Nadine Morano veut inciter à donner l’identité du motard blessé à Villeneuve-la-Garenne dans un accident impliquant la police

Création : 25 avril 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Valentin Caro, étudiant en Master Droits de l’Homme de l’Université Paris Nanterre, sous la direction d’Audrey Darsonville, professeure de droit, et d’Emmanuel Daoud, avocat

Source : Compte Twitter de Nadine Morano, 22 avril 2020

Divulguer l’identité d’une victime par un média est interdit par la loi. De surcroît, l’usage du terme « racaille » peut être condamné par le juge.

Le samedi 18 avril, un incident s’est produit à Villeneuve-la-Garenne : un jeune homme s’est encastré dans une portière ouverte d’une voiture de police banalisée. Le jeune homme a porté plainte contre X. Très médiatisée, cette affaire a fait l’objet d’un article du Parisien, intitulé « Villeneuve-la-Garenne : le motard blessé dans un accident impliquant la police porte plainte ». Dans un tweet, Nadine Morano, députée européenne et ancienne ministre, s’est offusquée de l’anonymat de l’individu : « Un problème pour donner l’identité de cette racaille condamnée 11 fois qui contribue au désordre public ? Soutien total à la police ! ». Pour répondre à sa question, oui, c’est un problème.

L’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit de 15 000 € d’amende « Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, des renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression […] ». Autrement dit, il est répréhensible de diffuser l’identité d’une victime d’une agression. Appliquons cet article aux faits. Les agresseurs, qui ne sont d’ailleurs pas mentionnés puisque la victime a porté plainte contre X, sont présumés innocents. Ériger l’individu au rang de victime ne signifie pas obligatoirement que le prévenu soit coupable. En effet, le statut de victime est indépendant de celui de l’accusé. On peut donc dire de quelqu’un qu’il est victime d’une agression (au sens de l’article 39 quinquies précité), sans qu’un juge pénal ait rendu une décision de condamnation de ses agresseurs. Il y a donc ici bien une victime au sens de la procédure et c’est ensuite au juge de dire s’il y a agression. Et si le juge estime qu’il y a eu une agression, Le Parisien peut être condamné pour avoir divulgué l’identité de cette victime. Il appartient donc aux journaux d’être prudents. Le choix éditorial de non-divulgation de l’identité de la victime n’est finalement pas qu’une question éthique, mais bien juridique.

Le tweet de Nadine Morano attire également l’attention en raison de l’emploi du qualificatif « racaille ». Or, il est nécessaire de souligner que ce qualificatif a déjà fait l’objet d’un contentieux devant le tribunal de grande instance de Paris (17e chambre, 24 novembre 2005, Ligue des droits de l’Homme c/ Gérard S.). Dans cette décision, pour condamner l’usage de ce propos, le tribunal avait alors retenu deux définitions, celle du littré (« partie la plus vile de la populace ») et celle du Robert (« terme très injurieux servant à désigner des personnes méprisables, considérées comme le rebut de la société »). Le tribunal en avait conclu que « la force particulièrement outrageante de ce mot, qui est intuitivement et spontanément perçue par tous, tient incontestablement à son caractère essentiellement performatif ; à son seul énoncé, il stigmatise la personne ou les populations ainsi invectivées pour les mettre au ban de la société. Son seul emploi crée la proscription ». Le juge avait ainsi retenu le délit de diffamation et d’injure publiques envers un groupe de personnes en raison de leur race, de leur religion et de leur origine ainsi que de provocation à la discrimination nationale, raciale ou religieuse, prévus par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881. Dans les faits de cette précédente affaire, si le juge en était arrivé à cette conclusion, c’est que l’auteur de ces propos avait fait une référence explicite à l’islam. Nadine Morano ne fait ici aucune référence à la « race » ou à la religion du jeune homme. Malgré tout, l’emploi de ce terme est stigmatisant et outrageant selon la conception du tribunal. Reste à savoir si le juge considère que son usage seul, sans référence à une religion, est répréhensible…

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