Crédit : Jean-Luc Hauser (CC BY-SA 4.0)

Les salariés du privé ont-ils vraiment trois jours de carence comme l’affirme le ministre de la Fonction publique ?

Création : 5 novembre 2024

Autrice : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Hugo Guguen, juriste

Source : Compte Facebook, le 28 octobre 2024

Le Gouvernement a annoncé vouloir augmenter le délai de carence des fonctionnaires en arrêt maladie, afin de s’aligner avec celui des salariés du privé. Si la loi fixe ce délai à trois jours pour le privé, dans les faits, plusieurs accords d’entreprises et conventions collectives réduisent ce délai de carence.

L’augmentation des jours de carence des fonctionnaires en arrêt maladie : voilà une nouvelle proposition de réduction des dépenses qui fait débat. Dans un entretien au Figaro le 27 octobre dernier, Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, a annoncé vouloir aligner le délai de carence du public, qui est aujourd’hui d’un jour, sur celui du privé, qui est de trois jours.

Par cette mesure, le ministre espère faire 289 millions d’euros d’économies. Si cette mesure ne fait pas consensus, le ministre y voit une décision de justice entre salariés du privé et du public. Mais est-ce aussi simple ?

Une différence entre le principe général et les faits

Il est vrai qu’à en croire l’Assurance Maladie, le principe est simple. Pendant les trois premiers jours de votre arrêt de travail, aucune indemnité journalière ne vous est versée”, est écrit sur la page de l’Assurance Maladie consacrée aux indemnités journalières des salariés en arrêt de travail.

Quant à la fonction publique, longtemps exemptée de tout délai de carence, elle possède, depuis 2018, un jour sans rémunération en cas d’arrêt maladie.

Des exceptions à ce délai de carence, communes au privé et au public, existent. Par exemple, en cas d’arrêts de travail successifs dus à une affection de longue durée (ALD).

Si on suit la loi, les salariés du privé et les fonctionnaires ne sont donc pas égaux en cas d’arrêt maladie. Sauf qu’à la différence du public, le privé voit parfois son délai de carence effacé. Cela est bien précisé par l’Assurance Maladie sur son site : “Selon votre convention collective ou votre accord d’entreprise, il est possible que votre salaire soit maintenu même pendant les trois jours de carence”.

Mais à quel point les salariés du privé sont-ils exemptés du délai de carence ? Les Surligneurs ont mené l’enquête.

Ce que disent les chiffres

Selon Manuel Bompard, invité sur France Inter : “En vérité, dans le privé, ces trois jours de carence, dans 75 % des cas, ils ne sont pas en vigueur, car ce sont les fonds de prévoyance des entreprises qui les prennent en charge”.

Contacté par Libération, Manuel Bompard annonce sortir ce chiffre de deux articles : l’un de la Banque des territoires, l’autre du Journal international de médecine. Le problème, comme le soulignent nos confrères de Libération : les deux articles évoquent bien le chiffre de 75 %, mais ne donnent aucune source.

L’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport conjoint paru en juillet 2024 révèlent que “deux tiers [des salariés du secteur privé, ndlr] sont protégés contre la perte de revenu induite par le délai de carence par le biais de la prévoyance d’entreprise”.

La prévoyance d’entreprise est un service proposé par certaines entreprises, permettant notamment d’être rémunéré pendant un arrêt maladie. Il est majoritairement financé par l’employeur, mais une partie de la cotisation peut revenir à l’employé.

Le rapport affirme que cette donnée provient d’une enquête de l’Irdes sur la Protection sociale complémentaire d’entreprise (PSCE) de 2017. En nous penchant sur les données de ce rapport, nous ne trouvons pas exactement les mêmes données. À la question “dans votre établissement, certains salariés sont-ils indemnisés pour les trois premiers jours d’arrêt maladie (pour les trois jours ou pour une partie seulement d’entre eux) ?”, 63,5 % des enquêtés ont répondu positivement.

Ce chiffre n’est donc pas tout à fait aligné avec les 75 % du député insoumis, ni avec les 66 % de l’IGF et l’IGAS. D’autant plus que sont compris dans les réponses positives des établissements n’indemnisant pas entièrement les trois jours et l’ensemble des salariés. Et il existe parfois des critères pour bénéficier de ces indemnisations totales ou partielles.

À titre d’exemple, la fédération Syntec, qui “représente plus de 3 000 groupes et sociétés françaises spécialisés dans les professions du Numérique, de l’Ingénierie, du Conseil, de l’Événement et de la Formation Professionnelle”, énonce dans sa convention collective qu’il faut un minimum d’ancienneté d’un an pour voir son délai de carence pris en charge par l’entreprise.

L’inégalité du délai de carence entre le privé et le public avancé par le Gouvernement pour justifier sa mesure est donc à nuancer dans la mesure où certains salariés du privé sont dispensés de ce délai de carence. Il semble toutefois impossible de quantifier les salariés exemptés. 

 

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