L’homme soupçonné d’être l’auteur de l’attaque d’Annecy est un étranger réfugié en Suède. Ce qu’il faut savoir pour comprendre la situation
Dernière modification : 22 juin 2023
Autrice : Clotilde Jégousse
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteurs : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : Experte chez Désinfox Migrations
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng
Jeudi 8 juin, l’attaque au couteau dans un parc d’Annecy relançait les débats sur les questions de migration. Asile, protection subsidiaire, libre circulation et expulsion du territoire : Les Surligneurs reviennent pour vous sur les termes qui ont cristallisé l’attention.
Stupeur, effroi, et “leçons à tirer”. Le 8 juin dernier, l’Assemblée nationale est en plein débat sur les retraites lorsqu’elle apprend l’attaque au couteau à Annecy, au cours de laquelle six personnes – dont quatre très jeunes enfants – ont été touchées. Une minute de silence en hommage aux victimes est alors observée dans l’hémicycle, à la demande de Mathilde Panot, Présidente du groupe LFI à l’Assemblée.
Un esprit de concorde qui n’a pas résisté au profil de l’assaillant présumé : un Syrien de 31 ans, bénéficiaire de la protection subsidiaire en Suède. À droite et à l’extrême droite, c’est une occasion à ne pas manquer. Courant juillet, le gouvernement présentera un texte “Asile-Immigration” en Conseil des ministres, et l’opposition compte bien faire entendre sa voix pour le faire pencher de son côté. Au Rassemblement national, on explique alors qu’Abelmasih H n’était “pas en situation régulière” et qu’il n’avait “rien à faire sur le sol français”. Côté Reconquête, Éric Zemmour questionne le bien-fondé de certaines demandes d’asile, demandes dont il situe le nombre sur BFMTV “entre 140 et 180 000″ – 137 046 premières demandes en réalité – chaque année en France. Eric Ciotti appelle, lui, à ouvrir un “débat majeur sur notre capacité de choisir qui nous ne voulons pas et qui nous voulons accueillir sur notre territoire”, au micro de Franceinfo.
Sauf qu’il n’est pas toujours possible de “choisir qui nous ne voulons pas”, dans un pays membre de l’Union européenne et partie aux traités internationaux. On vous explique pourquoi.
L’asile : un droit fondamental
Tandis que la main est en grande partie laissée aux États en matière d’immigration, le droit d’asile est un droit fondamental, garanti par les textes internationaux et européens. La Convention de Genève relative au statut des réfugiés, les directives de l’Union européenne sur l’asile, la Déclaration universelle des droits de l’Homme ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne le protègent.
En droit français, le préambule de la Constitution de 1946, à valeur constitutionnelle, prévoit que “tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République”.
La protection peut être accordée sous deux formes : le statut de réfugié, et la protection subsidiaire. Le statut de réfugié est consacré par la Convention de Genève de 1951, ratifiée par 145 pays, dont la France. Il concerne toute personne “craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social“, qui se situe hors de son pays de nationalité ou de résidence, et ne peut y retourner. En France, le statut de réfugié va de pair avec une carte de résident de dix ans, selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Lorsqu’un demandeur d’asile ne remplit pas les conditions d’obtention du statut de réfugié, mais qu’il prouve qu’il est exposé dans son pays à la peine de mort ou à l’exécution, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne, par exemple en raison d’un conflit armé, il peut obtenir la protection subsidiaire. C’est le cas d’Abelmasih H., l’assaillant présumé d’Annecy, qui l’a obtenue en Suède en 2013, après avoir fui la Syrie au moment du déclenchement de la guerre civile.
En France, cette protection s’accompagne d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans, selon le CESEDA.
En 2022, 156 103 demandes ont été formulées auprès des GUDA (Guichet unique pour demandeur d’asile), dont 137 046 premières demandes et 19 057 demandes de réexamen. Les Afghans, avec 22 570 premières demandes, arrivent en tête, loin devant les Bengalis (10 554) et les Turcs (9 979). Un peu plus d’un tiers ont obtenu le statut de réfugié (56 179) cette année-là, selon le ministère de l’Intérieur.
De la Suède vers la France, c’est possible ?
