Les sondages et les risques de manipulation
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Alexandre Fournil, master de gouvernance territoriale, Université Grenoble Alpes et Sciences Po Grenoble
Relecteur : Jean-Pierre Camby, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani
Face aux risques de manipulation, la loi a dû intervenir dès 1977 pour définir ce qu’est un sondage en matière électorale, et imposer des règles de transparence, avec une Commission des sondages qui veille et au besoin un juge qui punit.
Les sondages occupent une place de plus en plus importante dans la vie politique française. En atteste “l’inflation sondagière” qui caractérise cette période d’élections présidentielles. Le rapport de la Commission des sondages de 2017 fait état de 193 sondages pour la présidentielle de 2002, 293, pour celle de 2007, 409 en 2012 et finalement 560 en 2017. Sur les quatre derniers mois de l’élection présidentielle de 2017, la Commission note qu’il avait été publié près de 2 sondages par jour.
L’impact des sondages a justifié un encadrement légal
Les sondages exercent non seulement une influence sur les électeurs, mais ils ont également un impact sur le calcul du temps de parole. En effet, les sondages d’opinion constituent l’un des critères utilisés par l’ARCOM pour déterminer les temps de parole. C’est en raison de cette importance que ces derniers sont régis par la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion. Cet encadrement législatif fut modifié à deux reprises, en 2002 et en 2016. Si la réforme de 2002 est anecdotique, celle de 2016 procède à une véritable modernisation de l’encadrement légal des sondages électoraux. Cette réforme a permis d’une part de définir ce qu’était un sondage : ainsi “quelle que soit sa dénomination”, un sondage est “une enquête statistique visant à donner une indication quantitative à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon”. D’autre part, elle clarifie la notion de sondage électoral, qui regroupe les sondages : “diffusés ou rendus publics sur le territoire national, portant sur des sujets liés, de manière directe ou indirecte au débat électoral”.
Tout n’est pas sondage au sens de la loi
La Commission des sondages, créée en 1977, a pour mission de contrôler ces derniers afin qu’ils répondent aux objectifs prévus par le décret d’application de la loi de 1977. Le contrôle porte d’abord sur la réalisation du sondage en lui-même : le caractère représentatif de l’échantillon utilisé (représentativité par le sexe, la catégorie socioprofessionnelle, la zone géographique, etc.), la nature des questions posées (sont-elles biaisées ? etc.), mais également la sincérité dans l’interprétation des sondages. Le contrôle porte ensuite sur les mentions obligatoires : informations relatives au sondeur, qualité du commanditaire, étendue de la marge d’erreur.
Outre ces contrôles, la Commission apprécie la qualité des notices liées aux sondages. Ces notices indiquent, de façon synthétique, la méthodologie utilisée par le sondeur. Elles sont transmises à la Commission avant même la publication des sondages. De fait, s’est développée une pratique de double notice, l’une pour la Commission comportant l’ensemble des éléments méthodologiques, l’autre pour les tiers qui ne comportant que les éléments essentiels. Néanmoins, si la transparence a été améliorée avec la réforme de 2016, il apparaît que certains éléments comme les critères de redressement politique (méthodologie consistant à corriger les biais de déclarations) ne figurent toujours pas sur les notices publiées. Les sondeurs se réfugient derrière leur savoir-faire, qui est protégé par le secret des affaires, pour éviter de publier ces éléments (qui ont pourtant une importance primordiale). Ce refus de communication des méthodologies de redressement a été validé par le Conseil d’État en 2012, puis par la Commission d’accès aux documents administratifs, saisie par une candidate aux élections municipales de Grenoble d’une demande de communication de la notice “complète” d’un sondage publié dans le un journal.
La Commission des sondages veille à la transparence
La Commission des sondages a “tout pouvoir pour vérifier les sondages qui ont été commandés, réalisés, publiés ou diffusés conformément à la présente loi et aux textes applicables”. Elle peut enjoindre aux instituts de rectifier les mentions obligatoires, ou de publier une mise au point. La mise au point a pour but de faire savoir à un auditoire, un lectorat ou un téléspectateur qu’un sondage a été mal réalisé ou mal présenté. Depuis 2016, la mise au point doit être traitée avec la même durée que le sondage litigieux. Lorsqu’un sondage ne répondant pas aux exigences de la loi de 1977 est présenté dans une émission, le média en cause sera obligé de présenter la mise au point dans une durée équivalente.
La Commission a utilisé son pouvoir de mise au point tout récemment pour mettre en garde les lecteurs des sondages de l’institut Cluster17. Étaient en cause deux sondages publiés sur le journal Marianne. La Commission a épinglé l’institut de sondage pour “faiblesse des moyens mis en œuvre”, de nature à faire “douter de la qualité des sondages produits”. La Commission doutait ainsi de la représentativité des échantillons, qui provenaient non pas d’un panel constamment entretenu et renouvelé de répondants qualifiés, mais d’un “stock d’adresses électroniques acquises à bas coût, sans aucune garantie sur l’origine de ces adresses, sur la qualification des personnes qu’elles représentent”. Cette mise au point a été publiée sur le site de Marianne et dans le magazine papier.
En octobre 2021, la Commission des sondages a usé d’un autre de ses pouvoirs, celui d’enjoindre à une chaîne de télévision (en l’occurrence Cnews) de rectifier la présentation mensongère d’un sondage au cours d’une émission de la chaîne. Sur la forme, la Commission déplorait l’absence de mention des marges d’incertitude s’agissant de sondages relatifs à l’élection présidentielle. Sur le fond, la Commission s’étonnait que la présentation du sondage faite par la chaîne conduise à un total de points de 106% (!). Dans ces conditions, ajoutait la Commission, le tableau en question ne pouvait être présenté comme un extrait d’un sondage. Cnews a donc été contrainte de présenter des excuses et de présenter le lendemain un sondage en bonne et due forme. Néanmoins, il ne s’agissait pas d’une mise au point, la chaîne n’a pas eu à consacrer à cette explication un temps équivalent à la présentation fallacieuse qui avait été faite auparavant.
L’abus du mot “sondage” est un délit
Ajoutons que la loi de relative aux sondages prévoit une partie pénale. Est puni d’une amende de 75 000€ le fait d’utiliser le mot sondage pour des enquêtes qui ne répondant pas à la définition légale du sondage. Ce texte pouvait s’appliquer à ce que Facebook (devenu Meta) appelait des sondages, sous forme d’options de questions placées sur les profils individuels, avant que ce média ne modifie la dénomination de cette option. La Commission peut également saisir le procureur de la République à des fins de poursuites pénales.
L’impact des sondages est tel dans le processus de vote de citoyens français, que la publication de ces derniers est interdite la veille et le jour du scrutin. Reste que cette obligation est largement contournée par les médias francophones belges et suisses… d’où la question du caractère obsolète de cette interdiction.
La question de l’interdiction des sondages électoraux se pose à chaque élection nationale. L’ancien délai de sept jours a été abandonné en 2002. Le juge pénal considérait l’interdiction de publier des sondages préélectoraux contraire à la liberté d’expression alors que le juge administratif estimait lui que le délai d’interdiction était compatible avec la liberté de d’expression. Risque d’influencer l’électeur contre risque d’une atteinte à la liberté d’expression : comment trouver l’équilibre ?
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