Non, la différence entre les sondages et les résultats aux législatives n’est pas la preuve d’une fraude électorale
Dernière modification : 10 juillet 2024
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clotilde Jégousse
Source : Post Facebook, 7 juillet 2024
Selon plusieurs publications sur les réseaux sociaux, il y aurait eu une fraude massive aux élections législatives de 2024. La preuve ? La différence entre des estimations de 18 h prévoyant une victoire du RN et les résultats de 20 h, classant le parti d’extrême droite en troisième position. Problème : au-delà du fait que les sondages ne déterminent pas les résultats, ces estimations sont fausses, démenties par la plupart des instituts de sondages.
À chaque élection, la même histoire : certains, qui s’estiment lésés, crient à la manipulation. C’était déjà le cas pour les élections présidentielles de 2022. Ça n’a pas loupé pour les législatives de 2024.
Sur Facebook notamment, au soir du second tour le 7 juillet, des internautes affirment qu’il y aurait eu une “fraude massive” pour ce scrutin. En cause, la grande différence entre des estimations donnant le RN gagnant, publiées sur Twitter vers 18 h, et les résultats à 20 h, qui ont classé le parti d’extrême droite seulement troisième. “Selon plusieurs sondages à 18 heures, le RN avait 228 sièges. Expliquez-moi comment il est possible qu’à 19 h 15 il se retrouve avec seulement entre 130 et 160 sièges et 3ᵉ ?” s’interroge ironiquement cet internaute.
Une fausse estimation
Le sondage évoqué, publié vers 18 h et attribué à Ipsos, n’en est en fait pas un. C’est une estimation partagée dans les boucles de messageries entre journalistes puis plus largement sur Twitter. Après vérification, auprès d’Ipsos, ou encore d’Odoxa via Twitter, ces estimations ne sont pas celles des instituts de sondage. Elles sont donc très probablement fausses.
Un moyen très simple permet de le vérifier : les instituts de sondage n’ont pas le droit d’en publier dans les 48 heures avant le résultat du scrutin prévu à 20 heures. Les estimations que vous avez vues à quelques minutes du dénouement ne sont pas authentifiées.
Comme les chaînes de télévision ou les stations de radio, les instituts de sondages ont un devoir de réserve. Selon l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977, relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, “la veille et le jour de chaque scrutin, aucun sondage électoral ne peut faire l’objet, par quelque moyen que ce soit, d’une publication, d’une diffusion ou d’un commentaire”.
Risque de sanctions
Ne pas respecter cette règle constitue une infraction punie d’une amende de 75 000 euros, selon l’article 12 de la même loi. En France donc, aucun institut de sondage ne rend public ses analyses quelques heures ou minutes avant le résultat d’une élection.
Par contre, “pour aider les journalistes à préparer les informations de 20 heures, les instituts de sondages communiquent [juste avant le résultat, NDLR], des données aux rédactions”, dites “sous embargo”, explique Valérie Charolles, docteure en philosophie et spécialiste des statistiques, auteure d’un livre sur le sujet. Ces estimations ne doivent en aucun cas être publiées, toujours selon la loi de 1977.
De leur côté, les médias étrangers ne sont pas soumis à ces règles. Mais la reprise en France de ces estimations reste, elle, interdite.
“Estimations à prendre avec des pincettes”
Pourtant, à 18 h 43, dans la période de réserve, un compte Twitter publie une de ces estimations, celle attribuée à Ipsos : “Deux estimations à prendre avec des pincettes : Ipsos > 228 RN + LRciotti ; 151 NFP ; 124 Ensemble […]”. Contactée, la personne propriétaire du compte Twitter nous confie avoir trouvé ces informations dans une boucle de messagerie, sans préciser laquelle.
Cette même estimation a en effet circulé dans plusieurs boucles de messageries Internet, notamment celles de confrères et consœurs journalistes que nous avons consultés, mais aussi sur des canaux Telegram.
Une estimation similaire est publiée par le quotidien belge La Libre, que nous avons essayé de joindre via Twitter, à 18 h 50. “Selon un premier sondage sorti des urnes d’Ipsos, voici ce à quoi ressembleraient les résultats de ce second tour : Rassemblement national et alliés : 228 sièges ; Nouveau Front populaire : 161 ; Ensemble : 124 ; LR et divers droite : 50”.
D’où part cette information ? Il est quasiment impossible de remonter à la source. Mais en contactant Ipsos, l’institut concerné, nous pouvons confirmer que cette estimation est fausse. “Ce ne sont en aucun cas nos sondages” atteste l’institut auprès des Surligneurs. “Le SMS que nous avons communiqué aux journalistes à 19 h 05 indiquait ces estimations : Nouveau Front Populaire: de 170 à 190 sièges ; ENSEMBLE: de 150 à 170 sièges ; Les Républicains / Divers Droite: de 57 à 67 sièges ; Rassemblement National et alliés : de 135 à 155 sièges”. Vérification faite auprès de certains de nos confrères, ces vraies estimations ont aussi circulé au sein des rédactions, en même temps que les fausses.
Le dernier sondage authentique et public de l’institut Ipsos a été publié le vendredi 5 juillet. Il prévoyait 175 à 205 sièges pour le RN et ses alliés, 145 à 175 pour le NFP et entre 118 et 148 pour la majorité présidentielle. Comme tous les autres instituts de sondage, Ipsos avait tablé sur une plus large victoire du RN.
La différence entre les sondages et les résultats est tout à fait normale, nous rappelle Valérie Charolles. “Le fait que les résultats ne soient pas ceux prévus par les sondeurs signifie que les sondeurs se sont trompés, pas qu’il y a eu trucage des élections !”. En effet, “il y a une différence entre un sondage qui est plein d’incertitudes, et un résultat clair et établi” souligne la chercheuse. Car on le rappelle encore une fois, les sondages sont loin d’être une science exacte.
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