une procédure dite « accélérée ». Concrètement, elle demande au préfet de Bordeaux de mettre en demeure la personne qui occupe son logement afin de l’expulser.

Mais ce dernier lui répond que « la maison a été squattée, qu’il n’y avait pas eu d’effraction, que le squatteur avait été entendu et qu’on ne pouvait pas recevoir [s]a demande pour l’expulsion de 72 heures et qu[‘elle] devai[t] passer par des avocats », a-t-elle expliqué au micro de LCI. En effet, sans effraction, il est impossible pour l’État d’ordonner une expulsion. Dans ce cas de figure, la propriétaire peut seulement passer par la procédure conventionnelle en saisissant le juge.

Plainte pour violences aggravées

Mais le temps file et Karine Lellouche dit devoir régler des frais de succession consécutifs au décès de son père. Elle fait alors part de sa situation sur les réseaux sociaux. Puis, selon son récit, voyant son désespoir, une personne la contacte pour lui proposer de déloger la personne qui squatte son logement.

Elle accepte et le 28 septembre 2025, deux hommes de main se présentent à sa maison et finissent finalement par se battre avec l’occupant. Ce dernier se voit reconnaître trois jours d’incapacité temporaire totale et porte plainte à son tour pour des faits de violences aggravées par trois circonstances : usage ou menace d’une arme, réunion et préméditation ou guet-apens.

C’est à la suite de cette dernière que Karine Lellouche, ainsi que les deux hommes de main, ont été condamnés à de la prison avec sursis et à verser 1 200 euros de dommages et intérêts. Or, « les dommages et intérêts prononcés dans le cas d’une condamnation pénale pour violences ne peuvent concerner que les préjudices résultant de ces violences », explique Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine.

L’ancienne propriétaire ne semble donc pas devoir d’argent car son logement, squatté, n’était pas chauffé. Nos confrères de 20Minutes, qui se sont penchés sur le sujet, en sont arrivés à la même conclusion.

À la suite de sa condamnation, elle a d’ailleurs reconnu avoir commis « une erreur » même si elle souhaiterait que la loi change à ce sujet.

Sollicités par la rédaction, le tribunal judiciaire de Bordeaux ainsi que les avocats de Karine Lellouche et de la personne qui a occupé son logement ne nous avaient pas répondu lorsque nous avons publié cet article.

 

Nous avons besoin de vous !  Participez à notre campagne de financement et soutenez le seul média de lutte contre la désinformation politique