Non, Brigitte Macron n’a pas voulu remplacer la flèche de Notre-Dame par un pénis
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste
Source : Compte Facebook, le 3 février 2025
Un passage du livre de l’ancienne ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a laissé croire que la Première dame aurait approuvé un projet de « sexe érigé » avec « des boules d’or » à la place de la flèche de Notre-Dame. Le projet en question n’a rien à voir avec un pénis et a été abandonné.
« Bachelot a révélé que Brigitte Macron voulait remplacer la flèche de Notre-Dame par un pénis avec des boules en or. Les médias se sont empressés de raconter qu’elle n’a pas voulu dire ça… Problème : elle l’a pas seulement dit, elle l’a ÉCRIT dans son livre… » À la suite de la vidéo tant attendue de prétendues révélations de la chroniqueuse états-unienne, Candace Owens, le 31 janvier, de nombreuses vidéos et rumeurs sur la Première dame française ont été ressorties des cartons de la sphère complotiste. C’est le cas de cette vidéo d’André Bercoff sur Sud Radio partagée en masse.
Face à Francis Lalanne, le 6 janvier 2023, l’animateur reprenait un passage du dernier livre de Roselyne Bachelot-Narquin. Elle y raconte ses 682 jours éponymes (Plon, 2023) au sein du ministère de la Culture sous la présidence d’Emmanuel Macron. Alors qu’elle dénonce un « bal des hypocrites » (sous-titre de son livre), Roselyne Bachelot écrit un passage qui a fait tiquer tout le monde.
« Je n’oublie pas la première réunion de la Commission nationale de l’architecture et du patrimoine où j’affirme dès le 9 juillet que la flèche de Notre-Dame doit être construite à l’identique pour respecter la convention de Venise [en réalité, la Charte de Venise, un accord international relatif à l’entretien du patrimoine, ndlr]. Quand je rentre rue de Valois, le cabinet est en stress : l’Élysée rêve d’un “geste architectural” et m’accuse de n’en faire qu’à ma tête. Bon, ce ne sera pas la dernière fois. Je ne regrette pas cette insubordination quand, déjeunant quelques jours plus tard avec Brigitte Macron, elle me montrera un projet culminant avec une sorte de sexe érigé, entouré à sa base de boules en or… »
Voilà qui a de quoi surprendre. André Bercoff n’est d’ailleurs pas le seul à s’en être moqué grassement. Mais alors, si Roselyne Bachelot l’a écrit, ce doit être vrai, non ? Si le projet de reconstruction d’une flèche non identique a bien existé, nul sexe ni testicules n’était prévu dans celui-ci.
Deux écoles pour la reconstruction
Après l’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, Edouard Philippe, alors Premier ministre, annonce le lancement d’un « concours international d’architecture sur la reconstruction de la flèche » tombée dans les flammes la veille.
René Bouchara, designer et plasticien parisien, décide de se lancer dans l’aventure. « Dès le début, il y a deux écoles : ceux qui veulent faire table rase et ceux qui veulent reconstruire à l’identique, explique l’artiste aux Surligneurs. Moi, je suis plutôt partisan de la deuxième école, mais je voulais incarner l’émotion et la communion qu’avait suscité l’incendie. »
Sauf que le concours d’architecture pour reconstruire la flèche est abandonné par le gouvernement, qui souhaite finalement une reconstruction à l’identique. René Bouchara persiste et tente de se rapprocher des sphères décisionnelles. Selon lui, il a réussi à contacter la Première dame, Brigitte Macron, qui aurait intercédé en sa faveur auprès du général Jean-Louis Georgelin, chargé de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris et décédé dans un accident de montage en juillet 2023.
Dans son livre, La flèche de Notre-Dame : histoire d’un projet abandonné (éditions Kubik), paru en octobre 2024, René Bouchara développe la façon dont le projet se serait poursuivi en sous-marin, sans être toutefois officiellement validé. Plusieurs planches et prototypes ont été réalisés, tandis que des discussions avec les Compagnons du devoir étaient largement entamées, rapporte le plasticien.
Un chapelet plutôt que des boules
Si rien n’est acté, le designer entend tout faire pour que son projet voie le jour. Mais en janvier 2023, Roselyne Bachelot sort le livre dans lequel elle mentionne ce projet et le compare à un pénis. Scandale. Les contours du projet tels qu’esquissés par l’ancienne ministre circulent dans des médias, comme Sud Radio, mais aussi le Daily Mail, et sur les réseaux sociaux. De fausses images du résultat supposé sont postées sur la toile, certaines tout à fait grotesques, comme cette image d’un pénis doré.
Sauf que cette description n’est pas du tout conforme à la proposition de René Bouchara. Il s’agit en réalité d’un anneau constitué de 56 sphères de 28 centimètres de diamètre chacune, censé représenter un chapelet qui entoure la flèche. Les sphères devaient s’illuminer seulement la nuit.
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Le projet alternatif de flèche de Notre-Dame de Paris imaginé par René Bouchara présenté dans son livre « La flèche de Notre-Dame : histoire d’un projet abandonné » (éditions Kubik, 2024)
À la vue de toutes les maquettes et présentations du projet, on se demande bien comment Roselyne Bachelot a pu y voir un « sexe érigé » accompagné de « boules en or ». Si l’on peut louer sa sacrée imagination, les conséquences de cette petite phrase seront définitives pour le projet.
Face à l’indignation provoquée par la sortie du livre de Roselyne Bachelot, le cabinet de la Première dame assure à Libération que « ce projet n’était pas porté par madame Macron ». Le cabinet de la Première dame nous assure que Madame Macron a en effet reçu plusieurs projets et qu’ils ont tous été relayés à la Ministre et au général Georgelin.
Contactée par ce même journal, la locataire de la rue de Valois fait, en quelque sorte, marche arrière sur la phrase écrite dans son livre : « Dans cette affaire, Brigitte ne plaidait absolument pas pour ce projet qu’elle ne faisait que transmettre, car il avait été reçu à l’Elysée, avait-elle rectifié. Nous avons reçu des dizaines de ‘gestes architecturaux pour la restauration de la Flèche’ ! »
Contactée, Roselyne Bachelot n’a pas répondu aux Surligneurs.
Finalement, ni pénis, ni boules en or, ni anneau-chapelet n’auront vu le jour. Et en mars 2024, lorsque la flèche de Notre-Dame est reposée sur la cathédrale, elle est reproduite à l’identique.