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Photo : Thomas Bresson, CC BY 4.0

Mariage sous OQTF : Bruno Retailleau confond l’État de droit et l’état du droit

Création : 18 décembre 2025

Auteur : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Relecteurs : Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public à l’Université de Picardie Jules Verne

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Source : Compte X de Bruno Retailleau, 16 décembre 2025

En réaction à la démission d’un maire refusant de marier une personne sous OQTF, Bruno Retailleau affirme qu’il faudrait « changer l’État de droit ». Une formule percutante, mais juridiquement trompeuse, qui confond l’État de droit avec l’état du droit.

En droit français, un maire ne peut pas refuser de célébrer un mariage en raison de la situation administrative de l’un des futurs époux. À Chessy (Seine-et-Marne), cette règle a conduit le juge civil à contraindre le maire à célébrer l’union d’un ressortissant étranger visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

En réaction, le maire et ses adjoints ont démissionné de leurs fonctions exécutives, déclenchant une polémique politique et juridique.

Dans cette affaire, le procureur de la République de Meaux a expliqué, dans les colonnes du Figaro, que l’OQTF en cause était devenue juridiquement inexécutable et qu’une enquête de police n’avait pas permis d’établir l’existence d’un mariage frauduleux. Le parquet n’a donc pas fait opposition au mariage, et le juge des référés a ordonné à la mairie de publier les bans et de fixer une date de célébration. 

Refusant d’exécuter cette décision, le maire et ses adjoints ont choisi de démissionner de leurs fonctions d’officiers d’état civil, affirmant ne pas vouloir « acter officiellement » la présence sur le territoire d’une personne sous OQTF. Une position présentée comme un moyen de ne pas se placer, selon eux, dans l’illégalité.

Soutenant cette démarche, Bruno Retailleau a estimé sur le réseau X que cette affaire démontrait la nécessité de « changer l’État de droit », allant jusqu’à réaffirmer que celui-ci ne serait « ni intangible ni sacré ». 

Une formule percutante, mais juridiquement trompeuse, qui confond l’État de droit — principe fondamental d’encadrement du pouvoir par le droit — avec l’état du droit, c’est-à-dire les règles concrètes en vigueur à un moment donné.

L’État de droit, qu’est-ce que c’est ?

La notion d’État de droit, comme nous l’avions expliqué, fait débat parmi les juristes. Si tous s’accordent sur son importance politique, il n’y a pas vraiment de consensus sur ce qu’elle recouvre exactement. 

On peut toutefois la définir comme un régime politique dans lequel l’exercice du pouvoir est encadré par des règles de droit, dont la violation est susceptible d’être sanctionnée par une instance indépendante du pouvoir politique lui-même, le plus souvent une juridiction également soumise au droit.

Par exemple, le fait qu’un juge puisse contraindre un maire à célébrer un mariage qu’il refuse illustre précisément l’État de droit : une autorité politique locale est tenue de se soumettre à une décision juridictionnelle indépendante, même lorsqu’elle la conteste.

Autrement dit, l’État accepte d’être lié par le droit qu’il édicte : telle est la première exigence caractéristique de l’État de droit. Concrètement, changer l’État de droit ne signifierait pas modifier une règle précise, mais remettre en cause le principe même selon lequel les autorités publiques — y compris les maires — sont tenues d’appliquer les décisions de justice.

À cette approche essentiellement fonctionnelle s’ajoute généralement un second critère, de nature substantielle. Celui-ci repose sur l’idée que, parmi l’ensemble des normes juridiques, certaines bénéficient d’une protection renforcée en raison des garanties ou des prestations qu’elles assurent aux individus, qu’il s’agisse, par exemple, de libertés et d’égalités ou encore de la protection de la santé.

Ces normes constituent les droits fondamentaux. Elles sont protégées au niveau constitutionnel — comme en témoigne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour la liberté et l’égalité — et/ou au niveau international, notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Bruno Retailleau, anarchiste malgré lui ?

Est-ce tout cela que Bruno Retailleau veut remettre en question ? Cela ferait de lui le premier contestataire de l’autorité de l’État, appelant à la « désobéissance », ce qui serait parfaitement son droit.

Mais ce que propose en réalité l’ancien ministre, c’est simplement de changer l’état du droit. Cela passe par la modification des règles en vigueur, tout en continuant à respecter l’application du droit, a minima. 

Cela consisterait, par exemple, à adopter une loi interdisant explicitement le mariage d’une personne en situation irrégulière ou sous OQTF, tout en continuant à accepter que cette nouvelle règle puisse être contrôlée, voire censurée, par le Conseil constitutionnel. Certains membres de sa famille politique ont d’ailleurs proposé de changer la loi.

Par ailleurs, une loi interdisant le mariage d’une personne en situation irrégulière ou sous le coup d’une OQTF risque de se heurter à la censure du Conseil constitutionnel.

Attention donc à la manipulation de certains concepts qui, sciemment ou non, peut conduire à une mauvaise compréhension des fonctionnements juridiques.

Des réactions en cascade sur les réseaux sociaux 

Bruno Retailleau n’est pas le seul à avoir réagi à cette démission. Sur les réseaux sociaux, nombre d’internautes se sont empressés de commenter la décision de justice, au risque de déformer la réalité juridique : « La loi dit qu’un OQTF doit quitter le territoire ! Aucune loi dit qu’ils ont le droit de se marier ! Le juge c’est (sic) octroyé le pouvoir de décider contre la loi !!! Mais n’a rien fait pour appliquer la loi et le faire quitter la France ! C’est inadmissible, se (sic) juge doit être juger (sic) car il ne fait pas son travail ! », s’agace une internaute sur Facebook.

Mais en droit français, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Or, rien n’interdit à un étranger sous OQTF de se marier. Le mariage est un droit, indépendamment de la situation administrative. Le Code civil ne subordonne pas le mariage à la régularité du séjour.

En pratique, un maire n’a pas le pouvoir légal de refuser un mariage pour cause d’OQTF ; s’il soupçonne une fraude, c’est-à-dire un mariage de complaisance ou « blanc » uniquement destiné à faire échapper l’un des époux à une obligation juridique, il peut saisir le procureur (article 175-2 du Code civil), mais si le parquet ne s’oppose pas, le mariage doit être célébré.

Affirmer que « le juge s’est octroyé le pouvoir de décider contre la loi » est également faux. Le juge n’a fait qu’appliquer la loi : il a ordonné l’exécution d’une obligation légale (célébrer un mariage licite), rôle classique du juge civil.

À l’inverse, faire exécuter une OQTF relève exclusivement de l’administration, sous le contrôle du juge administratif — pas du juge civil, ni du maire (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

On peut donc critiquer politiquement l’ineffectivité des OQTF, mais ce reproche ne peut pas être adressé au juge civil qui statue sur un mariage et n’a aucun pouvoir pour faire exécuter les OQTF. Il n’y a pas « défaillance judiciaire »: il y a séparation des compétences, principe fondamental de l’État de droit.

 

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