Manifestations : Testez vos connaissances
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Les manifestations étant un sport national, et leur interdiction devenue une habitude, il est bon de savoir ce qui peut être interdit et pourquoi, et quels sont les devoirs des manifestants.
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Qu’est-ce qu’une manifestation devant être déclarée ?
Selon l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure, « sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique. Toutefois, sont dispensées de cette déclaration les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux ». La réponse A est la définition qu’en donne le juge (Cour de cassation, chambre criminelle, 9 février 2016). Les processions religieuses traditionnelles, carnavals et autres fêtes de village sont bien des manifestations, mais elles n’ont pas à être déclarées.
Si la plupart des manifestations se déroulent sous forme de cortège, le déplacement n’est donc pas nécessaire : les manifestants peuvent peut stationner devant un lieu symbolique (une préfecture, une ambassade, un ministère, etc.), faire un sit-in, ou encore une prière de rue à l’occasion d’une fête religieuse importante.
La déclaration est préalable, et doit avoir lieu trois jours francs au moins et 15 jours francs au plus avant la date de la manifestation (« franc » signifie sans compter le jour de la déclaration). Un modèle figure sur le site Service-Public.fr.
Avant de manifester, une formalité s’impose :
Selon l’article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure : « la déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par au moins l’un d’entre eux ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté« . Il en résulte qu’une déclaration préalable qui omet un de ces éléments est nulle et doit être assimilée à l’absence de déclaration, ce qui justifie le cas échéant l’application des sanctions pénales à l’encontre des organisateurs.
Cette déclaration donne lieu de la part de l’autorité à la remise immédiate d’un récépissé. Elle ne peut le refuser. Mais ce document, qui n’est jamais qu’un accusé de réception, n’a pas valeur d’autorisation, car les manifestations sont libres. La déclaration a seulement vocation à permettre à l’autorité d’anticiper d’éventuels débordements de toutes natures, soit en renforçant la présence policière, soit en imposant une modification du trajet prévu, ce qui est fréquent en pratique : ainsi, le préfet a pu exiger des organisateurs d’une manifestation pour la cause animale déplacer une manifestation, qu’ils évitent de passer devant un cirque contre lequel justement ils souhaitaient manifester, car il s’agissait d’éviter d’éventuels affrontements (Cour administrative d’appel Lyon, 30 janv. 2014).
Au pire, le préfet peut interdire la manifestation.
Le préfet peut interdire la manifestation pour la raison suivante :
Selon l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, « si l’autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ». En d’autres termes, une manifestation n’est jamais contraire en soi à l’ordre public, encore moins parce qu’elle serait politiquement orientée et donc pro-palestinienne ou pro-israélienne. Même une manifestation pro-russe ne pourrait en soi être interdite. L’interdiction ne se justifie que si l’autorité détient des éléments sérieux de nature à faire craindre que la manifestation comporte un risque avéré de commission d’actes illégaux. À propos des manifestations pro-palestiniennes, quelques jours après des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023, tribunal administratif de Paris avait jugé le 28 octobre les éléments retenus par le préfet suffisants, notamment en raison de « l’arrivée du cortège susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine, le NPA et l’association des Palestiniens en Ile-de-France ayant fait l’objet d’un signalement pour apologie du terrorisme ».
Une manifestation ne peut être interdite en raison de son but, sauf si ce but est illégal. Ainsi, le préfet avait pu légalement interdire une manifestation d’extrême droite sous forme de soupe populaire, mais avec de la soupe au cochon destinée à dissuader ou humilier les personnes démunies de confession musulmane (Conseil d’État, 5 janv. 2007. Autres exemples : une manifestation destinée à détruire des récoltes OGM, ou à caractère homophobe, ou encore nazie).
Une interdiction ne saurait non plus être justifiée par le fait qu’elle pourrait porter « atteinte aux relations internationales de la République », ou à l’image de la France, car ce ne sont pas des troubles à l’ordre public. Sont visées notamment les manifestations organisées lorsqu’un chef d’État étranger vient en visite officielle, ou devant une ambassade étrangère.
Enfin, le préfet peut exiger un service d’ordre interne à la manifestation en cas de risques sérieux de troubles, en particulier lorsque des précédentes manifestations de même nature ont causé des troubles. Le non-respect de cette exigence suffit à justifier l’interdiction (voir déjà, à propos de manifestations pro-palestiniennes organisées notamment par le Nouveau Parti Anticapitaliste : Conseil d’Etat, 26 juil. 2014).
Lorsqu’une manifestation est interdite, celui qui manifeste malgré cela encourt :
La simple participation à une manifestation non déclarée n’est pas une infraction. En revanche, lorsque la manifestation a été interdite par un arrêté préfectoral publié ou par un arrêté du maire publié aussi, est qualifiée de contravention, il s’agit d’une infraction contraventionnelle, c’est-à-dire punie d’une amende. Selon l’article R. 211-26-1 du code de la sécurité intérieure, « la participation à une manifestation sur la voie publique interdite (…) est réprimée dans les conditions prévues à l’article R. 644-4 du code pénal« , lequel prévoit une contravention de la quatrième classe (Code pénal, article 131-13), fixé à 135 euros..
Cette amende a été créée par un décret du 20 mars 2019, qui avait été contesté devant le Conseil d’État comme contraire au droit de manifester. Ce dernier a jugé alors que cette amende permet de rendre plus effectif le respect des interdictions de manifester, et qu’elle « ne porte pas atteinte à la liberté de manifester dès lors qu’il ne concerne que des manifestations interdites« pour des raisons d’ordre public.
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