Non, la pierre de Plymouth n’est pas un indicateur fiable du niveau des océans
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relectrice : Lili Pillot, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W
Source : Compte Facebook, le 28 novembre 2024
Des internautes estiment que la pierre mythique censée indiquer l’endroit où les Pères pèlerins auraient foulé les États-Unis pour la première fois montrerait que le niveau des mers n’a pas changé entre 1620 et aujourd’hui. Pourtant, la pierre de Plymouth, dont on ne connaît pas l’exact emplacement de l’époque et qui a été déplacée de nombreuses fois, ne peut être un bon indicateur.
C’est une pierre mythique : le Plymouth Rock. Ce rocher sur lequel est gravée la date « 1620 » symbolise l’endroit d’arrivée des Pères pèlerins (Pilgrim Fathers, en anglais) cette même année. Selon des centaines de publications sur les réseaux sociaux, cette pierre ne serait pas seulement un monument mythique des Pères pèlerins des États-Unis, mais bien un marqueur du temps qui passe.
« La pierre de Plymouth, emblème historique depuis 1620, est restée en place pendant des siècles, et pourtant, elle n’a jamais été submergée par les eaux. Contrairement aux récits alarmistes sur l’élévation du niveau de la mer, la mer semble avoir reculé, exposant davantage ce symbole du passé », est-il écrit dans une publication partagée et retranscrite dans des dizaines de publications sur Facebook.
« Les activistes du changement climatique ne peuvent toujours pas expliquer pourquoi, après des siècles sur la côte atlantique, la pierre de Plymouth n’est pas sous les eaux », s’interroge faussement un autre sur TikTok. Si on n’avait pas compris le message : « La preuve que le niveau des mers n’augmente pas et que le discours sur le changement climatique provoqué par l’homme est une escroquerie », commente un autre internaute sur X.
Mais alors, ce marqueur historique peut-il vraiment rendre compte du niveau des océans ?
Une pierre plus mythique qu’historique
Reprenons depuis le début. La pierre de Plymouth est, selon le mythe fondateur des États-Unis, l’endroit qui marque l’arrivée des Pères pèlerins en 1620. D’après l’histoire, 102 pèlerins ont fui les persécutions en Angleterre et ont accosté à bord du Mayflower, au cap Cod, une presqu’île se situant sur la côte est des États-Unis (désormais dans l’État du Massachusetts).
Sauf qu’historiquement, il est très compliqué de prouver que ce rocher était bien le lieu d’arrivée des Pères pèlerins. Aucun des pèlerins ne le mentionne à leur arrivée à Plymouth dans leurs écrits, explique le Pilgrim Hall Museum sur son site internet. « Il n’existe aucune référence contemporaine à l’accostage des pèlerins sur un rocher à Plymouth. Il existe deux sources primaires écrites par les pèlerins eux-mêmes. […] Les deux disent simplement que les pèlerins ont débarqué. Aucun ne mentionne de rochers dans son récit de l’arrivée. »
D’après le site officiel touristique de la ville de Plymouth, ce n’est qu’en 1741, soit 121 ans après l’arrivée du Mayflower que le rocher a été identifié à cet endroit pour la première fois. « Thomas Faunce, un homme d’Église âgé de 94 ans, a déclaré que son père, qui est arrivé à Plymouth en 1623, ainsi que d’autres passagers du Mayflower, lui ont assuré que le rocher était le lieu exact de l’accostage. »
S’il est compliqué d’identifier le lieu exact de cette pierre en 1620, ce qui est certain, c’est que, depuis, la pierre de Plymouth a été déplacée.
Cassée puis déplacée et cimentée
« L‘histoire du déplacement du rocher à plusieurs reprises dans des endroits complètement différents de Plymouth est extrêmement bien documentée par des récits et des journaux publiés, ainsi que par des photographies », a expliqué Donna Curtin, directrice du Pilgrim Hall Museum, aux Surligneurs par mail.
Dans History of the Town of Plymouth, publié en 1835, l’écrivain états-unien James Thacher (page 198), raconte comment les habitants de Plymouth ont déplacé la pierre en 1774 avec l’aide de « 20 bœufs de trait ».
« Le rocher a été soulevé de son lit à l’aide de grosses vis ; et en essayant de le monter sur le chariot, il s’est fendu sans aucune violence. […] La partie inférieure a été replacée dans son lit d’origine, où elle se trouve encore, à quelques centimètres au-dessus de la surface de la terre, à la tête du quai. La partie supérieure, pesant plusieurs tonnes, fut transportée jusqu’à la place du poteau de la liberté, devant la maison de réunion. »
La partie supérieure sera déplacée de nouveau, est-il indiqué sur le Pilgrim Hall Museum, avant que les deux parties soient réunies avec du ciment en 1880 (dont la cicatrice est visible aujourd’hui). C’est à ce moment-là qu’a été gravée la date « 1620 » dans le bloc.
Au vu des pérégrinations du rocher et de son origine floue, impossible donc d’utiliser la pierre de Plymouth comme un indicateur du niveau des eaux.
Une idée contredite par les faits
Plutôt que de se baser sur un seul rocher qui a été bougé plusieurs fois ces dernières centaines d’années et dont on ne sait pas exactement quel était son emplacement il y a 400 ans, utilisons des indicateurs scientifiques plus fiables.
À l’occasion de la sortie du rapport spécial sur les océans et la cryosphère dans le contexte du réchauffement climatique de 2019 (SROCC), le GIEC a rapporté que « le niveau de la mer a augmenté d’environ 15 centimètres à l’échelle mondiale au cours du XXe siècle ». La hausse actuelle est plus de deux fois plus rapide — à raison de 3,6 millimètres par an — et continuera de s’accélérer selon les projections.
D’autant plus que l’affirmation même selon laquelle la pierre de Plymouth ne serait jamais recouverte par les eaux est contredite par des vidéos. En effet, durant des marées extraordinaires, le rocher est submergé, comme le prouvent des vidéos d’internautes.
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