L’Organisation mondiale de la Santé est-elle financée par des acteurs privés ?
Auteur : Clément François, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 30 août 2024
Déjà très critiquée pendant la période Covid, l’OMS est régulièrement la cible des anti-vaccins qui l’accusent notamment d’être contrôlée par des acteurs privés, dont notamment la fondation de Bill Gates, un de leurs donateurs les plus importants. Si le milliardaire peut décider vers quoi vont servir ses donations, il n’a pas de pouvoir décisionnaire au sein de l’organisation.
Face à la menace d’une nouvelle épidémie d’envergure, l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) a annoncé le 14 août dernier faire de la variole du singe une « urgence de santé publique de portée internationale« , appelant la communauté internationale à se mobiliser pour “pour enrayer ces épidémies et sauver des vies”.
Comme ils l’ont fait lors de la crise Covid, les anti-vaccins profitent de ces moments d’inquiétude pour semer le doute sur les organisations internationales, qui seraient selon eux contrôlées par des intérêts privés. Dans leur ligne de mire, la fondation Bill et Melinda Gates, deuxième contributeur le plus important de l’institution derrière les États-Unis, qu’on accuse sur Facebook, avec d’autres acteurs privés, de “dicter la politique de l’OMS”.
Qui finance l’OMS ?
Chaque année, l’Organisation mondiale de la Santé reçoit deux types de financements, détaillés sur leur site : des contributions fixées, payées par les pays membres, et renégociées tous les deux ans, et des contributions volontaires, qui peuvent venir à la fois des États, mais aussi d’acteurs privés, comme des entreprises ou des fondations. Les contributions fixées couvrent environ 20 % du budget total de l’OMS. Quant aux volontaires, elles représentent donc la majeure partie du budget de l’organisation.
Ces contributions volontaires sont elles-mêmes séparées en trois catégories, selon la liberté dont jouit l’OMS pour les utiliser. Ces fonds peuvent être libres d’utilisation, thématiques, ou “à objet désigné”. Selon leurs propres dires, 88% de ces fonds sont “à objet désigné”. C’est-à-dire que sur l’ensemble du budget de l’OMS, qui s’élevait en 2023 à 7,9 milliards de dollars, 6 milliards ne peuvent être dépensés que pour les objectifs désignés par les donneurs. L’OMS ne contrôle qu’un quart de son budget.
Mais pour Nathalie Ferrière, maîtresse de conférences à Sciences Po Aix, cela ne pose pas de problème de gouvernance : “L’OMS va substituer certains de ses financements pour couvrir d’autres objectifs moins dotés. Par exemple, si l’organisation reçoit énormément pour la poliomyélite grâce à la fondation Gates, elle va utiliser ses propres ressources pour couvrir d’autres besoins.”
Une vision contestée par Kenneth Haar, chercheur au Corporate Europe Observatory, une ONG de surveillance du lobbyisme dans les instances européennes. Pour lui, il existe en effet un problème de privatisation des politiques de santé publique mondiales : “La fondation Gates a une voix très importante dans le fonctionnement de l’OMS. Il y a un risque réel de marginalisation des gouvernements et du monde universitaire.”
Que finance la fondation Gates ?
En 2023, la fondation Bill et Melinda Gates a donné 830 millions de dollars à l’OMS, un montant important qui fait d’eux les deuxièmes donateurs les plus importants derrière les États-Unis (environ 1 milliard de dollars en 2023). La fondation Gates représente à elle seule 12,7 % du budget de l’OMS.
L’ensemble de ces dons sont “à objet désigné”, et visent majoritairement à combattre le développement de la poliomyélite, une maladie infantile qui entraîne des paralysies irréversibles. C’est un combat de longue date pour la fondation Gates, qui a investi massivement pour faire disparaître cette maladie, par le biais de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite (IMEP), créée en 1988 sous l’impulsion entre autres de l’OMS. Selon l’organisation, on dénombrait à l’époque près de 350 000 cas par an, un chiffre réduit aujourd’hui de 99 %.
La fondation Gates influence en effet le fonctionnement de l’OMS, en dirigeant ses fonds vers une problématique qui lui est chère. Mais pour Nathalie Ferrière, comme les objectifs des donateurs rejoignent ceux de l’organisation, ce genre de financement n’est pas problématique.
Un modèle adapté aux nouvelles crises ?
Avec l’arrivée d’épidémies de plus en plus fortes et rapprochées, la question de la pertinence du modèle de l’OMS peut cependant se poser : comment réagir rapidement à des crises comme celle de la variole du singe, quand les contributions annuelles sont déjà attribuées à d’autres priorités ?
Pour répondre à ces interrogations, la 75ᵉ Assemblée mondiale de la Santé de 2022 a établi de nouvelles lignes pour l’organisation : viser une augmentation des contributions des pays, afin que ces dernières atteignent d’ici à 2030 50 % du budget de l’OMS. Une mesure essentielle pour Kenneth Haar : “Nous devons faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils investissent massivement dans l’OMS avec l’intention de reconstruire l’organisation, et de l’arracher des griffes des milliardaires et des corporations.”
Un système imparfait, en quête de réforme et de démocratisation, mais qui reste essentiel dans la mise en place de programmes d’envergure mondiale de santé publique.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.