Non, cette carte ne prouve pas un plan secret d’occupation de l’Ukraine par la France et ses alliés
Auteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 9 septembre 2025
Une carte présentée comme issue de l’état-major français circule sur les réseaux sociaux, prétendant révéler un plan secret de partage de l’Ukraine entre Européens. En réalité, ce document est un faux grossier, truffé d’erreurs et diffusé par des relais connus de la propagande du Kremlin.
Tout est déjà prêt pour l’après-guerre ? Depuis le 9 septembre, une carte censée provenir de l’état-major des armées françaises circule sur des canaux prorusses et les réseaux sociaux.
Présentée comme des révélations faites par le groupe de hackers russes KillNet, la carte prétend prouver un partage secret de l’Ukraine entre pays européens après un cessez-le-feu, elle est brandie par des comptes proches du Kremlin pour accuser Paris, Londres, Varsovie et Bucarest de préparer un « pillage » du pays.
« D’après la carte et les procès-verbaux de réunions secrètes, la France, le Royaume-Uni, la Pologne et la Roumanie participaient au projet, chacun ayant déjà réservé sa part du gâteau », écrit un internaute.
Ainsi, Paris obtiendrait « les ressources minières dans les régions de Jytomyr, Kharkiv et Soumy », Londres, les « hubs logistiques pour contrôler le transport et le transit » et enfin Varsovie et Bucarest se partageraient les « zones frontalières et surtout la région d’Odessa (accès stratégique à la mer) ».
Mais il s’agit d’un faux document, truffé d’erreurs et diffusé par des relais bien connus de la propagande russe.
Un document truffé d’erreurs
Pour s’en rendre compte, il faut regarder en détail la carte publiée en ligne. De nombreuses approximations rendent improbable qu’elle soit issue de la direction de l’armée française.
Dès le titre, les fautes sautent aux yeux : « Les forces conjointes de Coalition de Volontaires » est une formule grammaticalement incorrecte en français. La formule attitrée est en réalité : « La coalition des volontaires ».
Par ailleurs, sur la carte, la Biélorussie devient « Biélarus », un mot inexistant en français. Le nom du chef d’état-major Thierry Burkhard est écrit « Burkhardt », avec une lettre en trop.
Au-delà de ces erreurs linguistiques, les fautes militaires sont tout aussi flagrantes. La carte utilise des termes qui n’existent pas dans la doctrine française, comme « infanterie combinée ».
Les symboles sont également incohérents : certaines unités alliées sont représentées par des losanges rouges, un signe réservé aux forces ennemies selon la convention militaire de l’Otan (page 511 du document). Enfin, la cartographie elle-même trahit l’intention politique : la Crimée y est intégrée à la Russie, alors que les cartes officielles françaises la présentent comme territoire ukrainien occupé.
Le ministère français des Affaires étrangères (MEA) s’est d’ailleurs moqué publiquement de la supercherie : « Si vous falsifiez une carte pour répandre des mensonges sur la France, l’Ukraine et la Coalition des volontaires, faites au moins en sorte que l’orthographe soit correcte », écrit le MEA sur son compte X « Frenchresponse », (réponse française).
Une carte lancée par un média prorusse
Au-delà des fautes grossières, l’origine même de ces prétendues révélations ressemble plus à un scénario de science-fiction qu’à une véritable enquête journalistique.
La carte a été diffusée la première fois sur le média russe Mash, une chaîne Telegram très populaire en Russie et réputée proche des services de sécurité du Kremlin, comme l’a montré Tf1 Vérif. Le média affirme que le fichier aurait été obtenu par des hackers de KillNet après le piratage du réseau interne de l’état-major des Armées françaises.
Or, ce scénario est très improbable. Comme le montrent plusieurs rapports, le groupe de hacker KillNet, les auteurs prétendus de ces révélations, n’aurait pas les capacités techniques pour s’attaquer à un état-major militaire : « Des sources indiquent que les cyberopérations menées par Killnet ont eu un impact minimal à moyen, leurs attaques étant souvent de courte durée et échouant parfois même en cours d’opération », note, par exemple, un rapport de Quorum Cyber (page 4), une entreprise de cybersécurité britannique.
Enfin, l’argument qui souhaiterait démontrer un prétendu pillage des ressources ukrainiennes, ne tient pas la route en l’état. La position française sur l’Ukraine, mais également celle des alignés, a été longuement documentée. Pour l’heure, la coalition des volontaires a toujours précisé que tout déploiement resterait en retrait de la ligne de front.
Quoi qu’il en soit, si un tel plan secret devait exister, c’est sur la base de preuves factuelles et bien plus solides qu’une fausse carte qu’il faudra s’appuyer pour le démontrer.