Crédit : Jacques Paquier (CC 2.0)

Meurtre de Philippine : Valérie Pécresse veut que la région Île-de-France prenne en charge les frais de justice de la famille

Création : 27 septembre 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : BFMTV, le 26 septembre 2024

Une collectivité publique ne peut accorder de libéralités (ou cadeaux) à des personnes privées car c’est contraire au principe d’égalité. La prise en charge des frais d’avocat d’une famille y ressemble fort. De plus, la famille a déjà droit à une aide publique pour payer les frais de justice.

À la suite du meurtre de Philippine, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a appelé la famille de la victime et lui a assuré que la région prendra en charge les frais de justice. Une démarche qui appelle quelques remarques juridiques.

La nécessité d’un intérêt général régional

Les dépenses des collectivités (région, département, commune) sont très encadrées. Pour rester sur le cas de la région, l’article 4321-1 du Code général des collectivités territoriales dresse la liste des dépenses obligatoires qui incombent à la collectivité, dans ses domaines de compétence : rémunération des agents régionaux, entretien de certains bâtiments, transports scolaires ou ferroviaires.

Il existe aussi une catégorie de dépenses facultatives, qui ne sont pas énumérées par la loi. C’est dans cette catégorie qu’entrerait la prise en charge des frais de justice de la famille de Philippine. Pour autant, toute dépense, même dans la catégorie facultative, n’est pas autorisée par la loi. Pour qu’elle le soit, elle doit être justifiée par un intérêt public local au profit des habitants du territoire.

Cela concerne les subventions aux associations qui agissent pour animer une commune par exemple, l’intervention dans le domaine économique (les subventions aux entreprises qui créent de l’emploi)  et social (les aides sociales qui bénéficient à une large couche de la population), la mise à disposition gratuite de locaux pour aider une association de bienfaisance, pour attirer des médecins dans les déserts médicaux, etc.

Pour cette raison, sont prohibées ce qu’on appelle les « libéralités » de la part des collectivités publiques, en faveur des personnes privées, qu’il s’agisse d’entreprises ou de personnes physiques. La libéralité est un don sans contrepartie, une subvention sans que cela serve un intérêt général local, seulement un intérêt personnel. C’est interdit parce que contraire au principe d’égalité.

Or, la prise en charge des frais d’avocat d’une famille, certes éprouvée, est-elle d’intérêt général régional ? S’il venait à l’esprit d’un citoyen de la région de contester cette prise en charge devant le juge administratif, il y a des chances pour que celui-ci considère qu’il s’agit d’une libéralité.

En revanche, la région peut subventionner une association qui soutient financièrement toutes les familles d’Île-de-France dans leurs démarches judiciaires, et cette association pourra aider la famille de Philippine avec l’argent de la région.

Le droit à une aide juridictionnelle

Depuis 2002, l’article 9-2 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que les victimes de blessure, torture, viol et les ayants droit des victimes d’homicide bénéficient de l’aide juridictionnelle pour couvrir les frais de justice, notamment les honoraires d’avocat. Et ce, sans condition de ressources.

Cette aide est à la charge de l’État et la personne condamnée peut être tenue de rembourser l’État (article 48 de la même loi). À ce titre, la famille de Philippine peut prétendre à cette aide, sans besoin de celle de la région, incertaine au demeurant.

Valérie Pécresse, ancienne conseillère d’État et députée en 2002 lors du vote de la loi, ne doit certainement pas ignorer cette aide et le fait que sa promesse est bien fragile sur le plan légal.

 

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