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Image d'illustration. Domaine public.

L’État pourra-t-il désormais activer la caméra et le micro de nos téléphones portables ?

Création : 19 juin 2025

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Source : Compte Facebook, le 2 mai 2025

 Une vidéo virale affirme que l’État peut désormais activer à distance la caméra, le micro et la géolocalisation de nos téléphones dans le cadre d’une simple enquête administrative. Si une telle mesure existe bien, elle ne peut être décidée que par un juge, dans des cas très graves et encadrés.

Tous surveillés ? Une vidéo vue plus de deux cent mille fois alerte sur une prétendue loi adoptée récemment qui permettrait à l’État, « si l’on fait l’objet d’une enquête administrative », d’activer la caméra frontale, le micro et la géolocalisation de notre téléphone portable. Cela concernerait toute personne faisant l’objet d’une enquête pour « fraude, suspicion de menace ou contrôle fiscal »

La vidéo évoque un « plan de sécurité numérique » ayant pour objectif de lutter contre « la criminalité numérique ». Soyons clairs : ce plan n’existe pas. Toutefois, les dispositifs en question ne sortent pas de nulle part, puisqu’ils ont été débattus au Parlement. Mais il faut démêler le vrai du faux.

Des mesures adoptées mais censurées

En 2023, les parlementaires ont adopté le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023‑2027. Cette loi prévoyait effectivement l’activation visuelle et sonore des appareils électroniques à distance. Mais le Conseil constitutionnel a retoqué cette partie de la loi, car trop attentatoire au principe de respect de la vie privée  : l’activation à distance était envisageable pour un trop grand nombre d’infractions, sans prise en compte de leur gravité. Pour l’heure, rien à craindre donc pour nos téléphones.

La vidéo en question, publiée le 2 mai 2025, aurait donc pu être rapidement classée comme diffusant une information erronée, au regard de la censure du Conseil constitutionnel sur la loi de 2023. Cependant, les choses ont évolué depuis : une nouvelle loi a été adoptée, changeant partiellement la donne.

Les leçons du Conseil constitutionnel

La loi narcotrafic adoptée en juin 2025 autorise de nouveau l’activation des caméras et micros des appareils électroniques mobiles. Saisi, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré la loi, mais il a émis des réserves. En particulier, la caméra, le micro et la géolocalisation des appareils ne pourront être activés que sur décision d’un juge, qui décidera de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure, au regard des faits soupçonnés. Aucune initiative autonome de la police en somme : seul un juge pourra autoriser ce type d’écoute si les policiers lui démontrent qu’ils sont sur une piste suffisamment sérieuse de délinquance ou de criminalité liée au narcotrafic.

D’ailleurs, le Conseil constitutionnel précise bien que les forces de l’ordre ne peuvent activer les caméras et micros que dans le cadre d’enquêtes pour des délits « s’ils sont commis en bande organisée et punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans ». Contrairement à ce que dit la vidéo, il n’est pas question ici d’une simple enquête administrative sur un « petit dealer » de quartier. En outre, cette activation n’est possible qu’à titre subsidiaire : il faut démontrer que la pose de caméras ou de micros n’est pas possible.

Si les caméras et les micros des téléphones pourront être effectivement activés, c’est dans un cadre très encadré et pour des faits bien plus graves que ceux énumérés par la vidéo. En somme, la police s’adapte aux technologies et s’en sert tout comme le font les délinquants, mais sous l’autorité d’un juge, gardien des libertés.

Et la vidéo de se terminer en demandant à l’internaute s’il trouve cela « abusé ». Ce qui l’est surtout, c’est la manière dont elle déforme les faits pour susciter l’indignation. En exagérant, voire en inventant, on alimente les peurs et on capte l’attention — au mépris de la vérité. Plutôt que de céder au sensationnalisme, mieux vaut cliquer là où l’information est vérifiée : sur Les Surligneurs.