Motion de censure : quels sont les scénarios possibles dans les prochaines heures ?
Dernière modification : 4 décembre 2024
Auteur : Vincent Couronne, chercheur associé au laboratoire Versailles Institutions Publiques
Relecteurs : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers et Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Lundi 2 décembre au soir, le groupe de la gauche à l’Assemblée nationale a déjà déposé une motion de censure contre le gouvernement Barnier, alors que, quelques heures plus tôt, le Premier ministre déclenchait l’article 49.3 pour faire adopter sans vote le budget de la sécurité sociale. Les prochaines quarante-huit heures vont être déterminantes.
Ce lundi 2 décembre, sur les coups de 15h30, Michel Barnier a fini par monter à la tribune de l’Assemblée nationale pour annoncer qu’il actionnait l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, malgré l’appel de plusieurs bords politiques à voter la censure. Alors qu’il aurait pu laisser l’Assemblée nationale rejeter le texte pour lui faire poursuivre sa navette législative, le choix du Premier ministre ouvre une période de quarante-huit heures où le gouvernement va jouer sa survie.
Lundi soir, cent quatre-vingt-cinq députés insoumis, socialistes, écologistes et communistes avaient déjà déposé une motion de censure, en application de l‘article 49 alinéa 3, qui permet d’adopter un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale sans vote. L’article dispose en effet que le budget de la Sécurité sociale « est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée » par les députés. Les députés de gauche n’auront donc pas fait durer le suspens.
Le Rassemblement national a également annoncé que son groupe déposerait sa propre motion de censure, tout en assurant que ses députés voteront la motion de censure de la gauche.
Quarante-huit heures chrono
« Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt« , prévoit l’article 49. Un débat va donc s’ouvrir à l’Assemblée nationale voyant se succéder les groupes politiques à la tribune pour défendre leur position : voter ou rejeter la censure. Avec en ligne de mire mercredi soir, quand les quarante-huit heures seront écoulées et que les députés pourront passer au vote. Côté LFI, le député Éric Coquerel a déjà annoncé, selon Le Monde, qu’il porterait la motion. Les partis de gauche ont annoncé qu’ils voteraient la censure, tout comme le RN. Mathématiquement, donc, le gouvernement devrait tomber mercredi soir au plus tôt.
Il faut en effet, pour que la censure soit adoptée, une majorité des sièges en sa faveur. Dans cette configuration, les votes blancs et les absents ne comptent pas. Ainsi, un député ou une députée qui ne voudrait pas choisir entre « pour » ou « contre », ou ne serait pas présent dans l’hémicycle au moment du vote, affaiblirait le camp en faveur de la censure.
La chambre basse comptant 577 députés, il faut donc 289 votes « pour » afin de censurer le Gouvernement. Un vote « pour » des députés LFI, PS, GDR, Verts et RN serait ainsi suffisant, puisque ces groupes totalisent 316 députés.
Lundi soir, avec 27 sièges d’avance, la majorité en faveur de la censure n’est en réalité pas si large que ça. Car le bras de fer entre gouvernement et groupes politiques à l’Assemblée n’est pas terminé. Au-delà des débats qui vont avoir lieu au Palais Bourbon, Michel Barnier va sans doute tenter de sauver le budget de la Sécurité sociale – et son gouvernement – en négociant avec les groupes politiques afin de dissuader un nombre suffisant de députés de voter en faveur de la censure.
Le scénario d’un rejet demeure tout à fait possible et ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement renverserait la tendance entre le dépôt et le vote. En 1967, le gouvernement Pompidou a évité la censure à cinq voix près ; en 1986, Jacques Chirac, alors Premier ministre, passe lui aussi à cinq voix de la censure, après un 49.3 pour faire passer le retour du scrutin majoritaire à l’Assemblée. Même score pour Michel Rocard en 1990 pour l’adoption du budget. Mais celui qui est passé le plus près de la censure est Pierre Bérégovoy en 1992, à seulement… trois voix près. Ces faibles écarts témoignent de l’intérêt qu’il peut y avoir à négocier entre le dépôt et le vote de la motion pour éviter d’être renversé.
Mais rien ne dit que cela peut fonctionner. Le 4 octobre 1962 – date du 4e anniversaire de la Constitution, tout un symbole –, pour la première et la dernière fois sous la Cinquième République, un gouvernement, dirigé par Georges Pompidou, était censuré pour protester contre le projet de référendum de Charles de Gaulle visant à inscrire dans la Constitution l’élection du président de la République au suffrage universel direct et organisé en contournant le Parlement.
Que se passerait-il en cas de censure ?
En cas de censure, le gouvernement resterait en place et expédierait les affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement, qui pourrait prendre du temps, comme cela s’est vu avec le gouvernement de Gabriel Attal. En 1962, Charles de Gaulle avait dissout l’Assemblée nationale en mesure de rétorsion. Mais ici, Emmanuel Macron ne dispose pas de cette possibilité, puisqu’une nouvelle dissolution, selon l’article 12 de la Constitution, ne pourra avoir lieu avant juin 2025.
Le président de la République sera-t-il tenté de démissionner ? La décision lui appartient et il pourrait ne pas se sentir visé par la censure, prononcée à l’encontre du gouvernement. Il faut dire qu’Emmanuel Macron s’est retranché depuis la dissolution de juin 2024 sur la politique étrangère de la France, laissant le Premier ministre gouverner. Quant aux budgets de la Sécurité sociale et de l’État, ils seraient en danger. Sans risque, toutefois, d’un « shutdown« à l’américaine au 1er janvier 2025.
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