La suspension de l’externalisation des demandeurs d’asile du Royaume-Uni au Rwanda

Création : 28 juin 2022

Autrice : Loredana Dumitrasciuc, master de droit européen et relations économiques internationales, Université Paris-Est-Créteil

Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng, Yeni Daimallah et Emma Cacciamani 

Le Royaume-Uni a adopté une loi permettant d’externaliser les demandes d’asile vers un pays tiers. C’est pour répondre à cette pratique que s’est prononcée la Cour européenne des droits de l’homme le mardi 14 juin 2022, dans le cadre d’un recours de dernière minute, en demandant la suspension du premier vol de transfert des migrants du Royaume-Uni vers le Rwanda.

Que prévoit l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda ?

L’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda avait été dévoilé le 14 avril 2022 et prévoit que les demandeurs d’asile, arrivés de façon irrégulière depuis le 1er janvier 2022, soient envoyés dans ce pays de l’Afrique de l’Est. 

Au titre de cet accord, il est prévu que le Royaume-Uni verse au Rwanda, dans un premier temps, environ 150 millions d’euros. En échange, le Rwanda accepte de recevoir les demandeurs d’asile du Royaume-Uni transférés par avion, puis de traiter leurs demandes d’asile. Les demandes d’asile directement examinées par le gouvernement rwandais et recevant une suite favorable, permettront aux demandeurs de rester au Rwanda et de recevoir le même niveau de protection que ceux bénéficiant de l’asile en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et dont le Rwanda fait partie.

Le programme prévoit également une protection minimale vis-à-vis des demandeurs d’asile. Ces derniers seront protégés par la législation du Rwanda pendant leur séjour, bénéficieront de l’égalité d’accès à l’emploi, mais aussi aux services de santé et sociaux.

Cet accord fait partie de la politique migratoire britannique, un thème central de la campagne du Brexit de Boris Johnson. Nous ne pouvons pas entretenir un système clandestin parallèle, a déclaré le Premier ministre. “Notre compassion est peut-être infinie, mais notre capacité à aider les gens ne l’est pas”. Afin de pouvoir répondre au flux des migrants, le gouvernement britannique souhaite délocaliser le traitement des demandes d’asile au Rwanda. 

Y a-t-il des précédents d’externalisation ?

Cette idée d’externaliser les demandes d’asile n’est pas tout à fait nouvelle. Aux États-Unis, de 1991 à 1995, des Haïtiens interceptés en mer ont été retenus sur la base navale américaine de Guantanamo (sur l’île de Cuba) afin d’analyser leurs demandes d’asile avant soit de les accueillir sur le sol américain, soit de les refouler. 

L’Australie inventa quant à elle en 2001 la Pacific Solution, abandonnée en 2007 sous la pression des organisations internationales de défense des droits de l’homme, même si elle a été en partie réactivée depuis 2012 pour les demandeurs d’asile arrivés sans visa par voie maritime. Depuis 2013, tous les demandeurs d’asile sont transférés dans des centres de détention situés en Papouasie-Nouvelle-Guinée et Nauru. Si leur statut de réfugié est avéré, ils sont autorisés à y rester de manière permanente soit en étant réinstallés dans un pays tiers, soit restant sous la protection temporaire de l’Australie. Cet “accord régional de réinstallation” a pris fin officiellement le 31 décembre 2021. Le 16 février 2022 un accord “de principe” a été conclu entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, afin que celle-ci puisse accueillir des réfugiés. 

Puis fut votée une loi danoise en 2021, similaire à celle passée au Royaume-Uni, permettant de conclure un accord pour qu’un pays tiers, hors de l’Union européenne, accueille les demandeurs d’asile et examine leur dossier. Il faut préciser que le Danemark, tout comme l’Irlande, avait négocié en matière d’asile une clause de non-participation à la politique de l’Union en matière d’espace de liberté, de sécurité et de justice (“opting out”), lui permettant d’exclure chez lui l’application du droit européen de l’asile. En mai 2022, le gouvernement danois est entré en pourparlers avec le Rwanda pour signer un accord similaire à celui récemment signé par le gouvernement britannique, qui permettrait au Danemark d’envoyer des personnes demandant l’asile dans ce pays africain. 

Le Royaume-Uni face à la Convention européenne des droits de l’homme

L’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) dénonce le fait que le gouvernement de Boris Johnsoncherche à rejeter entièrement ses responsabilités en matière d’asile sur un autre pays, allant à l’encontre de l’objet et du but de la Convention de Genève de 1951, allant à l’encontre de ses engagements et menaçant le régime international de protection des réfugiés”. Le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, via son Haut Commissaire, Filippo Grandi a également déclaré que la mise en œuvre de cet accord ferait peser sur les migrants un risque de préjudice grave et irréparable.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est intervenue le 14 juin 2022 dans l’affaire K.N. c Royaume-Uni en ordonnant des mesures provisoires concernant l’un des demandeurs d’asile, irakien, qui devait prendre l’avion vers Kigali. Cinq autres requêtes ont été introduites devant la Cour, l’invitant à prendre des mesures provisoires, ce qui fait qu’indirectement, la Cour a bloqué l’avion qui s’apprêtait à emmener les migrants au Rwanda. 

Il est à noter que la CEDH ne se prononce pas dans cette décision sur la conformité de ce type d’accord financier migratoire avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. En vertu de l’article 39 du Règlement de la CEDH, la Cour peut prendre des mesures provisoires, qui sont des mesures d’urgence, s’appliquant lorsqu’il y a un risque imminent de dommage irréparable pour celui qui la saisit. Tel pourrait être le cas des demandeurs d’asile craignant des persécutions, des mauvais traitements ou d’autres atteintes graves en arrivant au Rwanda (atteinte à la vie ou de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants). 

Dans le cadre de cette affaire, la Cour décide d’accorder une mesure provisoire afin d’empêcher le refoulement du requérant avant que les juridictions internes ne se prononcent sur le fond et cela pour trois raisons : “eu égard au risque de traitement contraire aux droits conventionnels du requérant”, “du fait que le Rwanda est situé hors de l’espace juridique de la Convention (et n’est donc pas lié par la Convention européenne des droits de l’homme)” et “du fait de l’absence de tout mécanisme juridiquement contraignant propre à garantir le retour du requérant au Royaume-Uni au cas où les juridictions internes accueillent son recours au fond”.

Si la CEDH a bloqué cet avion, c’est parce que la justice britannique n’avait pas respecté un délai de trois semaines entre la décision définitive d’expulsion et l’expulsion effective. Ce délai étant prévu par la loi britannique, il s’agirait d’un vice de procédure, interdisant en pratique aux étrangers en question tout recours juridictionnel permettant de contester la décision d’expulsion. Ainsi, si le recours prévu par la loi britannique est rejeté, le demandeur devient un étranger en situation irrégulière permettant son expulsion vers le Rwanda.

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