“L’heure de trop” par Malik Bentalha sur les réseaux : l’occasion de réviser les notions de caricature et de parodie en droit
Autrice : Inès Zarrouk, master droit des médias électroniques, Université Aix-Marseille
Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé, Université Aix-Marseille
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
“L’heure des pros” de CNews avec Pascal Praud caricaturé en “L’heure de trop” de TNews avec Pascal Traud, cette parodie a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Les limites juridiques de l’exercice n’ayant pas été dépassées, les personnalités caricaturées n’ont pu qu’en rire, au moins officiellement.
Depuis quelques semaines, c’est la vidéo qui fait le buzz. L’humoriste Malik Bentalha a publié sur son compte X une parodie de l’émission, “L’heure des pros” animée par Pascal Praud sur CNews. Renommée “L’heure de trop”, cette performance humoristique met en scène cinq comédiens qui caricaturent le programme en animant un pseudo-débat sur une pseudo-chaîne dénommée TNews. Ce débat s’articule autour de questions liées à la politique nationale, à l’immigration, et aborde des sujets géopolitiques qui reflètent la rhétorique controversée de la chaîne de télévision CNews.
Les avis divergent sur cette vidéo : ainsi, l’imam Chalghoumi, président de l’association culturelle des musulmans de Drancy, a manifesté des sentiments mitigés, comme en atteste le tweet qu’il a publié sur son compte X (anciennement Twitter) : “Cette parodie m’a fait rire ! Parce que je suis Charles ! Mais certaines réactions montrent que ses auteurs avaient d’autres intentions aussi. Le rire est encouragé en islam quand il est empreint de bienveillance, prohibé quand il est malveillant. Je ne peux pas vous en dire plus”. Pascal Praud, quant à lui, a réagi avec plus de légèreté. Dans une interview accordée au journal Le Parisien, il a partagé ses impressions sur la performance comique qui a enflammé la toile : “Le début, avec la chanson de Sardou, ça m’a fait marrer. Le reste, c’est caricatural mais honnêtement ce n’est pas méchant”. Il a toutefois regretté la “sur-instrumentalisation de ce sketch sur les réseaux sociaux” et le fait qu’il le fasse passer “pour un réac” alors qu’il se définit “plutôt anar”.
Aucun des personnages caricaturés n’a estimé qu’il y avait atteinte à son image, et la chaîne Cnews n’a pas non plus critiqué ce sketch. Normal, c’est l’objet même de la parodie et de la caricature que de forcer les traits d’une personnalité sous un jour humoristique pour en dénoncer les excès, ce qui peut naturellement déplaire. Cela fait partie de la liberté d’expression, qui inclut le droit à l’humour, et qui constitue à la fois une limite aux droits de la personnalité (des personnes caricaturées) et aux droits de propriété intellectuelle (de la chaîne dont l’émission est parodiée).
Une caricature au sens juridique, avec son inévitable atteinte à l’image de la personne caricaturée
La caricature consiste à se moquer d’un personnage à la fois par des paroles insolentes ou humoristiques et par l’imitation d’un comportement (voix, expressions, attitude). Les caricatures se présentent sous des formes diverses, allant de la légèreté à l’ironie la plus incisive. En tant que moyen d’expression, elles peuvent ainsi constituer un support adéquat pour sensibiliser sur certains sujets d’une manière plus souple, au même titre que la bande dessinée, la littérature ou le cinéma.
En soi, elle constitue une limite au droit à l’image des personnes caricaturées, qui découle de l’article 9 du Code civil. La caricature est aussi une limite au droit à l’honneur et la réputation. Elle doit viser l’amusement, tout en ménageant des différences bien perceptibles avec l’œuvre initiale, en l’occurrence l’émission L’heure des pro de la chaîne de télévision CNews : la caricature se doit d’éviter toute confusion entre l’œuvre originale et l’œuvre caricaturale. De plus, la caricature ne doit pas nuire à la dignité d’autrui, au sens de l’article 16 du Code civil.
