Pourquoi la France ne peut pas bloquer, en l’état, l’adoption du traité UE-Mercosur ?
Dernière modification : 20 novembre 2024
Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Après plus de vingt ans de gestation, l’accord controversé entre l’Union européenne et le Mercosur semble sur le point de se conclure. Et ce, au grand dam de la France, qui essaie de stopper l’adoption de ce traité. Mais l’avis français concernant l’accord reste minoritaire au sein de l’UE.
Tout le monde en France — ou presque —, semble contre et pourtant, la Commission européenne continue d’avancer vers sa conclusion. L’accord entre l’UE et le Mercosur est devenu une pomme de discorde des agriculteurs, qui reprennent aujourd’hui leur mouvement social mis entre parenthèses au printemps.
Le fruit est d’ailleurs suffisamment mûr pour que le Premier ministre, Michel Barnier, se soit rendu à Bruxelles mercredi 13 novembre pour tenter de convaincre que la cause française devait être entendue.
Mais jusqu’ici, qu’il s’agisse d’une tribune de plus de 600 parlementaires français dans le journal Le Monde, de l’opposition d’Emmanuel Macron rappelée encore à l’issue de sa visite en Argentine ce dimanche, ou du risque d’inflammation de la colère des agriculteurs, Bruxelles fait la sourde oreille et rien ne semble pouvoir enrayer la dynamique vers un accord. C’est que la France est isolée sur ce sujet en Europe.
L’Europe, seule à la manœuvre ?
Car en matière d’accords commerciaux, l’Union européenne est exclusivement compétente, c’est-à-dire que les États membres ne peuvent pas agir en dehors de ce que décident les institutions de l’Union puisque c’est elle principalement qui règlemente l’organisation du commerce à l’intérieur de son territoire (l’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne lui donne compétence exclusive pour fixer les droits de douane et l’article 4 lui donne une compétence en matière de marché intérieur).
Cette exclusivité a pour objectif d’assurer une politique commune européenne entre les commerces extérieure et intérieure et éviter que chaque État vienne tirer la couverture à soi. Par exemple, dans le cas où, l’Union aurait supprimé certains droits de douane et qu’un État membre les rétablisse dès que la marchandise rentre dans l’UE par ses frontières.
C’est la raison pour laquelle l’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne confie à l’UE une compétence exclusive pour conclure ces accords, de la même manière qu’elle a une compétence pour réglementer le marché intérieur européen. C’est ce qu’on appelle, en jargon de juriste, le parallélisme des compétences internes et externes.
Et c’est ce qui se passe pour le traité avec le Mercosur. Il s’agit d’un traité commercial qui fixe les droits de douane entre l’UE et les États concernés d’Amérique latine et qui prévoit aussi certains aspects commerciaux comme la protection de certaines indications géographiques protégées européennes.
La France marginalisée sur le sujet au sein du Conseil de l’UE
Pour autant, la France n’est pas absente du processus de décision. Qui dit compétence exclusive européenne ne dit pas exclusion totale des États. Car pour pouvoir négocier un tel accord, la Commission européenne a besoin d’un mandat du Conseil de l’Union européenne. Or, au sein de ce Conseil siègent les 27 ministres des États membres, dont la France. Mandat qui a été donné à l’exécutif européen à la fin des années 90.
Mais ce n’est pas tout. Si la Commission européenne aboutit à un accord avec le Mercosur, il reviendrait à nouveau au Conseil de se prononcer pour, cette fois, autoriser la signature de l’accord, voire autoriser une application provisoire avant l’entrée en vigueur (article 218 paragraphe 5 TFUE).
Et cette autorisation, qui se fait généralement, pour montrer un front uni, par consensus, pourrait ici, vu l’opposition franche de certains États, passer par un vote formel à la majorité.
Or la France reste minoritaire, ne réussissant pas, jusque-là, à rallier suffisamment d’États membres sur sa position. Il suffit pourtant d’une petite minorité pour bloquer le texte : la majorité requise est dite en effet “renforcée”, c’est-à-dire que, pour adopter le texte, les votes “pour” autour de la table parmi les 27 voix doivent représenter au moins 15 États représentant eux-mêmes 65 % de la population européenne.
Deuxième pays le plus peuplé de l’UE, la France ne rallie jusque-là que de petits États qui ne permettent pas de franchir le seuil de blocage. Elle est encore plus loin de rallier au moins 13 États.
Après le vote du Conseil, la Commission ne pourrait alors signer officiellement l’accord qu’après approbation du Parlement européen, où depuis les élections de juin 2024 le libre-échangisme a gagné du terrain. Des conservateurs à l’extrême droite, même les Verts allemands et une bonne partie des socialistes sont favorables au texte. Les députés français sont ici plus isolés que jamais sur ce texte.
La possibilité d’un véto français ?
Il reste une possibilité, mais qui ne peut être confirmée à ce jour. L’accord prévoyait, dans la version dévoilée en 2019 par la Commission européenne, des dispositions sur la mise en place d’un dialogue politique entre l’UE et le Mercosur, par exemple pour faire évoluer les normes environnementales. Mais cette partie de l’accord ne relève pas de la compétence exclusive de l’UE et doit donc être approuvée par chacun des États membres, en général les parlements nationaux.
Une seule défaillance et l’accord ne pourrait pas continuer à être mis en œuvre. C’est ce qui s’est passé avec le CETA, accord entre l’UE et le Canada : sa partie commerciale est entrée en vigueur temporairement en 2017, le temps que les États membres de l’UE ratifient chacun la partie politique.
Or, la France et huit autres États n’ont toujours pas autorisé la ratification. En cas de vote négatif de la France, la totalité de l’accord devrait être suspendue. Cette procédure donne ainsi à chaque État membre un droit de véto sur le texte.
Mais à ce jour, les négociations entre la Commission européenne et le Mercosur étant secrètes, on ne sait pas s’il a été décidé, par prudence, de séparer la partie commerciale de la partie politique.
Si les deux parties ne forment qu’un seul traité, alors la France pourrait par un vote refuser la ratification et faire tomber l’accord. Mais, il y a de grandes chances que pour éviter cela et le sort du CETA, la Commission ait obtenu de séparer les deux parties en deux traités séparés, ne laissant plus de prise à la France pour stopper cet accord.
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