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Le prince saoudien Mohamed Ben Salmane le 13 mai 2025. Crédit : Brendan Smialowski / AFP

MBS a-t-il vraiment déclaré que les femmes saoudiennes sont libres de s’habiller sans voile ni abaya noire ?

Création : 30 octobre 2025

Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Compte X, le 14 septembre 2025

Des internautes relatent des propos, attribués au prince héritier Mohammed ben Salmane, qui extrapolent des déclarations faites en 2018 à un média états-unien. D’après une loi sur la décence publique de 2019, « nul ne doit se présenter dans un lieu public vêtu d’une tenue indécente ».

À en croire certains internautes, l’Arabie saoudite poursuivrait inexorablement un développement et une modernisation sociétale. « Le prince héritier Mohammed ben Salmane a déclaré que les femmes ne sont plus tenues de porter l’abaya noire ni le voile », expliquent des publications  avant de préciser, sans mentionner de source, que les femmes saoudiennes « peuvent désormais s’habiller comme elles le souhaitent en respectant la pudeur, sans autorisation masculine préalable. »

Ces informations concernant la situation des droits des femmes en Arabie saoudite ont généré plus de 2 700 commentaires. Toutefois ces allégations sont à nuancer.

Tout d’abord, précisons que ce n’est pas la première fois que des affirmations semblables sont publiées sur les réseaux sociaux. 

Ainsi, sur X, deux posts en anglais ont été vus des millions de fois l’an passé. Le premier en février 2024, le second cinq mois plus tard, en juillet 2024. À chaque fois la même déclaration prêtée au prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) y était relayée sans source : « Dorénavant, seules les femmes saoudiennes peuvent décider des vêtements que les femmes saoudiennes portent. »

Or, comme l’avaient démontré différents médias par la suite (lien 1, lien 2, lien 3), le concerné n’avait jamais tenu de tels propos. Pas plus hier qu’aujourd’hui, nous n’avons été en mesure de retrouver une déclaration officielle du prince héritier reprenant les termes postés sur Facebook. 

Des extrapolations non sourcées

La dernière déclaration connue à ce sujet de MBS date de 2018 dans le cadre d’une interview accordée à la chaîne CBS. D’après la retranscription qui en a été faite, le leader saoudien, interrogé alors par la journaliste américaine Norah O’Donnell sur la signification d’un islam modéré, indiquait que « les lois sont très claires et stipulées dans la charia : les femmes doivent porter des vêtements décents et respectueux, comme les hommes. Cela ne précise toutefois pas particulièrement qu’il s’agit d’une abaya noire ou d’un voile noir. La décision revient entièrement aux femmes, qui choisissent le type de tenue décente et respectueuse qu’elles souhaitent porter. »

Cette déclaration, traduite en anglais, est également accessible en vidéo via ce lien, à partir de 1’20. 

Ainsi, si ces propos marquent une forme d’ouverture du dirigeant saoudien envers les droits des femmes de son pays, ils ne permettent pas d’en déduire, si ce n’est à exagérer leur interprétation, que « les femmes ne sont plus tenues de porter l’abaya noire ni le voile », comme on peut le lire sur les réseaux sociaux. 

La décence comme boussole

À cet égard, la dernière actualité marquante remonte à 2019. Cette année-là, le royaume saoudien publiait une loi concernant la décence publique. Son article 4 dispose que « nul ne doit se présenter dans un lieu public vêtu d’habits indécents ou portant des vêtements arborant des images, des formes, des signes ou des phrases qui portent atteinte à la décence publique. »

Mais alors que sont des habits indécents ? La loi ne précise rien à cet égard et laisse planer le doute. Évoquant ce sujet sur TV5Monde, l’activiste Lina Al-Hathloul, membre de l’association ALQST, évoquait un « règlement totalement arbitraire » et un « flou juridique ».

Sur le site gouvernemental visitasaudi.com qui vante les atouts touristiques du pays, il est indiqué que « traditionnellement, les femmes portent une abaya sur leurs vêtements de tous les jours. […] En fait, les vêtements amples couvrant les coudes et descendant sous les chevilles sont recommandés pour les hommes comme pour les femmes. »

Cette page – illustrée par une photo où l’on voit une femme portant une abaya et un voile noir – a été mise à jour le 26 septembre 2024. Sur une autre, les touristes sont également invités à s’habiller « modestement » et à éviter les vêtements « trop courts ».

Arnaud Lacheret, enseignant et auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » (éditions Le bord de l’eau, 2020), précise aux Surligneurs que « à Riyad ou Jeddah, on croise désormais beaucoup de Saoudiennes non voilées ».

De manière générale, « la principale difficulté reste culturelle », estime-t-il. « Le droit a évolué, mais la société n’a pas évolué au même rythme et, par conséquent, de vieilles habitudes restent », détaille-t-il encore. Une vision confirmée aux Surligneurs par David Rigoulet-Roze, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Arabie saoudite et chercheur à l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS).

Dans un rapport publié en octobre 2024, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) de l’ONU, soulignait les efforts mis en place ces dernières années par l’Arabie saoudite tout en rappelant toutefois « qu’il subsistait une contradiction fondamentale dans le fait de déployer des efforts pour autonomiser les femmes tout en confiant leur protection à leurs tuteurs masculins. »