Mohammed Moussaoui, président du CFCM, estime qu’ « il faut savoir renoncer à certains droits pour que la fraternité puisse s’exprimer » et se prononce en faveur d’un encadrement des caricatures

Création : 2 novembre 2020
Dernière modification : 21 juin 2022

Autrice : Iris Sainte Fare Garnot, étudiante en droit international public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, membre de l’ADHS, sous la direction de Tania Racho, docteure en droit public de l’Université Panthéon-Assas

Source : RMC, le 27 octobre 2020

La liberté d’expression peut être mise de côté en cas de trouble à l’ordre public et notamment de menace sur la « cohésion nationale » résultant d’incitations à la haine raciale, comme ce fut le cas dans l’affaire Dieudonné. Mais dans le cas des caricatures, ces incitations à la haine raciale n’existent pas, comme l’ont reconnu les tribunaux. Monsieur Moussaoui semble plutôt faire appel à une autocensure des caricaturistes, à l’image de l’appel lancé par le Premier ministre canadien Justin Trudeau lorsqu’il explique que la liberté d’expression doit faire l’objet d’un usage “prudent” afin de ne pas blesser certaines communautés. Il s’agirait alors d’un choix personnel et non d’une obligation juridique.

À la suite de l’assassinat de Samuel Paty, la question des limites posées aux caricatures se retrouve de nouveau au centre de l’attention. Invité de la matinale sur RMC, Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman estime que certaines représentations du prophète Mahomet peuvent être perçues comme offensantes, et considère qu’il serait bon, pour préserver l’ordre public, d’y renoncer afin d’éviter de heurter les sentiments de certains, ce qui irait à l’encontre du principe de fraternité figurant dans la devise de notre pays. Si cette position remet en cause la possibilité même de faire des caricatures, M. Moussaoui estime qu’elle n’entrave pas la liberté d’expression.

Ce qui est proposé ici est de renoncer aux caricatures représentant Mahomet afin de permettre un apaisement des tensions, notamment à la suite des boycott de produits français dans plusieurs pays musulmans. La caricature étant protégée par la liberté d’expression qui est constitutionnelle (article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme), il s’agirait de considérer que pour des besoins de fraternité (qui est aussi un principe constitutionnel) et de paix sociale, l’interdiction de ces dessins serait légitime. 

Il n’est pas impossible de l’envisager. Dans l’affaire de l’interdiction de certains spectacles de Dieudonné, le Conseil d’État avait jugé que l’interdiction pour l’humoriste de jouer son spectacle était justifiée entre autre par la préservation de la « cohésion nationale ». Cette affaire donne-t-elle raison à M. Moussaoui, au sens où l’on pourrait faire primer la fraternité, la cohésion nationale, sur la liberté d’expression ?

Dans l’affaire Dieudonné, la menace émanait du caractère antisémite, discriminatoire et haineux des propos en cause, et de l’atteinte à la dignité humaine qui en résultait, tout cela constituant en soi une atteinte à l’ordre public. Dieudonné avait été condamné à de multiples reprises, et l’incitation à la haine raciale était donc juridiquement établie. S’agissant des caricatures de Mahomet, rappelons que, saisi de la question en 2007, le tribunal de grande instance de Paris avait considéré qu’il ne s’agissait pas d’injures au sens juridique, car ces caricatures s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général et n’avaient pas pour but d’offenser gratuitement. Il n’y avait donc aucun caractère raciste, aucune atteinte à la dignité de la communauté musulmane. On s’empresse de signaler qu’il s’agit d’une appréciation en l’état actuel du droit. Sauf modification de la loi, il est donc juridiquement difficile de voir dans les caricatures une menace sur la « cohésion nationale » et d’envisager pour cette raison une interdiction ou une limitation.  

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