La Suède et la France sont membres de l’espace Schengen : un espace de libre circulation qui comprend 23 membres de l’Union européenne et l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse, quatre membres de l’AELE (Association européenne de libre échange). Celui-ci est prévu à l’article 77 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Au sein de cet espace, il n’y a pas de contrôles aux frontières, sauf cas particulier, comme c’est le cas en France depuis 2015 du fait du risque terroriste.
Les bénéficiaires de l’asile dans l’un de ces pays peuvent librement circuler, et puisqu’ils restent dans l’Union européenne, ils n’ont pas non plus besoin d’un visa, à condition de ne pas rester plus de trois mois dans un autre État que la Suède. En France, par exemple, il suffit de demander un titre d’identité et de voyage pour protégés subsidiaires (TIV). Il ne permet toutefois pas de s’installer, ni de travailler dans le pays de destination.
C’est donc légalement qu’Abelmasih H. était arrivé en France en octobre dernier, comme l’a rappelé la Procureure d’Annecy après l’attaque, avant d’y faire une demande d’asile, rejetée quatre jours avant les faits.
Un seul pays peut accorder l’asile
Une demande d’asile dans l’Union européenne est examinée par un seul État. C’est le règlement européen Dublin III, appliqué depuis le 1er janvier 2014, qui détermine l’État chargé de l’examen dans chaque cas.
Trois grands critères existent et s’appliquent dans l’ordre. D’abord, ce sont les liens familiaux. Les demandes des mineurs sont traitées par les États dans lesquels ils ont de la famille ou des proches en mesure de s’occuper d’eux (article 8 du règlement). Le même raisonnement s’applique aux majeurs qui ont de la famille dans un État de l’Union (articles 9 et 10). Ensuite, c’est la détention d’un visa ou d’un titre de séjour délivré par un État de l’Union. Si un État européen a déjà délivré l’un de ces documents au ressortissant étranger, c’est lui qui sera chargé de l’examen de la demande d’asile (article 12). Enfin, si aucun de ces critères ne s’applique, le règlement prévoit que le premier État membre de l’Union européenne où sont prises les empreintes digitales d’un ressortissant étranger est responsable de sa demande d’asile, et rend la décision finale (article 13). En pratique, c’est ce qui est le plus fréquent.
Une fois la demande effectuée dans un pays, il n’est plus possible pour un ressortissant d’en formuler une autre dans l’Union européenne. En France, par exemple, le CESEDA prévoit (article L 531-32) l’irrecevabilité d’une demande d’asile lorsque le demandeur bénéficie déjà d’une “protection effective” dans l’Union européenne ou dans un État tiers.
Abdelmasih H. bénéficiait déjà d’une protection en Suède. C’est donc logiquement que sa demande, formulée à la Préfecture de l’Isère à son arrivée en France et transmise à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), a été déclarée irrecevable.
Pourtant, contrairement à ce qu’a dit Marine Le Pen au lendemain de l’attaque, il n’était pas en situation irrégulière en France. Jusqu’à la notification de la décision le 4 juin, il bénéficiait du statut de demandeur d’asile. Il pouvait donc se maintenir sur le territoire jusqu’à la décision de l’OFPRA. À l’issue de celle-ci, il avait encore la possibilité de faire appel. Dans le cas d’un nouveau refus seulement, il se serait trouvé en situation irrégulière et la Préfecture aurait pu prononcer une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français, dans un délai déterminé).
Et après une condamnation ?
À ce jour, le pronostic vital des victimes n’est plus engagé. L’auteur présumé des faits, d’abord placé en détention provisoire dans le centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie), a été transféré, mercredi 14 juin, dans l’unité hospitalière spécialement aménagée (USHA) de l’hôpital psychiatrique du Vinatier, près de Lyon. Il est mis en examen pour “tentatives d’assassinats” et “rébellion avec armes”.
En plus d’une éventuelle condamnation à une peine de prison – qu’il pourrait effectuer en France ou en Suède, pays dans lequel sa famille réside – il pourrait écoper d’une interdiction du territoire français. Celle-ci peut être prononcée par le juge pénal lorsqu’un étranger résidant en France est reconnu coupable d’un crime ou de certains délits. Elle peut être décidée temporairement, pour dix ans maximum, ou définitivement, selon l’article 131-30 du Code pénal. Une condamnation qui entraînerait une reconduite à la frontière à l’issue de sa peine d’emprisonnement, s’il y en a une, voire pendant, s’il a la possibilité de purger sa peine en Suède.
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