Motion de censure : gestion des affaires courantes, adoption du budget 2025… tout ce qu’il faut savoir après la chute du gouvernement Barnier
Dernière modification : 6 décembre 2024
Auteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’université de Poitiers
Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Cet article est une mise à jour d’un éclairage du 8 juillet 2024
Renversé par une motion de censure par l’Assemblée nationale, le gouvernement de Michel Barnier est renversé et devient démissionnaire. Cependant, il va rester en fonction pour expédier les affaires courantes. Quant à l’adoption du budget, plusieurs options sont sur la table.
Ce mercredi 4 décembre est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la Ve République. Pour la deuxième fois depuis 1958, un gouvernement est renversé à la suite de l’adoption d’une motion de censure par l’Assemblée nationale. Le seul précédent sous notre République étant la censure du gouvernement de Georges Pompidou en 1962. Le couperet tombé, que se va-t-il se passer maintenant ?
C’est certes la fin du gouvernement Barnier, pour autant les ministres n’ont pas à faire leurs cartons immédiatement. Dans l’attente de la nomination d’un nouveau Premier ministre, Michel Barnier doit assurer essentiellement le fonctionnement régulier des services publics et la continuité de l’État. C’est ce qu’on appelle la « théorie des affaires courantes ».
Mais le Premier ministre est « débranché » politiquement, et ne peut plus entreprendre de nouvelles réformes.
Un pouvoir encadré
S’il venait à prendre des décisions à caractère politique, Michel Barnier s’exposerait à l’annulation de ses décrets par le Conseil d’État. Si la loi ne fixe pas de limite à ce qui constitue des « affaires courantes », la jurisprudence administrative est claire à ce sujet.
Il y a plus de soixante-dix ans, dans une décision du 4 avril 1952, le Conseil d’État avait par exemple annulé un décret du gouvernement Gouin — le gouvernement de la France du 26 janvier au 12 juin 1946 — pris cinq jours après sa démission officielle.
Le juge administratif avait estimé que l’acte, qui concernait l’application du droit de la presse en Algérie, ne pouvait pas constituer une « affaire courante », « en raison de son objet même, et à défaut d’urgence ». Il s’agissait pourtant uniquement de l’exécution d’une loi adoptée deux mois auparavant (l’article 43 de la loi du 11 mai 1946).
Michel Barnier devra également se tenir prêt à réagir en cas d’événement imprévisible. Dans le cadre d’un attentat terroriste ou de violences importantes, le gouvernement pourrait décréter l’état d’urgence sécuritaire, comme il l’a fait en Nouvelle-Calédonie lors des émeutes du mois de mai dernier, en vertu de la loi du 3 avril 1955.
Il pourrait alors prendre certaines mesures par décret, comme l’interdiction des manifestations et rassemblements sur la voie publique.
Après douze jours, un vote de l’Assemblée nationale serait toutefois nécessaire.
Un équilibre à trouver entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas
À plus long terme, dans l’hypothèse où la chambre basse ne parviendrait pas à s’accorder sur un Premier ministre qui emporterait l’adhésion d’au moins 289 députés — sans laquelle il serait rapidement renversé (de nouveau) par une motion de censure — Michel Barnier devrait trouver l’équilibre entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas.
En plein examen du budget de l’État, des choix seraient nécessairement faits, ce qui irait au-delà de l’expédition des affaires courantes. Un scénario fiction dans lequel le Premier ministre marcherait sur une ligne de crête, jusqu’à la prochaine dissolution qui ne pourra intervenir avant le 7 juillet 2025.
Des projets et des propositions de loi qui suivront leur cours
Les projets et propositions de loi en cours à l’Assemblée nationale poursuivront leur course. Le renversement du gouvernement ne mettrait pas fin aux discussions sur des textes en cours, comme le projet de loi sur la rénovation énergétique des copropriétés, dont la discussion est d’ailleurs prévue ce mercredi 4 décembre à partir de 21 h 30.
Le cas du projet de loi de financement de la Sécurité sociale
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), lui, sera rejeté par l’Assemblée nationale, c’est l’effet direct de la censure post-49.3.
En revanche, la procédure ne s’arrêtera pas là car le 49.3 ne s’applique qu’à la lecture en cours. Le texte peut donc repartir au Sénat avant de revenir plus tard à l’Assemblée nationale, quand bien même il a déjà fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire, comme le prévoit l’article 45 de la Constitution.
Ce n’est qu’au moment où il revient à l’Assemblée nationale que le gouvernement peut décider de donner le dernier mot aux députés, mais il est peu probable qu’il puisse actionner à nouveau l’article 49.3 étant donné qu’il ne gérera que les affaires courantes.
En réalité, le PLFSS pourrait être adopté plus tard sans que cela remette en question le paiement des cotisations ou des prestations sociales au 1er janvier, car ce texte n’est pas un texte d’autorisation des recettes et des dépenses.
Le cas du projet de loi de finances
Pour ce qui concerne le projet de loi de finances (PLF), celui-ci est toujours en discussion au Sénat après son rejet à l’Assemblée nationale. Un 49.3 et un dernier mot donnés à l’Assemblée nationale sont là aussi possibles.
Mais en réalité, les options ouvertes doivent être actionnées les unes après les autres et sont prévues par l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001.
Si le PLF n’aboutit pas, le gouvernement peut d’abord soumettre au vote la partie recettes du texte, afin de pouvoir continuer à lever les impôts après le 31 décembre 2024.
Pour les dépenses, il pourra les décider par décret, étant entendu que la LOLF limite la marge de manœuvre de l’exécutif « au minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement ».
Si le vote de la partie recettes du budget de l’État échoue lui aussi, le gouvernement peut encore déposer un projet de loi de finances spéciale, prévu par le même article 45 de la LOLF. Cela permet de soumettre au Parlement l’adoption d’un texte qui reconduirait le budget 2024 jusqu’à l’adoption d’un budget 2025. Au premier janvier 2025, le gouvernement peut donc mettre en œuvre, temporairement, le budget 2024.
En termes de dépenses, il serait là aussi limité par ce qu’il juge indispensable pour l’exécution des services publics. Il y a donc de fortes chances pour qu’un certain nombre de dépenses non indispensables soient suspendues en attendant le nouveau budget.
L’option des ordonnances
Dernière option, mais dont la constitutionnalité fait débat si elle est actionnée par un gouvernement démissionnaire : la possibilité prévue par l’article 47 de la Constitution et l’article 40 de la LOLF de mettre en œuvre le PLF 2025 par ordonnances, alors qu’il serait encore en discussion au Parlement.
De l’avis de certains chercheurs en droit constitutionnel, ces ordonnances risquent d’être annulées par le Conseil d’État. Mais d’autres ne sont pas de cet avis et considèrent qu’un gouvernement gérant les affaires courantes peut très bien passer par cette procédure, qui ne peut intervenir que 70 jours après le dépôt du PLF. Le texte ayant été déposé le 10 octobre, les ordonnances pourraient être adoptées à partir du 19 décembre.
Pour le PLFSS, l’article 47-1 de la Constitution permet de passer par les ordonnances au bout de 50 jours, soit depuis le 29 novembre. Mais d’ici au 31 décembre, peut-être qu’un nouveau gouvernement de plein exercice aura été nommé et pourra sans risque juridique prendre ces ordonnances.
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