Mangeons-nous « l’œuvre d’une vie » de l’abeille en une bouchée de miel ?
Auteur : Antoine Mauvy, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas
Source : Compte Facebook, le 5 août 2024
Selon de nombreux posts sur Facebook, l’abeille passerait sa vie à butiner des fleurs pour produire une simple cuillère à café de miel. Mais ces chiffres simplifient la complexité et la richesse de leur existence.
Dans la tisane en hiver, sur une tartine accompagnée de beurre ou dans le yaourt pour les plus friands, le miel fait partie de notre quotidien. Il l’inonde jusqu’aux publications sur Facebook. Récemment, sans que Les Surligneurs y trouvent une explication, une myriade de posts ont été publiés, conseillant sur sa bonne consommation et alertant sur la vie de servitude des abeilles.
Virale, l’une d’entre elles affirme que la vie des abeilles est morose. “Pour nous, c’est juste une cuillère [à café] de miel, mais pour elle c’est l’histoire de toute sa vie”. Une vie qui durerait “moins de 40 jours”, selon une internaute. Le fatiguant “métro boulot dodo” de l’abeille serait ainsi avalé en une bouchée par les humains.
Aussi gourmands qu’interpellés par cette campagne de communication impromptue, Les Surligneurs ont décidé de se pencher sur ces affirmations. On vous l’accorde, l’enjeu ne saute pas aux yeux. Mais autant profiter de la trêve politique pour en apprendre plus sur le monde complexe de cet insecte essentiel pour notre sécurité alimentaire.
Des durées de vie variées
Concernant leur durée de vie, une rapide recherche nous montre que la réalité est plus sophistiqué que les dires de notre internaute. La longévité des abeilles dépend en fait de différents facteurs : leur espèce, leur rôle au sein de la ruche et la saison de l’année.
“En saison, c’est-à-dire à partir de mars/avril, quand les abeilles commencent à être actives, leur durée de vie est d’environ six semaines. Mais en hiver, elle peut atteindre cinq mois”, expose aux Surligneurs Patrick Vialle, apiculteur et producteur à Germaine (Marne). Cette différence de longévité s’explique par le travail fourni par l’abeille pendant la saison de production du miel.
“Elle se fatigue”, éclaire l’apiculteur, “ce qui explique que sa durée de vie soit beaucoup moins longue. Ça fait 100 millions d’années que les abeilles vivent comme cela”, ajoute Patrick Vialle, estimant qu’il s’agit du “cours naturel de leur vie”.
Au-delà de l’influence de l’activité des abeilles sur leur espérance de vie, leur rôle dans la ruche est également prépondérant. Si les abeilles ouvrières, stériles, vivent approximativement six semaines, les abeilles royales, en charge de la reproduction, peuvent vivre quatre ou cinq ans, comme l’explique le syndicat national d’apiculture. Le syndicat indique aussi que le faux-bourdon (le mâle chez les abeilles) vit, quant à lui, une cinquantaine de jours.
Une production de miel par abeille difficile à estimer
Si la publication est lacunaire concernant la durée de vie des abeilles, qu’en est-il de sa production de miel : ne faisons-nous qu’une bouchée de « l’œuvre de leurs vies » ?
Patrick Vialle, confirme que la production de miel par abeille se comptait en grammes, comparable à une cuillère à café. Mais son confrère Christian Pons, président de l’Union nationale des apiculteurs de France (UNAF) attire notre attention sur les différences de productions d’une année à l’autre. “Certaines années une ruche va produire 40 kilos de miel, quand une autre année la production sera proche de zéro.”
Pour lui, calculer la production moyenne par ruche sur cinq ans est donc le meilleur indicateur. “En moyenne, par an, nous sommes à 15/ 20 kilos de miel par ruche”, affirme le représentant syndical.
Si l’estimation de notre internaute sur la production de miel s’approche de la réalité, le constat qu’il est l’œuvre de la vie d’une abeille et avalée en une bouchée est, quant à lui, très imprécis.
Chaque abeille a différents rôles au cours de sa vie
Tout d’abord, les abeilles ne butinent pas toute leur vie. “Elles sont tour à tour, nettoyeuses, nourrices, gardiennes, ventileuses, cirières et enfin butineuses”, détaille Christian Pons. La période de production de miel, lorsqu’elles butinent, ne s’étale que du 21ᵉ jour de leur existence jusqu’à leur mort. Ainsi, réduire la vie de l’abeille à la production de miel est une première imprécision.
Ensuite, tout le miel créé par les abeilles n’est pas récolté. L’apiculteur localisé à Germaine, Patrick Vialle, nous explique : “Dans le corps de ruche, on ne fait pas de ponction, on laisse les réserves. Pour récolter du miel, on met un étage supérieur, appelé “hausse”. Si les abeilles ont envie, si elles sont en nombre suffisant, en bonne santé, et s’il y a de la ressource autour de leur habitacle, elles vont stocker du miel dans ces hausses. C’est ce surplus qu’on va récolter.”
Ainsi, le miel qui se trouve au cœur de la ruche, sert à la fois à nourrir les abeilles qui s’y trouvent et à permettre à la ruche de survivre pendant l’hiver. Il n’est pas pris aux abeilles par l’apiculture. Une partie de leur production les sert donc personnellement.
Un système complexe aujourd’hui menacé de disparaître. Selon les Nations Unies, « le taux d’extinction des abeilles est de 100 à 1000 fois supérieur à la normale« . Un cataclysme qui pourrait avoir des conséquences sur l’ensemble de la reproduction « de près de 90 % des plantes sauvages à fleurs du monde, ainsi que 75 % des cultures vivrières« . Et il faudra sans doute sonner la fin de la trêve politique pour que la situation s’améliore.
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