Lutte contre la désinformation : Twitter peut-il être banni de l’Union européenne s’il ne respecte pas ses obligations ?

Crédits : Mohamed Hassan
Création : 22 août 2023

Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle et Emma Cacciamani

 

 

Le réseau Twitter, maintenant appelé « X », peut-il être banni de l’Union européenne s’il ne respecte pas ses obligations de lutte contre la désinformation, prévues dans le « Digital Services Act » qui commence à faire effet ce vendredi 25 août ? C’est à la justice que revient une telle décision, en suivant un cadre extrêmement contraint.

Il est vrai que la loi européenne sur les services numériques (couramment appelée « DSA » pour Digital Services Act), adoptée par le Parlement européen et le Conseil, qui réunit les ministres des États membres, le 19 octobre 2022, oblige les grandes plateformes numériques comme Google, TikTok, Facebook ou Twitter, à prendre des mesures efficaces contre la diffusion de contenus illicites comme la haine en ligne, mais aussi contre la diffusion de contenus pouvant avoir un « effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique » (article 34 du DSA), ce qui inclut la désinformation.

Une possibilité de sanction très encadrée pour éviter toute censure

Une telle formulation est large et peut englober de nombreuses situations très différentes, pouvant entraîner une censure disproportionnée des contenus en ligne par les plateformes qui craindraient des sanctions. Pour éviter que les réseaux sociaux et autres moteurs de recherches soient tentés de porter une atteinte trop forte à la liberté d’expression, la possibilité de sanctionner a été strictement encadrée. Ainsi l’article 52 du DSA prévoit qu’il est possible de sanctionner notamment par une amende pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial (pour Twitter, dont le chiffre d’affaires mondial en 2021 est de 5 milliards $, cela représenterait un maximum de 300 millions $, soit 279 millions €).

Mais surtout, la suspension de Twitter ou de toute autre plateforme numérique n’est possible qu’à certaines conditions, précisées à l’article 51 paragraphe 3 du DSA : il faut d’abord avoir épuisé toutes les autres options : injonction de respecter le DSA, imposition d’une amende et d’une astreinte par jour de retard, ou encore de mesures provisoires. Il faut que Twitter continue ses pratiques illégales après toutes ces mesures. Si alors aucune autre mesure ne peut être prise pour faire changer le comportement de Twitter, alors là la suspension peut être envisagée.

Mais d’autres conditions s’appliquent : l’article 51 dit aussi qu’il faut que la désinformation constitue un « préjudice grave, et que cette infraction constitue une infraction pénale impliquant une menace pour la vie ou la sécurité des personnes« . On parle donc ici de désinformation d’une gravité particulière, pouvant relever d’une qualification pénale, ce qui n’est pas fréquent, puisqu’il faut qu’elle s’accompagne par exemple de diffamation, ou d’incitation à la haine – des éléments qu’on peut retrouver dans les discours complotistes.

La décision finale reviendra à la justice

Mais là encore, le ministre du Numérique et le commissaire européen au Marché intérieur induisent les citoyens en erreur : ce n’est pas eux – le pouvoir exécutif – qui décideront in fine de la suspension, mais la justice, comme le prévoit toujours l’article 51, et plus particulièrement ici la justice irlandaise. Pourquoi en Irlande ? Tout simplement parce que c’est là que Twitter et nombre de plateformes numériques ont leur siège européen. Et lorsqu’il prendra sa décision, le juge ne devra suspendre Twitter que si ces éléments sont respectés : « Toute mesure ordonnée est proportionnée à la nature, à la gravité, à la répétition et à la durée de l’infraction, et ne restreint pas indûment l’accès des destinataires du service concerné aux informations légales« . Le dernier point, « ne restreint pas indûment l’accès des destinataires du service concerné aux informations légales« , est particulièrement contraignant, puisque bon nombre d’informations sur Twitter sont bien légales. Last but not least, la suspension n’est que temporaire.

La procédure pourrait prendre aussi des années, puisqu’il faut que les autorités de régulation – ARCOM, etc. – mènent une enquête, prennent des sanctions, que ces sanctions ne soient pas respectées, et que l’autorité de régulation saisissent la justice en Irlande. Là, il y a fort à parier qu’une question préjudicielle sera posée à la Cour de justice de l’Union européenne, et que Twitter fera appel de la décision. Entre-temps, la désinformation aura fait son travail de sape de la démocratie.

Donc certes Twitter peut être « banni » de l’Union européenne, mais ce n’est pas le Gouvernement ni la Commission européenne qui décide, mais la justice, et ce en respectant un cadre extrêmement contraint, guidé par la protection de la liberté d’expression et de la liberté pour Twitter d’exercer une activité économique.

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