Marine Le Pen affirme que le Traité d’Aix-la-Chapelle « avance significativement sur le partage avec l’Allemagne du siège permanent de la France au Conseil de sécurité » et qu’il prévoit « de partager avec l’Allemagne notre arme nucléaire »
Dernière modification : 17 juin 2022
Auteur : Raphaël Maurel, chercheur en droit international
Source : Discours de Marine Le Pen au Thor (Vaucluse), samedi 19 janvier 2019
Le Traité d’Aix-la-Chapelle ne contient en réalité que peu d’engagements en matière de défense et de représentation diplomatique, mis-à-part une coopération accrue entre les deux États dans de nombreux domaines. Sur le plan diplomatique, il ne fait que formaliser une position franco-allemande connue depuis vingt ans, et grave dans le marbre le refus de la France de céder son siège de membre permanent du Conseil de sécurité. En matière de défense, il reprend des obligations d’assistance mutuelle déjà existantes et ne prévoit pas de partage de l’arme nucléaire.
Le 19 janvier 2019, Marine Le Pen, en déplacement dans le Vaucluse pour ouvrir la campagne de son parti pour les élections européennes, a abondamment critiqué le projet de Traité d’Aix-la-Chapelle, qui a été signé trois jours plus tard entre la France et l’Allemagne. Elle s’est notamment insurgée quant aux prétendues conséquences du Traité en matière de représentation diplomatique et de défense. En vérité, elle a essentiellement critiqué le Chapitre 2 du Traité, intitulé « Paix, sécurité et développement », laissant à l’eurodéputé Debout la France Bernard Monot le privilège d’agiter l’idée abracadabrantesque du rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne. Étant entendu que ce traité n’évoque à aucun moment l’Alsace-Lorraine, que dit-il exactement ?
En matière de représentation diplomatique, Marine le Pen affirme que l’article 8 implique le partage avec l’Allemagne du siège permanent de la France au Conseil de sécurité. En réalité, l’article 8 prévoit que les « deux États s’engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’admission de la République fédérale d’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande ». C’est ce passage qui a probablement choqué la Présidente du RN ; néanmoins une simple lecture confirme qu’il ne s’agit en aucun cas de partager le siège de la France. Rappelons que la Charte des Nations Unies, adoptée en 1945 à l’issue de la Seconde guerre mondiale, institue un Conseil de sécurité doté de prérogatives importantes en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il est ainsi le seul habilité à autoriser une intervention armée sur le territoire d’un État qui s’y opposerait (sauf hypothèse de la légitime défense). Ce Conseil est composé de quinze États membres, dont dix sont élus pour deux ans et cinq sont permanents : la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie. Ces cinq permanents ont un « droit de veto », c’est-à-dire, entre autres, que leur accord est indispensable pour que le Conseil autorise le recours à la force et agisse de manière générale en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Depuis plusieurs années et comme d’autres pays, l’Allemagne souhaite une réforme du Conseil de sécurité afin de pouvoir l’intégrer de manière permanente. Jacques Chirac s’était déclaré favorable à l’idée d’inclure de manière permanente l’Allemagne en 1996, tout comme François Hollande s’est prononcé en 2012 en faveur d’un élargissement du Conseil de sécurité. Mais cette volonté affichée ne suffit pas à faire droit à la demande franco-allemande : encore faut-il pouvoir réviser la Charte des Nations Unies, ce qui est très difficile. L’article 109 de la Charte prévoit en effet que toute modification, proposée selon une procédure précise, devra être ratifiée par les deux tiers des 193 membres des Nations Unies, y compris tous les membres permanents (actuels) du Conseil de sécurité.
La consécration dans le Traité d’Aix-la-Chapelle d’une politique française en faveur de l’élargissement pour inclure l’Allemagne, qui a rejoint le Conseil de sécurité le 1er janvier 2019 pour deux ans, n’a donc rien de nouveau ; et à aucun moment il n’est question de renoncer au siège de la France. Plus encore, il s’agit de la confirmation que la France s’y refuse, en réponse au Vice-chancelier allemand qui suggérait fin 2018 de « transformer » le siège français en siège de l’Union européenne. En formalisant la position en faveur d’un élargissement du Conseil, la France écarte ainsi toute possibilité d’abandon de son propre siège.
En matière de défense ensuite, Marine Le Pen estime que le traité implique un partage de l’arme nucléaire française et se demande : « pourquoi faudrait-il demander à l’Allemagne l’autorisation d’intervenir militairement quelque part si nos intérêts sont en jeu ou au contraire accepter d’engager nos soldats dans des guerres qui ne sont pas les nôtres ? Pourquoi s’engage-t-on, par principe, à coopérer en matière militaire avec l’Allemagne alors qu’il peut être de notre intérêt de coopérer avec d’autres pays comme la Grande-Bretagne par exemple ? ».
Marine Le Pen oublie que l’obligation d’assistance militaire existe déjà entre tous les États de l’Union européenne, du fait de l’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne (« Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir », et entre tous les États de l’OTAN (dont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni) du fait de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Il n’y a donc rien de nouveau dans l’affirmation d’une protection réciproque par l’article 4 du Traité d’Aix-la-Chapelle, protection qui n’implique en revanche pas de demander « l’autorisation » de l’Allemagne pour intervenir militairement quelque part. C’est en effet, depuis 1945, au Conseil de sécurité des Nations Unies qu’il faut demander une telle autorisation, sauf exceptions. Enfin, le traité d’Aix-la-Chapelle n’évoque à aucun moment l’hypothèse d’un partage de l’arme nucléaire, ce qui est d’ailleurs totalement interdit par les articles 1 et 2 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968, traité obligatoire pour la France et l’Allemagne.
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