Michaël Youn dévoile le numéro d’un député RN sans son autorisation : c’est permis ?

Création : 28 août 2024
Dernière modification : 27 août 2024

Auteur : Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé à l’Université d’Aix-Marseille, directeur du master droit des médias électroniques

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Le JDD, 25 août 2024

Diffuser un numéro de téléphone non public peut constituer une atteinte à l’intimité de la vie privée. L’envoi de messages en masse à ce numéro peut relever d’autres infractions : harcèlement, violences morales…

« C’est un message très personnel donc je vous propose que tout le monde le remercie. Merci vraiment Frédéric ! ». C’est en ces termes énigmatiques que Michaël Youn a interpelé le député RN Frédéric Falcon lors d’un concert à Leucate le 24 août, tout en affichant sur un écran géant son numéro de téléphone. Si l’humoriste ne s’est guère étendu sur les motifs qui l’ont poussé à faire cette divulgation, les suites de celles-ci sont naturellement prévisibles. Et s’il s’avère, après vérification, que c’est en fait le numéro d’un collaborateur parlementaire qui a été diffusé, les conséquences pour ce dernier pourraient au moins justifier des poursuites au civil. 

Divulguer un numéro de téléphone non public peut constituer une atteinte à la vie privée

Au pénal, plusieurs infractions permettent de sanctionner de telles diffusions, tout comme leurs sources ou même les auteurs d’actes ayant été engendrés par celles-ci. 

Le cas qui serait a priori le plus extrême est celui de la mise en danger d’autrui par la révélation d’informations d’ordre privé, familial ou professionnel permettant d’identifier ou de localiser une personne. Adopté par la loi du 24 août 2021 visant à conforter le respect des valeurs de la République en écho au meurtre de Samuel Paty, ce délit figure désormais à l’article 223-1-1 du Code pénal et est passible de peines de 3 ans de prison et 45000 € d’amende. On notera que celles-ci peuvent être portées à 5 ans de prison et 75000 € d’amende lorsque la victime est une « personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public, d’un candidat à un mandat électif public pendant la durée de la campagne électorale ou d’un journaliste ». Si l’intention de Michaël Youn ne semble heureusement pas être allée aussi loin, les éléments de l’infraction sont suffisamment larges pour inclure une assez grande variété de situations, ce qui alerte nécessairement sur les conséquences de ce type de pratiques. Malgré les critiques, le délit a été considéré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

La divulgation de données personnelles ayant pour effet de « porter atteinte à la considération de l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée », y compris par imprudence ou négligence, est également réprimée à l’article 226-22 du Code pénal et passible de peines pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison et 300000 € d’amende. Tel a pu être le cas avec la diffusion du numéro d’une personne dans les annonces d’un service de téléphone rose, affaire jugée il y a déjà une trentaine d’années et qui est restée mémorable. L’infraction intéresse davantage les fuites dues au responsable d’un traitement de données personnelles, ce qui impliquerait ici la source ayant permis à l’humoriste de découvrir le numéro en question.

Enfin, les éventuels auteurs d’appels téléphoniques adressés au député pourraient théoriquement se rendre coupables de toutes sortes d’infractions recourant à ce procédé, en fonction de la nature des messages : violences psychologiques, appels ou messages malveillants, harcèlement moral,… 

Enfin, au civil, l’acte de diffusion du numéro de téléphone constitue en lui-même une atteinte au droit au respect de la vie privée, ouvrant droit à réparation. Il importe peu à cet égard que ledit numéro soit utilisé pour des appels professionnels, dès lors qu’il n’était pas accessible publiquement. De même, le fait que le numéro soit celui d’un élu, ou de son collaborateur, est totalement indifférent, dès lors qu’il n’existe aucune nécessité d’information du public justifiant cette divulgation. Dans une affaire similaire, la Cour d’appel de Versailles a ainsi condamné à 10000€ de dommages-intérêts le consultant sportif d’une émission de radio ayant diffusé à l’antenne le numéro de téléphone du président du conseil d’administration de l’Olympique de Marseille, celui-ci ayant par la suite reçu un grand nombre d’appels injurieux.

Qu’en est-il lorsqu’un député fait usage du numéro d’un ministre ?

Le cas de Michaël Youn fait écho aux déclarations faites par le député Louis Boyard quelques jours plus tôt, lequel se vante d’avoir découvert le numéro du Premier ministre Gabriel Attal et se propose de lui faire remonter « une sélection » de messages de lycéens de la voie professionnelle ; cela lui vaut depuis d’être accusé de préparer une campagne de cyber-harcèlement. Si le procédé est certainement inhabituel de la part d’un député, il peut cependant trouver davantage de légitimité. 

Tout d’abord, Louis Boyard n’a nullement divulgué ledit numéro, et l’on pourrait d’ailleurs douter qu’il l’ait vraiment. De plus, sa proposition consiste plutôt à faire remonter des informations de terrain au niveau du Gouvernement, ce qui est l’une des fonctions d’un député. Quand bien même l’élection des membres de l’Assemblée nationale se fait localement, le mandat est avant tout national. Aussi, s’il est d’usage qu’un député participe à la vie de sa circonscription, y compris pour y glaner des informations ou répondre à des sollicitations, rien ne lui interdit d’étendre au-delà ses enquêtes et autres actions de communication. Du reste, c’est souvent au titre de cette fonction d’intermédiaire que les députés peuvent poser des questions écrites au Gouvernement, comme le prévoit l’article 135 du règlement de l’Assemblée nationale.

Reste à savoir l’usage qu’en fera Louis Boyard, et surtout si les actes commis à cette occasion relèveraient ou pas de l’immunité parlementaire, ce qui est un autre débat.

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