Mort de Robert Badinter : l’important legs juridique du Garde des Sceaux

Denis, CC 2.0
Création : 11 février 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Abolition de la peine de mort, dépénalisation de l’homosexualité, saisine directe de la Cour européenne des droits de l’Homme, indemnisation automatique des victimes de la route, droits des détenus ou encore enregistrement des procès historiques, le mandat de Robert Badinter au Ministère de la Justice a été riche en réformes, un héritage dont nous bénéficions encore aujourd’hui.

Robert Badinter est décédé ce vendredi 9 février. Professeur de droit, avocat, Garde des Sceaux, président du Conseil constitutionnel, sénateur, il a marqué la paysage politique de la fin du XXe siècle, et nous a laissé un héritage juridique considérable.

Un défenseur de l’égalité et de l’humanisme

En application des promesses du candidat Mitterrand en 1981, Robert Badinter, alors ministre de la Justice, porta de grandes réformes en matière pénale. Ténor du barreau, ce n’est pas devant un prétoire mais dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale que sa voix résonna pour porter la loi portant abolition de la peine de mort, promulguée le 9 octobre 1981 et toujours en vigueur. Quelques mois plus tard, il fit adopter la loi du 4 août 1982 dépénalisant les rapports homosexuels entre majeurs et mineurs de plus de quinze ans. La loi du 23 décembre 1985 consacra l’égalité dans le régime matrimonial : les époux devenaient égaux dans la gestion de la communauté et tous deux peuvent depuis transmettre leur nom aux enfants.

L’artisan d’une meilleure défense des victimes

En sa qualité de ministre de la Justice, Robert Badinter participe en 1981 aux travaux aboutissant à ce que la France reconnaisse la compétence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ouvrant ainsi le droit aux citoyens de la saisir directement. Depuis les décisions de la Cour s’imposent à l’Etat français. Avec la loi du 31 décembre 1982, il facilite l’aide judiciaire pour les plus défavorisés qui peuvent choisir un avocat commis d’office, celui-ci étant mieux indemnisé.
Il porte la loi du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », qui facilite l’indemnisation des victimes d’accident de la route. Les victimes sont automatiquement indemnisées par l’assureur du conducteur d’un véhicule à moteur (y compris lorsque le moteur est éteint) en cause dans l’accident. Sont davantage protégés les piétons, cyclistes, passagers, et même les cavaliers et skieurs.

Les droits des détenus ne sont pas en reste

Le décret du 26 février 1982 a supprimé les tristement célèbres quartiers de haute sécurité (QHS, en réalité « quartiers de sécurité renforcée », QSR) des centres pénitentiaires, créés en 1975 et considérés comme un mode de détention inhumain. Un décret du 26 janvier 1983 a ouvert la voie à des parloirs libres, sans séparation ni hygiaphone. Le même décret ouvre un nouveau chapitre pour les personnes condamnées à de courtes peines, avec l’introduction des travaux d’intérêt général en tant qu’alternative à l’emprisonnement.
D’autres réformes notables ont suivi, visant à améliorer les conditions de vie des détenus. Les droits fondamentaux ont été renforcés, notamment le droit à la correspondance, l’autorisation de téléphoner aux familles une fois par mois, la possibilité d’aménager et de décorer les cellules, une extinction des lumières plus tardive, la suppression du costume pénitentiaire, et la permission de créer des associations sportives ou culturelles. Depuis 1984, chaque détenu reçoit un guide explicatif sur ses droits.

La loi du 9 juillet 1984 a imposé au juge d’instruction la tenue d’un débat contradictoire entre le procureur et l’avocat avant toute décision de mise en détention provisoire. Ces réformes ont témoigné d’un engagement envers une justice plus équitable et humaine.

La lutte contre le négationnisme

L’un des combats de Robert Badinter fut celui de la mémoire. Issu d’une famille déportée et assassinée dans les camps, il qualifie l’ancien professeur Robert Faurisson, qui contestait l’existence des camps d’extermination et de l’Holocauste, de « faussaire de l’histoire ». Faurisson l’avait d’ailleurs attaqué pour diffamation : le procès très médiatisé devait donner raison à Badinter, ce qui constitua une avancée significative dans la lutte contre le négationnisme, déjà consacrée par la loi dite Gayssot du 13 juillet 1990, réprimant le négationnisme. Autre fait marquant durant ce procès, la défense avait demandé et obtenu, que l’audience soit filmée pour les archives de la justice. Une demande en lien avec une autre réforme marquante du Garde des Sceaux Badinter : en 1985, à l’approche du procès de Klaus Barbie, officier SS et chef de la Gestapo de Lyon, Robert Badinter fit adopter la loi du 11 juillet 1985 créant les archives audiovisuelles de la justice, pour les procès qui présentent un intérêt historique. Une quinzaine de procès ont été enregistrés depuis.

Un héritage inestimable pour l’Etat de droit, de la part d’un juriste animé par la passion du droit et la haine de l’injustice.

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