Mort d’un usager et garde à vue d’un conducteur de métro : FO-RATP « ne peut tolérer que notre collègue (…) soit traité comme un criminel (…) nous demandons à tous les conducteurs (…) d’exercer leur droit de retrait »
Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit Social, Nantes Université
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Source : Communiqué de FO-RATP, 27 avril 2023
Utiliser le droit de retrait à la suite de la mise en examen d’un salarié, n’est pas un exercice normal de ce droit et constitue un détournement de son objet. Il existe d’autres mécanismes dans le Code du travail permettant à des salariés de soutenir un collègue mis en cause pénalement dans l’exercice de son activité, mais avec des finalités et un calendrier médiatique certes moins percutant.
Le 22 avril, un grave accident ayant coûté la vie à une passagère sur la ligne 6 du métro parisien. Le conducteur de la rame a été placé en garde à vue, ce qui a fait réagir le syndicat FO-RATP, qui a lancé un appel au droit de retrait des conducteurs du réseau, mis en œuvre dans la matinée du vendredi 28 avril. Il s’agit ni plus ni moins d’un détournement des conditions et des finalités du droit de retrait, alors que d’autres outils existent pour appuyer des revendications professionnelles.
Le droit de retrait, outil de protection de la vie et de la santé des employés
Les accords collectifs applicables à la RATP, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) chargé de l’exploitation des réseaux et des lignes de transport collectif de personnes qui lui a été confiée dans la région d’Ile-de-France ne prévoient pas de dispositions particulières sur le droit de retrait : c’est donc le Code du travail qui s’applique.
Défini par le même Code du travail, ce droit prévoit qu’un travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa propre vie ou sa santé, ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut alors se retirer d’une telle situation, autrement dit cesser son activité
L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de ce droit de retrait de reprendre son activité, si le danger grave et imminent persiste, en particulier en cas de défectuosité du système de protection. Il doit donc s’employer à supprimer tout risque avant toute reprise d’activité.
Le droit de retrait protège aussi les usagers en cas de danger
Le danger auquel il est fait référence dans le Code du travail peut être individuel ou collectif : les faits qui sont à l’origine du mouvement sur la ligne 6 sont bien de nature à poser un danger grave et imminent pour la vie ou la santé… mais plutôt celle des usagers de la RATP comme l’a montré le décès de cette passagère, et pas celle des conducteurs eux-mêmes.
Si les conducteurs de la ligne 6 estiment que c’est la défectuosité d’un système de protection qui est à l’origine de l’accident mortel – ce que l’enquête pénale aura à montrer et la garde à vue s’inscrit dans cette optique –, ils peuvent alors juger que tant qu’il n’est pas mis fin à ce dysfonctionnement, ils mettent la vie des usagers en danger en continuant à travailler : cela relève de l’obligation de chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. Notons que cela n’enlève rien à la responsabilité de l’employeur en cas d’accident lié à ce dysfonctionnement.
Mais le droit de retrait ne protège pas contre les poursuites judiciaires
Or, ce n’est pas ce qui est invoqué par le syndicat FO-RATP dans son mouvement. C’est la garde à vue du conducteur qui justifie l’appel du syndicat à exercer le droit de retrait. Or il paraît très difficile de prétendre que cette garde à vue mettrait en danger la vie et la santé des autres salariés ayant exercé leur droit de retrait vendredi. Les conditions d’exercice de ce droit n’étaient donc en l’occurrence pas réunies. Et dans ce cas, les salariés concernés ne sont en principe pas rémunérés pour le temps pendant lequel ils ont exercé de façon illégitime ce droit de retrait.
Le seul moyen licite : la grève
D’autres solutions s’offraient-elles aux salariés de la ligne 6 ? On peut évoquer la grève. Définie comme « la cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles », elle ne peut, en principe, être exercée en solidarité avec un autre salarié, comme c’est le cas dans cette affaire, sauf si elle s’accompagne de revendications professionnelles, notamment sur les conditions de travail des salariés. Or les syndicats dénoncent bel et bien, comme cause de l’accident mortel, l’état du matériel matériel permettant à un conducteur de surveiller le quai, les portes d’accès à la rame, etc. Dans ce cas seulement, le mouvement devient licite. Comme pour l’exercice illicite du droit de retrait, le salarié gréviste n’est pas rémunéré.
Alors pourquoi ne pas avoir fait grève au lieu d’exercer le droit de retrait ? A la RATP, le droit de grève est soumis à un préavis puis à une déclaration individuelle, 48 heures avant l’arrêt de travail. Il n’aurait donc pas été possible aux agents de cesser leur activité dès l’annonce de la garde à vue de leur collègue. L’idée était-elle de faire pression sur la justice par un retrait immédiat, ce qui aurait eu moins d’impact avec une grève trois jours plus tard ? Cela s’appelle un détournement du droit de retrait. Ne mélangeons pas les genres, ni le temps judiciaire et le temps médiatique.
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