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L’Ukraine a-t-elle imposé à ses étudiants réfugiés en Lituanie de payer leur frais de scolarité ?

Création : 30 juillet 2024
Dernière modification : 31 juillet 2024

Auteur : Clément François, journaliste

Relecteurs : Etienne Merle et Clara Robert-Motta, journalistes

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours

Source : Compte Facebook, 16 juillet 2024

Sur Facebook, un compte de propagande russe affirme que l’Ukraine a imposé le paiement des frais de scolarité des réfugiés ukrainiens en Lituanie. C’est plus précisément la Lituanie, en accord avec l’Ukraine, qui y met un terme. Plusieurs universités ont annoncé prendre le relais pour assurer la gratuité des études.

L’Ukraine ne financera plus les frais de scolarité des réfugiés ukrainiens en Lituanie. C’est en tout cas ce qu’affirme, le 16 juillet 2024, sur Facebook le compte “Poutine soutien africain”, qui revendique un “soutien total à Vladimir Poutine”.

En y regardant de plus près, ce n’est pas l’Ukraine qui ferme les vannes, mais la Lituanie. C’est dans un entretien accordé le 15 juillet dernier à Baltic News Service, l’agence de presse principale des pays baltes, que la ministre de l’Éducation lituanienne, Radvilė Morkūnaitė-Mikulėnienė, a fait cette annonce. L’entretien a été massivement relayé dans la presse lituanienne, ainsi que dans la presse ukrainienne indépendante.

On y apprend que les frais de scolarité des étudiants ukrainiens qui fuient la guerre ne seront plus financés, ce qui était le cas depuis 2022. Cette mesure n’impactera pas les étudiants déjà inscrits qui pourront continuer jusqu’au diplôme sans payer de frais, mais seulement les nouveaux arrivants.

Pour autant, la ministre de l’Éducation lituanien affirme que c’est l’Ukraine qui est à l’origine de cette demande : “C’est un souhait du camp ukrainien. Il existe toujours des établissements d’enseignement supérieur en Ukraine, et il n’est donc pas nécessaire de délocaliser les études ailleurs. […] Nous ne voulons pas encourager la fuite des cerveaux.”

Contacté, le gouvernement lituanien n’a pas répondu à nos sollicitations.

Fuir, pour ne plus revenir ?

Pour Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia, l’Ukraine craint de ne pas réussir à convaincre sa jeunesse diplômée et qualifiée de participer à la reconstruction du pays : “Ces jeunes ont été accueillis, se sont intégrés dans d’autres pays, comment les faire revenir une fois la paix revenue ?”

Pour elle, le gouvernement ukrainien doit évoluer : “Aujourd’hui, le fort taux de corruption dans les institutions est un frein à leur retour. Des réformes politiques seront nécessaires pour que la nouvelle génération puisse accéder aux postes à responsabilité.”

En réponse à ces annonces, plusieurs facultés lituaniennes ont décidé de continuer à soutenir les étudiants ukrainiens. Le VIKO (pour Vilniaus kolegija), l’une des universités de la capitale du pays, a annoncé maintenir la gratuité des études pour les nouveaux arrivants, ce qui inclut le financement des frais de scolarité, des chambres gratuites et, potentiellement, des bourses. Vingt-cinq nouveaux étudiants seront intégrés de cette façon à la rentrée prochaine.

“Nous pensons que notre établissement peut aider le peuple ukrainien en donnant aux jeunes la possibilité de poursuivre des études supérieures”, a affirmé Lina Bivainiené, la porte-parole du VIKO, à l’agence de presse Baltic News Service. Les autres universités du pays ont majoritairement suivi le mouvement, annonçant la mise en place de bourses couvrant partiellement ou complètement les frais d’inscription.

La vérité au service de la propagande russe

Si cette information est donc en partie vraie, sa diffusion en masse sur les chaînes de propagande russe s’explique dans le cadre de la campagne de désinformation globale menée par la Russie. Pour Vera Grantseva, politologue russe et enseignante à Sciences Po Paris, le Kremlin ne peut que se réjouir de ces annonces : “Ils utilisent les moindres problèmes de l’Ukraine pour désinformer. C’était le cas pour la mobilisation des soldats, pour les prétendues richesses de Zelensky, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.”

Au-delà de la société ukrainienne, ces attaques visent selon elle à affaiblir le soutien européen. “En fonction de la langue ou du relais utilisés, la Russie choisit son interlocuteur. En russe, ce sont les Ukrainiens, et en anglais ou en français, les Européens.”

Enfin, pour en revenir au propagateur de cette information, le compte Facebook “Poutine soutien africain” veut aussi dire quelque chose de l’implantation de la propagande russe en Afrique, ce que la politologue explique par deux raisons : “D’abord, ce sont des États qui sont politiquement instables et corrompus, ce qui facilite l’implantation russe. Mais surtout, le Kremlin se nourrit du ressentiment qu’ont ces anciens pays colonisés vis-à-vis de l’Occident. Ils veulent être libres, indépendants, et parfois aussi se venger de ce qu’ils ont subi.”

Dans la guerre hybride que mène la Russie, chaque écart du gouvernement ukrainien est partagé, déformé, amplifié. Pour quelle finalité ? Miner le moral de la société ukrainienne, affaiblir le soutien occidental, pour qu’enfin, l’Ukraine accepte de signer un accord de paix selon les conditions russes.

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