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LFI a-t-elle proposé de réduire les allocations pour le handicap pour financer des aides aux immigrés clandestins ?

Création : 15 novembre 2024

Autrice : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W

Relecteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

 

Source : Post Threads, le 12 novembre 2024

Des internautes affirment que La France insoumise souhaiterait ponctionner une partie des financements dédiés au handicap, au profit des immigrés clandestins. LFI se défend en assurant qu’elle ne souhaitait pas proposer cette diminution de crédits mais qu’elle y a été contrainte pour que son amendement soit recevable. Une contrainte liée à l’article 40 de la Constitution.

La France insoumise (LFI) serait prête à réduire les financements alloués aux handicapés au profit des immigrés clandestins. C’est en tout cas ce qu’affirme un internaute sur Threads, le 12 novembre. Cette allégation a également été relayée par le média d’extrême droite Frontières, et par le compte X du pôle handicap de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour.

Pour appuyer leurs propos, tous affichent une photo d’un amendement, proposé par les députés LFI le 30 octobre dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

Sur la capture d’écran de l’amendement, on peut effectivement lire que 50 millions d’euros seront retirés de l’inclusion sociale et la protection des personnes et 50 autres du handicap et de la dépendance au profit d’un plan d’urgence pour les mineurs non accompagnés à hauteur de 100 millions d’euros.

Cet amendement existe bel et bien, il a été adopté le 5 novembre en séance publique à l’Assemblée nationale… sauf que la capture d’écran n’inclut pas le texte explicatif qui accompagne la proposition. Dans celui-ci, les députés signataires expliquent leur raisonnement.

Par le présent amendement, nous appelons le Gouvernement à financer un accueil et une prise en charge digne pour les mineurs non accompagnés, présentent les députés avant de proposer d’allouer 100 millions à un plan d’urgence afin d’apporter une aide aux mineurs isolés en danger, en les prenant sur les crédits dédiés au handicap.

À la toute fin de l’amendement, les députés insoumis se justifient et assurent qu’ils ne souhaitaient pas réduire les dépenses liées au handicap, mais qu’ils y étaient contraints. “Les règles de recevabilité nous obligent à gager via un transfert de crédits, mais nous appelons fortement le Gouvernement à lever le gage”, écrivent-ils.

Quelles sont ces règles de recevabilité et en quoi contraignent-elles les députés ? Explications.

La recevabilité financière depuis 1958

Les propositions de loi ou d’amendements des députés et sénateurs, au contraire des projets de loi qui émanent du Gouvernement, sont encadrés par l’article 40 de la Constitution : “Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique.

En clair, interdiction de creuser le déficit public. Si la proposition de loi ou d’amendement supprime ou diminue des ressources publiques, par exemple, un impôt, il faut qu’elle s’accompagne d’une nouvelle ressource afin de compenser les pertes.

L’article 40 conditionne la recevabilité du texte proposé et donc sa discussion. Une des techniques les plus utilisées par les parlementaires pour faire passer une proposition de loi ou un amendement diminuant une ressource publique est d’augmenter la taxe sur les tabacs pour compenser financièrement leurs propositions.

Cette règle, qui date de 1958, était destinée à éviter une surenchère de propositions de loi ou d’amendements jugés démagogiques et à encadrer ainsi le pouvoir budgétaire du Parlement.

S’il est possible de compenser la diminution des ressources publiques par une autre ressource, il n’est pas possible d’augmenter ou de créer une “charge publique” en compensant par une création de ressource ou la diminution d’une dépense.

L’emploi du singulier en ce qui concerne toute dépense crée une interdiction drastique et parfaitement voulue : il n’est pas possible de compenser la création ou l’aggravation d’une charge ni par la diminution proposée d’une autre dépense publique, ni par une recette nouvelle qui financerait cette augmentation, écrit Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin dans une lettre juridique.

Différence de taille pour le projet de loi de finances

Comme la loi était très sévère, elle a été atténuée pour les projets de loi de finances. L’étau a été quelque peu desserré pour les débats budgétaires puisque la possibilité d’amender des crédits a été reconnue en 2001, poursuit-il.  Ainsi, la charge s’entend, s’agissant des amendements s’appliquant aux crédits, de la mission, précise l’article 47 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Les parlementaires sont donc autorisés à opérer des mouvements entre les programmes d’une même mission sans augmenter le montant total des crédits de celle-ci”, détaille l’Assemblée nationale.

En clair, une mission budgétaire est — schématiquement — une politique publique, par exemple, une politique sociale, sécuritaire, sanitaire, etc. Et si, au sein de la politique d’aide sociale, LFI veut augmenter les crédits pour les mineurs non accompagnés, elle doit diminuer d’autres crédits au sein de la même mission, ici la mission “Solidarité, insertion et égalité des chances”.

Ce sont les instances parlementaires elles-mêmes qui contrôlent la recevabilité financière des propositions de loi et amendements. Dans la pratique, cette charge incombe in fine au président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (article 89, alinéa 4 du règlement de l’Assemblée nationale) ou du Sénat et, dans la pratique, il existe plus particulièrement des fonctionnaires désignés à cet effet, détaille Pierre Chavy, ancien administrateur de la commission des finances au Sénat.

Si l’ambition première de cet article 40 était d’éviter tout dérapage financier, les conditions sont parfois sujettes à interprétation. En 2023, une proposition de loi du groupe LIOT d’abroger la réforme des retraites avait été jugée irrecevable financièrement, ce qui avait été très décrié.

Le gouvernement peut décider de lever le gage

Toutefois, lorsque les parlementaires sont contraints d’avoir recours à ce type de mécanisme, il est possible pour le gouvernement de lever le gage autrement dit de ne garder que la partie de l’amendement qui propose un nouveau crédit (et non pas la partie qui diminue les crédits).

Lors de la discussion en commission ou en séance publique, le Gouvernement peut être amené à ‘lever le gage’, ce qui conduit à considérer que l’amendement, s’il est adopté, l’est dans une rédaction ne comportant plus de gage”, précise le site de l’Assemblée nationale.

Autrement dit, en l’occurrence, les Insoumis proposaient bel et bien une diminution de crédits pour le handicap, mais ils ajoutaient une demande tendant à ce que le Gouvernement ne garde pas cette partie de l’amendement. 

 

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