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Les relevés scientifiques montrent que l'océan se réchauffe bel et bien depuis un siècle. Crédit photo : Andywallxyz / CC BY 4.0 et Jarosław Kwoczała de Pixabay

Non, ce graphique n’est pas une preuve du « canular climatique »

Création : 22 juillet 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris

Source : Compte X, le 20 juillet 2025

Plusieurs internautes utilisent un schéma montrant l’évolution des températures des océans entre 2014 et 2022 pour contester le réchauffement climatique. Il démontre pourtant l’inverse.

Comment utiliser un graphique pour affirmer le contraire de ce qu’il montre ? Cet utilisateur de X, climatosceptique notoire, s’est risqué à l’exercice ce 20 juillet 2025 pour tenter de démonter le prétendu « canular climatique ».

« Une étude sur les températures des océans de 2013 à 2022 est un nouveau coup dur pour le réchauffement climatique », affirme l’internaute dans sa publication, relayée par des centaines de personnes, y compris sur Facebook. Le post est accompagné d’un histogramme barré d’une flèche légèrement inclinée vers le bas, censée décrire « le refroidissement global des océans depuis 2013 ».

Sauf que le graphique montre précisément le contraire. Encore faut-il donner les clefs pour en comprendre le sens.

La bonne lecture du graphique

Le schéma en question n’est pas issu d’une « étude », mais du site internet de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA). Rattachée au département du Commerce des États-Unis, la NOAA répertorie différents indicateurs climatiques afin d’informer le public et de guider l’action publique.

L’agence propose sur son site un outil de visualisation de l’évolution des températures au fil du temps qui permet de créer des graphiques, tel que celui posté sur les réseaux sociaux. En l’occurrence, le schéma représente la température mensuelle des océans de janvier 2014 à juin 2022.

Le relevé de températures à la surface des océans de la NOAA de janvier 2014 à décembre 2022. Chaque barre rouge mesure la différence entre la température mensuelle et la température de référence calculée sur le siècle dernier. Toutes les mesures sont au-dessus de la normale.

 

Au premier coup d’œil, le niveau des températures semble stable sur cette période, voire en très légère baisse en moyenne. Ce qui, pour certains internautes, serait la preuve d’un refroidissement des océans.

En réalité, le graphique ne montre pas les températures absolues relevées à la surface des eaux, mais leur déviation par rapport à une norme, appelée « anomalie de température », comme l’explique la NOAA. « Une anomalie positive indique que la température observée était plus chaude que la valeur de référence, tandis qu’une anomalie négative [indique l’inverse] », précise l’agence.

En clair, chaque barre montre la variation de température par rapport à la moyenne calculée sur la période allant de 1901 à 2000. L’enseignement principal de ce schéma est donc que, de 2014 à 2022, le niveau de mercure relevé chaque mois à la surface des océans était plus élevé qu’au siècle précédent. Sur cette période, le redoux des mers par rapport à la norme variait de +0,5 degré (janvier 2014) à +0,87 degré (janvier 2016).

Des températures de plus en plus chaudes

La légère baisse de la température des océans relevée par les internautes s’inscrit donc dans un contexte plus global de réchauffement, qui se mesure sur le temps long. Pour s’en convaincre, il suffit d’allonger la période prise en compte. Les données de la NOAA montrent que, depuis 1900 à nos jours, les océans se sont réchauffés de 0,08 degré par décennie en moyenne. Pire : depuis juillet 1976, toutes les températures mensuelles sont supérieures à la norme, montrant une intensification du réchauffement.

Le relevé de températures à la surface des océans de la NOAA de janvier 1900 à juin 2025. La tendance globale montre bien un réchauffement des mers, encore plus marqué ces dernières années.

 

Les données de l’observatoire européen Copernicus et du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) confirment cette tendance : en un peu plus d’un siècle, les océans se sont réchauffés d’environ 0,9 degré.

Ainsi, plutôt que de prouver l’inexistence du réchauffement climatique, le schéma posté sur X démontre que les eaux mondiales sont bien plus chaudes que par le passé. Le redoux des océans est même, « sans équivoque », l’un des principaux symptômes du dérèglement climatique causé par les activités humaines, rappelle le Giec.

Onze bombes d’Hiroshima par seconde

Les océans absorbent en effet 90 % de la chaleur générée par les gaz à effet de serre émis par l’activité humaine, d’après l’observatoire Copernicus. L’atmosphère, elle, n’en retient qu’environ 1 %, car l’eau emmagasine bien mieux la chaleur que l’air. Grâce à cette capacité, les océans agissent comme un véritable tampon thermique, en limitant et en retardant le réchauffement à la surface de la Terre.

Pour mesurer le surplus d’énergie – et donc de chaleur – capté chaque année par les océans à cause du réchauffement climatique, les scientifiques utilisent une unité gigantesque, le zettajoule, qui correspond à 1021  joules. À titre d’exemple, chaque année, l’économie mondiale consomme un demi zettajoule d’énergie.

En 2023, les eaux des océans situées jusqu’à 2 kilomètres de profondeur ont absorbé entre 9 et 15 zettajoules selon les différents relevés. La même année, les satellites de la Nasa, qui mesurent le réchauffement des océans de leur surface jusqu’à leur plancher, ont observé, eux, une augmentation d’énergie de 23 zettajoules. En d’autres termes, en 2023, les océans ont absorbé autant de chaleur que si 11 bombes atomiques comme celle d’Hiroshima explosaient chaque seconde, 24 heures sur 24, pendant toute l’année.

Sans le stockage de cette immense quantité d’énergie par les océans, la surface du globe serait une fournaise. Selon une étude anglaise, si l’atmosphère avait dû absorber la quantité d’énergie stockée dans les océans entre 1955 et 2010, la Terre se serait réchauffée de 36 degrés.

Le redoux des eaux mondiales cause cependant de nombreux problèmes, relève Copernicus : la perturbation des écosystèmes marins et des courants, la montée du niveau des mers causée par la dilatation de l’eau, l’apparition plus fréquente d’événements climatiques extrêmes (pluies, orages, tempêtes…), l’appauvrissement des ressources extraites par l’homme (pêche, tourisme, énergie…), etc. En somme, même si les océans freinent la crise, tant qu’ils se réchaufferont, le dérèglement climatique s’aggravera.