L’évolution des règles déontologiques des députés européens, après le scandale du « Qatargate ».
Auteur : Rémi Mouret, master droit international et européen, Université de Lille
Relecteurs : Christian Osorio Bernal, juriste et enseignant en droit international et européen des affaires, Université de Lille et Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Après le scandale du « Qatargate », le Parlement européen qui disposait d’une législation lacunaire en matière de déontologie, a fait évolué ses règles pour durcir les exigences d’intégrité et de transparence des eurodéputés. Des réformes jugées cependant incomplètes.
Le 9 Décembre 2022, la police belge mène une vague de seize perquisitions aboutissant à l’arrestation de cinq personnes et la saisie de 1,5 millions d’euros en argent liquide. Eva Kaïli, Vice-Présidente du Parlement européen, est appréhendée avec 150 000 euros en argent liquide à son domicile. Cette action marque le début de l’affaire du « Qatargate », véritable séisme dans les institutions européennes. Le Qatar est soupçonné par la justice belge d’avoir mis en place un vaste réseau d’influence en vue d’améliorer son image dans le cadre de la coupe du monde de football en 2022.
Cette affaire vient éroder la réputation des élus et fonctionnaires européens, déjà sujette à de nombreuses attaques. Elle démontre également les faiblesses du Parlement dans la conduite de ses relations avec les acteurs influençant le processus législatif, tels que les lobbies. L’efficacité du « registre de transparence », est remise en question.
Face à ce constat, le Parlement européen a décidé d’agir pour le renforcement de l’intégrité, l’indépendance et la responsabilité de ses élus. Toutefois, cette évolution fait l’objet de nombreuses critiques quant à des failles qui subsisteraient, alors qu’elle sont déjà mises au jour par les autorités belges.
Une législation lacunaire
La première vulnérabilité est en lien direct avec l’accord inter-institutionnel (Parlement européen, Commission européenne et Conseil de l’Union européenne) instaurant le « registre de transparence ». Entré en vigueur en 2011 et révisé en 2021, l’accord prévoyait pour les lobbies une inscription facultative dans ce registre, mais devenant obligatoire pour certaines activités, dont l’accès au Parlement européen. Seconde vulnérabilité, les anciens députés n’étaient pas concernés par le dispositif. Ainsi, l’ancien parlementaire européen Pier Antonio Panzeri, mis en cause dans le scandale du « Qatargate », pénétrait l’enceinte du Parlement européen, sans inscription audit registre, aux fins de représentation de l’ONG « Fight for impunity » dont il était le Fondateur et Président. De plus, s’agissant des rencontres entre députés et représentants d’intérêts, la législation ne prévoyait pas de publication obligatoire des rendez-vous.
Les députés européens sont également liés par un code de conduite en matière d’intégrité et de transparence, figurant en annexe au règlement intérieur du Parlement européen, et entrée en vigueur en 2011. Un panel de sanctions est prévu par le règlement intérieur, notamment l’interdiction de participer à des délégations interparlementaires, à des conférences interparlementaire ou autres instances interinstitutionnelles, la privation de l’indemnité de séjour pour une durée de deux à soixante jours. Néanmoins, ces sanctions ne s’appliquaient pas aux cas de manquement audit code de conduite, mais seulement dans les cas de manquement au règlement intérieur même.
La réaction face à ce constat d’échec
En réaction au « Qatargate », le Parlement a adopté, le 13 septembre 2023, une modification de son règlement intérieur.
Il prévoit, désormais, un renforcement de la transparence des « intergroupes » et de tout « groupements non officiels », à savoir des groupes informel de députés. Les articles 34 et 35 imposent l’obligation pour ces groupes de déclarer tout soutien monétaire ou en nature dont ils seraient bénéficiaires, dans un délai d’un mois. L’article 123, relatif à l’encadrement de l’accès au Parlement, mentionne désormais les anciens députés. Ces derniers sont soumis à un régime semblable à ceux en activité pour la délivrance de titre d’accès aux locaux de l’institution.
Ce renforcement de la transparence se matérialise également par l’instauration d’un formulaire, annexé aux mesures d’application du code de conduite, dont l’objet est la déclaration de conflits d’intérêts. Cette dernière était jusqu’à présent, une simple déclaration informelle auprès des pairs. Il existe désormais un formulaire disponible sur la page web du Parlement européen pour chaque député concerné.
Le Parlement a aussi opéré des modifications sémantiques du code de conduite en matière d’intégrité et de transparence. Il renforce le caractère contraignant de l’article 5 bis, en prévoyant la publication des réunions avec les lobbyistes en lien avec les activités parlementaires, et en remplaçant la mention « devraient » au profit de « Les députés publient ».
En outre, les sanctions prévues à l’article 176 du règlement intérieur s’appliquent désormais aux manquements des eurodéputés au code de conduite en matière d’intégrité et de transparence. Le Parlement européen a également agi en faveur d’un alourdissement de ces sanctions. La perte de droit à l’indemnité de séjour a été doublée, passant de 30 à 60 jours. Cette réforme prévoit aussi la mise en place de sanctions plancher, allant de deux à trois années selon le type d’infraction constaté.
Vers un organe éthique européen ?
Enfin, la Commission européenne a proposé, le 8 juin 2023, l’instauration de « l’organe éthique européen ». Il aurait pour objectif le développement de standards éthiques minimum communs, notamment en organisant des échanges entre les différentes institutions européennes et la promotion de la coopération entre ces mêmes institutions en matière de transparence.
Un système perfectible ?
La réforme opérée afin de renforcer la transparence de l’institution fait face à diverses critiques. D’abord, l’appréciation des manquements au règlement intérieur est assurée par un comité consultatif composé de huit parlementaires, nommés par le Président lors du début de son mandat, au titre de l’article 7 du code de conduite en matière d’intégrité et de transparence. Or, aucun dispositif n’assure l’impartialité de ces huit parlementaires.
Ensuite, nombre de députés européens souhaitent que « l’organisme d’éthique puisse enquêter sur les violations présumées des règles éthiques et pour qu’il ait également le pouvoir de solliciter des documents administratifs« . Ils estiment, au travers d’une résolution, la proposition actuelle de réforme « insatisfaisante ». Ils regrettent également que seuls cinq experts indépendants soient prévus par la Commission européenne au sein de cet organisme et non neuf comme ils l’avaient initialement demandé.
Le Qatargate » a révélé des failles en matière d’intégrité et de transparence au Parlement européen. Pour autant la réforme en cours ne fait pas l’unanimité, et Transparency international estime qu’il « est décevant que les députés européens, (…), aient manqué une occasion cruciale de mettre en œuvre des réformes éthiques significatives« .
Il s’agira en tout état de cause pour le Parlement d’assurer l’effectivité de règles avec les moyens qu’il s’est donnés.
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