Mort d’Alain Delon : le chien de l’acteur aurait-il pû être euthanasié sans justification ?
Dernière modification : 22 août 2024
Auteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : les deux avocates interrogées défendent les droits des animaux
Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas
Deux jours après la mort d’Alain Delon, les médias se sont intéressés au sort de son chien, Loubo. L’acteur aurait souhaité que l’animal soit euthanasié. Un acte qui pourrait être jugé illégal et qui contrevient aux principes déontologiques des vétérinaires.
En journalisme, on appelle ça « une bonne histoire ». La recette est simple : prenez le décès d’une immense star (ici Alain Delon) et saupoudrez-le du triste sort d’un animal sans défense (ici son chien Loubo). Vous voilà en possession d’un émouvant récit à servir au dîner.
Le 20 août 2024, la presse y est allée de bon train. Selon différents médias, le chien d’Alain Delon aurait risqué l’euthanasie. Il faut dire que son maître avait déclaré en 2018, dans Paris-Match, qu’il souhaitait que son chien n’ait pas à vivre sans lui : « Je préfère ça plutôt que de savoir qu’il se laissera mourir sur ma tombe avec tant de souffrances« .
Quelques heures après, la SPA et l’association 60 millions d’amis se sont dits prêts à accueillir l’animal. Puis, selon la Voix du Nord, c’est finalement la fondation Brigitte Bardot qui aurait accepté de le recueillir. Mais l’organisation a finalement démenti cette information.
Sans justification médicale
La question de la survie de l’animale s’est alors posée : « L’euthanasie d’un animal, dite « de convenance », c’est-à-dire sans justification médicale, n’est pas interdite en France« , écrivaient nos confrères de la Dépêche du Midi.
Même son de cloche à La Voix du Nord. Le quotidien régional affirme que le propriétaire d’un animal « peut être condamné s’il le maltraite« . Mais qu’il est aussi « le seul responsable pour prendre la décision d’euthanasier son animal, et ce même s’il n’est pas malade ou ne souffre pas« . Et tant pis pour Loubo !
En réalité, les textes ne sont pas aussi affirmatifs. Pour certains spécialistes, une telle action aurait pu faire courir un risque juridique.
Que dit la loi ?
Tout d’abord, rappelons que les déclarations d’Alain Delon dans Paris-Match en 2018, ne signifient pas que l’homme a bien demandé, par écrit, que son chien soit euthanasié après sa mort. Peut-être a-t-il changé d’avis depuis ?
Quoi qu’il en soit, affirmer que l’euthanasie sans motif n’est pas interdite, comme l’ont fait plusieurs médias, est une fable.
En France, plusieurs textes de loi encadrent le droit des animaux. Tout d’abord, l’article 515-14 du Code civil dispose que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens.«
Si on voulait se la jouer un peu provoc’, on pourrait se dire qu’au regard de cette loi, un chien est considéré comme un placard qui réfléchit. En d’autres termes, les chances de survie de Loubo seraient minces.
Bien évidemment, c’est beaucoup plus compliqué. Les plus attentifs l’auront remarqué, il y a un élément de la phrase qui change tout : « Sous réserve des lois qui les protègent« . Creusons le sujet.
Risque pénal
Que cela soit écrit : la loi ne dit pas que l’euthanasie « de convenance » est interdite. « Ce n’est pas très clair d’un point de vue juridique, mais il faut prendre en compte « l’esprit des lois » « , estime l’avocate spécialisée dans le droit des animaux, Maître Angélique Chartrain. « Or, l’évolution du droit positif tend à tenir de plus en plus compte de la sensibilité et de la sentience des animaux de compagnie, sur lesquels les propriétaires ne disposent plus d’un droit absolu de vie et de mort. « .
En effet, l’article 522-1 du code pénal dispose que « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, hors du cadre d’activités légales » est puni d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Pour l’avocate Angélique Chartrain, le terme « nécessité » renvoie à deux notions : « D’abord, c’est une question de santé. Il faut que l’animal soit en souffrance et n’ait plus d’espoir de survie. Ensuite, il y a une notion de dangerosité et d’intérêt public, comme un chien qui ne pourrait pas s’empêcher d’attaquer les gens« .
Pour sa consœur, l’avocate en droit des animaux, Maître Graziella Dode, euthanasier un animal sans justification pourrait entraîner des sanctions pénales : « Hors du cadre légal, c’est-à-dire hors acte accompli par un vétérinaire et hors du champ de ses missions encadrées par le code rural ».
Pour résumer, les deux avocates — qui défendent le droit des animaux — estiment qu’euthanasier Loubo sans motif impérieux pourrait faire courir des risques juridiques.
Mais leur interprétation, en faveur de la protection des animaux, est rarement suivie d’effets. Les Surligneurs n’ont pas été en mesure de trouver des cas de condamnation pour ces faits.
Pour Graziela Dode, cela s’explique, car il peut être difficile de « pouvoir rassembler des preuves et rares sont les cas où l’euthanasie est pratiquée sans l’accord du propriétaire”. De quoi rendre les plaintes quasi inexistantes.
Principes généraux… et réalité du terrain
Voilà pour les principes généraux du droit. Mais sur le terrain, la situation est parfois plus complexe. Dans un communiqué publié en juillet 2020, le Conseil de l’Ordre des vétérinaires indique que « l’acte d’euthanasie animale peut être justifié par une raison médicale (un état de santé, une souffrance intense ressentie par l’animal ou son entourage), par une raison réglementaire, par une raison impérieuse d’intérêt général, sanitaire ou environnementale. »
Elle ajoute également un autre motif : « La demande d’euthanasie peut être motivée par des raisons non médicales. Il revient alors au vétérinaire d’évaluer celles-ci, à l’aune de son code de déontologie et de sa conscience. Il lui revient aussi de rechercher, dans les cas où cela est possible, des solutions alternatives. »
Ainsi, le Conseil reconnaît qu’au-delà du principe général, certaines situations sont laissées à la responsabilité du vétérinaire. Le communiqué cite spécifiquement les cas où des animaux détenus dans des refuges ou des zoos peuvent être « à l’origine d’une surpopulation s’ils sont maintenus en vie » ou encore si le propriétaire de l’animal en souffrance « ne peut ou ne veut assumer le coût ou la mise en œuvre du traitement permettant d’atténuer la souffrance« , ou pour améliorer son état de santé.
Des décisions au cas par cas, qui n’en sont pas moins motivées pour autant. « Dans le dossier du chien d’Alain Delon, très clairement, il n’y a pas de motif, il s’agit de la simple volonté de la personne défunte », tranche Estelle Prietz, docteure vétérinaire et responsable de la Commission bien être animale de l’Ordre des vétérinaires.
Interdit donc d’euthanasier Loubo au motif qu’Alain Delon l’ait demandé. De toute façon, l’histoire se termine finalement bien pour le malinois. La famille de l’acteur a assuré qu’elle allait le garder.
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