Les juges font généralement preuve d’une certaine souplesse à ce niveau, en faisant primer le droit à l’humour, en particulier lorsqu’il est question de personnalités médiatiques ou politiques. Ainsi, l’assimilation de Marine Le Pen à un excrément sur une affiche a été jugée comme ne dépassant pas les limites admissibles du droit à l’humour (Cour de cassation, 25 octobre 2019). De même, on se souvient de l’affaire des poupées vaudou représentant Nicolas Sarkozy, dont la commercialisation n’a pas été interdite par la Cour d’appel de Paris, quand bien même celle-ci a reconnu que “l’incitation du lecteur à piquer la poupée jointe à l’ouvrage avec les aiguilles fournies, action que sous-tend l’idée d’un mal physique serait-il symbolique, constitue une atteinte à la dignité”.
Sans juger à la place du juge, il ressort tout de même de la jurisprudence qu’aucune atteinte de cette nature ne peut être relevée dans le sketch de Malik Bentalha. Certes, les humoristes imitent les traits de personnalité des chroniqueurs de l’émission CNews de telle manière à ce que de nombreux internautes ont reconnu quel chroniqueur se cache derrière chaque comédien. Cependant, aucune utilisation des noms des chroniqueurs de l’émission par l’un des comédiens n’a été faite. Ces derniers ont simplement exprimé librement des opinions critiques de façon humoristique. Ainsi Pascal Praud est-il rebaptisé Patrick Traud. Le comédien Larsen Harbouni, présenté comme l’imam de Nancy, imite grossièrement Hassen Chalgoumi, l’imam de Drancy régulièrement invité sur le plateau de CNews. On retrouve également Vivianne Bouchard, directrice du magazine Bleu Blanc Rouge, qui caricature la journaliste Élisabeth Lévy, souvent présente sur le plateau de l’émission.
Ainsi, le droit à l’humour étant une déclinaison de la liberté d’expression, la caricature d’un comportement humain se présente comme une limite aux droits de la personnalité.
Une parodie critique au sens du code de la propriété intellectuelle
Pour les mêmes raisons, les titulaires de droits de propriété intellectuelle sur le format de l’émission L’Heure des pros (c’est-à-dire la chaîne CNews) ne peuvent en interdire la parodie ou le pastiche (articles L. 122-5 et L. 211-3 du CPI). Le sketch en question peut ainsi être qualifié de parodie, au vu de sa finalité humoristique évidente.
La Cour de justice de l’Union européenne a qualifié dans une décision du 3 septembre 2014 la parodie de notion autonome du droit de l’Union, tout en fournissant des critères permettant de l’apprécier concrètement. Ainsi, la parodie porte sur une œuvre et non sur des personnes : elle évoque l’œuvre parodiée, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et,
d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou de raillerie. Cela peut passer par la modification de l’œuvre ou par une imitation de sorte que la caricature de celle-ci soit suffisamment éloignée de l’original pour que le public s’aperçoive du travestissement.
Seule restriction, il a été admis que l’auteur puisse s’opposer à toute parodie de son œuvre si la finalité poursuivie par celle-ci est interdite par la loi. Tel est le cas lorsque la parodie est utilisée à des fins d’appel à la haine. La Cour de cassation, dans une décision du 22 mai 2019, a repris ces critères, considérant comme parodique la une du journal Le Point reprenant un buste de Marianne immergé soutenant un discours critique.
Dans le sketch en question, les humoristes s’attachent à bien se démarquer du programme original de la chaîne CNews par un changement de titre et de noms, ce afin d’éviter toute confusion. En somme, l’imitation ne doit pas être parfaite ! L’internaute moyen paraît à même de relever les similitudes entre le sketch et l’émission, y compris dans les outrances verbales des protagonistes : aucune confusion ne peut être faite entre les deux. Les humoristes font comprendre au public dès la présentation de la vidéo qu’il ne s’agit pas de l’émission CNews elle-même ni d’un extrait authentique de celle-ci. On le remarque dès le titre de l’émission, mais aussi avec les noms modifiés et les notes d’humour sont clairement perceptibles par l’internaute durant le show. De plus, cette performance humoristique a été diffusée sur les réseaux sociaux, alors que l’émission originale, elle, est diffusée à la télévision.
De fait, les éléments intentionnels (le but humoristique) et matériels de la parodie (les éléments de différence avec l’œuvre originale) sont bien réunis. L’humour sert uniquement à critiquer les opinions politiques et sociales que l’on retrouve dans les débats sur la chaîne de télévision CNews. Pascal Praud a lui-même reconnu que l’œuvre parodiée publiée par Malik Benthala poursuit un but comique, il a d’ailleurs déclaré dans son interview : “Être parodié, c’est la rançon du succès”.
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