Les promesses de Valérie Pécresse passées au crible
Auteur : Vincent Arnaud, juriste
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Alex Yousfi, juriste
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : Les Surligneurs
Valérie Pécresse, candidate Les Républicains (LR) à l’élection présidentielle, se targue d’un programme en rupture avec celui d’Emmanuel Macron, notamment, sur le plan de la justice pénale, de la sécurité intérieure, de la lutte contre l’immigration et le communautarisme. Elle aspire ainsi à une justice qui punit plus sévèrement les délinquants et les criminels. Cette tendance sécuritaire lui coûte cependant de formuler certaines propositions contraires à la Constitution dans sa rédaction actuelle.
Tout d’abord, Valérie Pécresse souhaite territorialiser les peines prononcées par les juridictions répressives. Face à l’ampleur inégale du phénomène criminel selon les territoires, l’actuelle présidente de la région Île-de-France souhaite déroger au principe de l’égalité des citoyens devant la loi pour que les crimes et les délits commis dans certaines zones géographiques (les quartiers de reconquête républicaine, par exemple) soient punis plus sévèrement. L’ancienne conseillère d’État ne peut pourtant pas ignorer que rendre la loi plus sévère dans certaines parties du territoire de la République, se heurte à un risque d’inconstitutionnalité. Si les magistrats peuvent légalement adapter la politique pénale aux circonstances locales, le législateur, lui, ne peut pas faire autant de lois locales que de territoires problématiques sans méconnaître la Constitution.
Ensuite, Valérie Pécresse entend pénaliser le fait de forcer quelqu’un à porter le voile islamique. Avec cette proposition, la candidate prend un risque. Certes, l’interdiction du voile intégral, dissimulant le visage, a été reconnue constitutionnelle pour des raisons de sécurité publique, de dignité de la personne humaine et pour garantir les exigences minimales de la vie en société. Et du coup en effet, le fait de contraindre une personne à porter un vêtement ou un accessoire, y compris un voile, dès lors que ce vêtement ou cet accessoire conduit à dissimuler le visage, constitue depuis une infraction pénale.
Mais, une loi qui punirait directement le fait de forcer une femme à porter le voile, même en ne dissimulant pas le visage, pourrait présenter un risque d’inconstitutionnalité. Ce serait un élargissement de l’infraction qui existe déjà pour le voile intégral, mais sans la justification par la sécurité, car le voile simple ne dissimule pas le visage. Il faudrait alors trouver d’autres impératifs pouvant justifier un tel délit, comme le respect de la dignité ou le droit à l’égalité. Par ailleurs, il ne serait sûrement pas possible de viser spécifiquement et uniquement le voile, sans porter atteinte à d’autres principes comme celui de la laïcité ou de la liberté de conscience ou d’expression. Il faudrait alors élargir l’infraction et viser le fait de contraindre une personne à porter un vêtement ou un accessoire religieux, quel qu’il soit. Enfin, il faudrait s’assurer que cette loi soit strictement nécessaire au regard de l’objectif recherché en application du principe de nécessité de la loi pénale, qui interdit de créer de nouvelles infractions si l’arsenal répressif existant est déjà suffisant pour permettre la répression de comportements similaires.
Valérie Pécresse propose encore de réhabiliter les courtes peines de prison et d’ouvrir des centres de détention provisoire. Problème… Premièrement, d’après le législateur lui-même, les courtes peines sont contre-productives et doivent être supprimées autant que possible parce qu’elles ont un effet désocialisant majeur et prédisposent à la récidive. Deuxièmement, ces fameux centres de détention provisoire que Valérie Pécresse appelle de ses vœux existent déjà : ce sont les maisons d’arrêt. Troisièmement, la candidate souhaite ouvrir ces centres dans des bâtiments désaffectés. Comment peut-on sérieusement imaginer de transformer, en urgence, des immeubles désaffectés en prison, ce qui implique d’aménager et de sécuriser de tels locaux et de les doter en personnels de surveillance et de probation ? Pour l’exemple, le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach est devenu opérationnel après trois ans de travaux et plusieurs mois de tests et de formations…
Valérie Pécresse promet, pour protéger les représentants de l’ordre qui personnifient la puissance publique, un an de prison ferme si on touche à un policier ou à un gendarme. Or, les peines planchers en tant que peines minimales appliquées automatiquement sont prohibées par le droit français, en raison du principe d’individualisation des peines qui découle de la Constitution. Si une peine minimale apparaît comme une réponse forte et visible à la délinquance, elle ne peut aboutir à supprimer la possibilité pour le juge d’appliquer une peine plus légère.
La candidate LR souhaite enfin abaisser la majorité pénale à seize ans afin de mettre un coup d’arrêt à la montée continuelle de la violence. L’abaissement de la majorité pénale aurait pour conséquence qu’un délinquant mineur civilement (moins de 18 ans) mais majeur pénalement (par exemple plus de 16 ans) ne comparaitrait plus devant une juridiction spécialisée pour mineurs, mais devant les juridictions pénales de droit commun. Il ne bénéficierait plus du tout de l’excuse de minorité, ni d’atténuations de responsabilité. Cette proposition est compliquée à mettre en œuvre au regard du droit international et de la jurisprudence constitutionnelle.
La France a ratifié la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, selon laquelle l’enfant ne peut être pénalement traité comme un adulte et doit bénéficier de juridictions pénales spécialisées. Pour surmonter cet obstacle et supprimer la spécialisation des juridictions pour les personnes dès seize ans, il faudrait abaisser l’âge de la majorité civile en France par une loi. Mais une telle réforme serait vivement discutée, car elle soulèverait beaucoup de questions annexes telles que la question du droit de vote, celle du mariage ou encore la capacité financière… Ensuite, l’abaissement de la majorité pénale se heurterait au principe constitutionnel de l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge. Enfin, le Code de la justice pénale des mineurs permet déjà, en fonction de la gravité des délits et des crimes, de lever l’excuse de minorité et la comparution devant une juridiction spécialisée pour les mineurs, dès seize ans.
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